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26 septembre 2012 3 26 /09 /septembre /2012 14:55

De Shakespeare à Musset : de l’audace dramatique à la conciliation du romantisme et du classicisme

Hamlet

Shakespeare

Laurence Olivier

Comparaison avec Lorenzaccio de Musset

 

→ Lecture de l’article « Fortune de Musset » de Sylvain Ledda.

 

→ Commentaire : Musset a découvert en même temps que la génération romantique le théâtre de Shakespeare, par de nouvelles traductions qui ne cherchent plus à plier Shakespeare aux règles de la tragédie classique comme au XVIIe siècle, puis sur la scène puisqu’en 1822 les comédiens anglais viennent jouer Othello au théâtre de la Porte-Saint-Martin cf. Stendhal, Racine et Shakespeare, les attaques contre les représentations de Shakespeare. Faire le parallèle avec la bataille d’Hernani. En 1828, l’accueil sera beaucoup plus enthousiaste. Le drame shakespearien a un impact direct sur la production théâtrale romantique française : Vigny adapte Othello sous le titre du More de Venise. Hugo, Cromwell, 1827, Marie Tudor, 1833. Vigny, Chatterton, 1834. Shakespeare est également découvert par les auteurs allemands qui à leur tour vont inspirer les dramaturges français, ce qui explique le souhait de Musset d’être « Shakespeare ou Schiller » indifféremment. Lorenzaccio est ainsi très proche de La conjuration de Fiesque de Schiller (1782) : contexte géographique et historique (1547 à Gênes), la question politique (la révolte des républicains menée par Fiesque contre l’autorité du doge)…

 

I – La dramaturgie shakespearienne : une source d’inspiration pour les romantiques

 

1.1 ) Une scénographie de l’action

 

Ø  La pièce Hamlet fut représentée au théâtre du Globe, construit au sud de Londres en 1599, durant l’hiver 1600-1601, par la troupe des « Chamberlain’s men ». Le Globe est un théâtre public, au sud de la cité et côtoyant toutes sortes de mauvais lieux. Le théâtre est construit en bois, et est de forme circulaire ou polygonal, ouvert au milieu. La scène qui s’adosse à un mur, avance jusqu’au milieu du parterre et est donc entourée sur trois côtés. Grâce au mur, elle comporte deux ou trois étages. Le parterre est à ciel ouvert et c’est là que sont les spectateurs ordinaires. Le public aisé se tient dans des galeries superposées tout autour. Cf. dessins du « Globe ».

 

Ø  La scène est donc vaste, propice à un grand nombre de personnages, et aux actions même de groupe et violentes. C’est un théâtre spectaculaire. Voir l’opposition entre le théâtre français qui est un théâtre de la parole et un théâtre anglais de l’action (cf. les Monthy Python et Caamelot).

 

Ø  Ce théâtre, si opposé au théâtre classique joué ou plutôt parlé dans une salle de jeu de paume, plaît aux romantiques qui feront leur la volonté de représenter tout un monde, même violent sur scène. L’apparition du théâtre à l’italienne à partir du XVIIIe siècle, la multiplication des théâtres au XIXe siècle et la censure provisoirement abolie en 1830 favorise un jeu qui veut représenter la totalité du monde et de l’existence. C’est un théâtre libre qui plaît aux romantiques. Cf. V. Hugo, préface de Cromwell, « pour un drame total ».

 

Ø  Toutes les catégories sociales se rencontrent dans les pièces de Shakespeare et le dramaturge alterne des passages en prose pour les personnages du peuple et des passages en vers pour la noblesse. On retrouve ce même mélange social chez Musset comme à la scène 5 de l’acte I ou des dames de la Cour voisinent avec des bourgeois, marchand et orfèvre, des cavaliers, le Prieur et un officier allemand.

 

Ø  La dramaturgie est complexe : elle comporte de multiples intrigues et des rebondissements. Musset reprendra cette complexité et cette ampleur du drame.

 

Ø  C’est aussi un théâtre historique qui montre un devenir national : pour parler de l’époque élisabéthaine, Shakespeare a choisi comme miroir l’Italie de la Renaissance dans Roméo et Juliette.

 

Ø  Musset est particulièrement réceptif à ce théâtre lui qui veut écrire sans contrainte, multiplie les personnages et les tableaux, et les scènes violentes (mort de Louise Strozzi, mort du duc, scène de combat avec Lorenzo). On retrouve l’art du tableau shakespearien dans l’art de Musset de la scène de foule (I, 2, 5 ; III, 3, 7 ; V, 1, 5, 7).

 

1.2 ) Une dramaturgie du naturel

 

Shakespeare, pour le jeu des acteurs, condamne l’emphase, l’excès dans le geste et le ton et prêche pour le naturel (« toute exagération s’écarte du but du théâtre qui, dès l’origine comme aujourd’hui, a eu et a encore pour objet d’être le miroir de la nature »). Cf. V. Hugo, préface de Cromwell, « la nature et l’art ». On est aux antipodes de la déclamation à la française.

 Il n’est pas question comme en France de séparer le comique et le tragique : c’est un théâtre hybride.

 1.3 ) Un langage libre et varié

 

Le langage shakespearien est vaste et riche : il touche à des domaines variés (jargon militaire, des métiers, de la navigation, de la jurisprudence, de la théologie ; langage des courtisans, de l’homme du peuple…). Le dramaturge multiplie aussi les registres : familier voire grossier, style noble, registres intermédiaires. Cette langue est remarquable par l’abondance des métaphores. Cf. A. de Vigny, Lettre à Lord***, « Contre la « Muse de la politesse », pour le caractère et le mot propre, et « Le scandaleux mot de « mouchoir ». Choix d’une prose poétique chez Musset.

 

II – Présentation de la pièce Hamlet

 Hamlet de Shakespeare a été vraisemblablement représenté durant l’hiver 1600-1601.

 → Laurence Olivier, après une longue carrière au théâtre, produit, réalise et joue Hamlet qui sort en 1948.

 → Résumé :

 Hamlet, frappé douloureusement par la mort de son père, le roi du Danemark , reçoit de l’au-delà un message lui ordonnant la vengeance : sa mère, la reine Gertrude, s’est remariée avec le frère et meurtrier de son défunt époux, Claudius ! Mais il n’est pas l’homme de la situation et ne se sent pas une âme de vengeur à l’opposé de bien des héros tragiques. Hamlet doit affronter le mal, traquer sa propre vérité et soulever le voile des apparences. Le mystère du personnage s’épaissit lorsqu’il se fait acteur et simule la folie. Croyant tuer Claudius, Hamlet tue Polonius le père d’Ophélie. De désespoir, Ophélie devient folle et se noie dans la rivière. Gertrude meurt empoisonnée et Hamlet force le roi à boire à la même coupe, avant de mourir à son tour.

 

III – Un théâtre politique et métaphysique

 

Le théâtre shakespearien est un théâtre politique car il pose la question de la gouvernance d’une cité dans un système où les actes du microcosme sont associés à ceux du macrocosme. Il est donc en même temps métaphysique, ouvrant sur l’existence et la marche du monde.

 

Idées communes à Hamlet et à Lorenzaccio :

 

Ø  Le mal n’est plus à l’extérieur comme dans les pièces précédentes, mais au cœur de l’homme ; il empoisonne tout. Les monologues des différents personnages donnent tous l’idée d’un mal contagieux au monde entier.

 ·         Le roi lui-même en revenant sur le meurtre de son frère, met en avant l’immoralité du monde et l’impossibilité d’une quelconque rédemption (III, 3, monologue du roi l.42-66).

 ·         Dans les deux pièces, le drame n’est pas seulement personnel, il est le drame collectif d’un monde « détraqué ». cf. III, 4, l.58-67 sur le forfait de la mère. Cf. L, III, 3, dialogue entre Lorenzo et Philippe Strozzi, l. 299-307, 327-330, 353-379.

  

Ø  La cruauté est la seule réponse possible au monde dégénéré et le mal n’a pour seule issue que la mort. Cf. III, 4, l.43-45 et 145-147, 193-194. Cf. référence à Brutus, III, 3, l. 356.

 

Ø  Le personnage exprime sa désillusion et dans un monde « hors de ses gonds », il ne peut agir pour le faire rentrer dans l’ordre. Cf. III, 3, l.383-387.

 

Ø  La pièce explore le thème de la folie du personnage, folie qui a sa logique propre, et qui permet de répondre au spectre du père mort qui réclame vengeance. On entend l’intériorité d’Hamlet grâce aux monologues. Cf. III, 3, l. 408-413.

  Dans le film de Laurence Olivier, à la psychologie des personnages fait écho un espace torturé traité volontairement sur le mode d’un dédale désespérant de couloirs, de tours, d’escaliers, et de salles immenses. Cf. S.14-16.

 → Le film, volontairement tourné en noir et blanc permet un effet de tableau où les visages tourmentés ressortent sur la technique du clair-obscur cf. le visage effaré d’Hamlet à la séquence 14, et la figure de style « mentale » où la caméra entre dans le crâne d’Hamlet (cf. Orson Welles, Citizen Kane). Il s’agit d’évoquer une série de gravures et de plonger le spectateur dans un monde barbare et sombre.

 → Le film respecte cependant un certain académisme dans les postures et la confrontation des personnages pour rendre la tension des scènes.

 → Laurence Olivier a voulu rendre la torture intérieure des personnages par des références freudiennes : ainsi de la scène œdipienne entre Hamlet et sa mère (S.16).

 

 

Ø  Mais l’indécision du personnage d’Hamlet (mise en valeur par le film de Laurence Olivier, cf. le prologue et III, 4, l. 123-126) fait qu’il accomplit finalement un meurtre secondaire, au lieu de tuer sa mère et son beau-père, celui de Polonius. C’est un meurtre inutile et cruel puisque Polonius est le père de celle qu’il aime, Ophélie ! Il a pourtant eu la tentation de tuer son beau-père (III, 3) et sa mère (III, 4).

 

Ø  En ce sens, Shakespeare et Musset s’écartent de la tragédie antique et du drame médiéval qui présentaient un enchaînement logique du crime au châtiment. La vengeance s’accomplit dans les deux cas de façon imprévisible.

  

Les différences :

Ø  Hamlet se termine par un bain de sang purificateur et Hamlet meurt réconcilié avec lui-même après avoir vengé son père et donné sa voix de roi à Fortimbras qui lui succèdera. L’acte de meurtre a donc servi à purifier les consciences et le pouvoir royal. Mais la vision de Musset est plus pessimiste et marquée par l’idée du caractère vain de toute action héroïque dans l’histoire : le meurtre du duc ne change rien à la situation de Florence et ne délivre pas Lorenzo de lui-même. Il y a désormais une rupture entre l’action du héros et le monde, pris d’immobilisme, qui l’entoure.

 

Conclusion :

Il faut toutefois relativiser l’influence shakespearienne et romantique sur Musset qui est aussi un disciple des classiques (cf. ses relations difficiles avec le cénacle romantique). On peut aussi déceler des influences classiques : Lorenzo a la noirceur d’un Néron dans Britannicus, la scène 5 de l’acte V, est une référence à Molière, et Lorenzo a aussi les traits d’Alceste, le misanthrope intransigeant, de Dom Juan et même de Tartuffe.

 

 

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2 juin 2012 6 02 /06 /juin /2012 16:09

FICHE  DE  CITATIONS

RABELAIS     GARGANTUA

 

 

 

 


Toute fiche de citations suppose des choix, forcément un projet de lecture, des renoncements et des deuils. Ces fiches ne proposent donc qu'une lecture partielle et orientée des oeuvres au programme.

 

         « par une lecture attentive et une réflexion assidue, rompre l’os et sucer la substantifique moelle » (Prologue).

         « En dépit de ces remontrances, elle en mangea seize muids, deux baquets et six pots » (chap. 4 Comment Gargamelle étant grosse de Gargantua mangea profusion de tripes).

         « en la tâtant par en dessous elles trouvèrent quelques membranes de goût assez désagréable et elles pensaient que c’était l’enfant. mais c’était le fondement qui lui échappait » (chap. 6 Comment Gargantua naquit de façon bien étrange).

         « Pour médaillon, il avait, sur une plaque d’or pesant soixante-huit marcs, une figurine d’un émail approprié […] et autour il y avait écrit en caractères grecs : LA CHARITE NE CHERCHE PAS SON PROPRE AVANTAGE » (chap. 8 Comment on vêtit Gargantua).

         « que tu es plein de bon sens, mon petit bonhomme ; un de ces jours je te ferai passer docteur en gai savoir » (chap. 13 Comment Grandgousier reconnut à l’invention d’un torche-cul la merveilleuse intelligence de Gargantua).

         « on lui recommanda un grand docteur sophiste, nommé Thubal Holoferne, qui lui apprit si bien son abécédaire qu’il le récitait par cœur, à l’envers, ce qui lui prit cinq ans et trois mois » (chap. 14 Comment Gargantua fut instruit par un sophiste en lettres latines).

         « Pendant qu’on le frictionnait, on lui lisait quelque page des saintes Ecritures, à voix haute et claire, avec la prononciation requise […]. Suivant le thème et le sujet du passage, bien souvent, il s’appliquait à révérer, adorer, prier et supplier le bon Dieu dont la majesté et les merveilleux jugements apparaissaient à la lecture » (chap. 23 Comment Gargantua fut éduqué par Ponocrates selon une méthode telle qu’il ne perdait pas une heure de la journée).

         « Alors, sans ordre ni organisation, ils es mirent en campagne pêle-mêle, dévastant et détruisant tout sur leur passage, n’épargnant pauvre ni riche, lieu saint ni profane » (chap. 26 Comment les habitants de Lerné, sur ordre de Picrochole, leur roi, attaquèrent par surprise les bergers de Gargantua).

         « Les pauvres diables de moines ne savaient auquel de leurs saints se vouer. A tout hasard, ils firent sonner au chapitre les capitulants » (chap. 27 Comment un moine de Seuilly sauva le clos de l’abbaye du sac des ennemis).

         « il disloquait les reins, effondrait le nez, pochait les yeux, fendait les mâchoires, enfonçait les dents dans la gueule… » (chap. 27).

         « Je me suis mis en devoir de modérer sa rage tyrannique, de lui offrir tout ce que je pensais susceptible de le contenter » (chap. 29 La teneur de la lettre que Grandgousier écrivait à Gargantua).

         « Là, ils ont retrouvé vos garnisons, de retour des conquêtes navales en Méditerranée et se sont rassemblés en Bohême après avoir mis à sac la Souabe » (chap. 33, Comment certains gouverneurs de Picrochole, par leur précipitation, le mirent au dernier péril).

         « La raison indiscutable en est qu’ils mangent la merde du monde, c’est-à-dire les péchés, et qu’en tant que mange-merde on les rejette dans leurs latrines » (chap. 40, Pourquoi les moines sont retirés du monde et pourquoi les uns ont le nez plus grand que les autres).

         « Et toute leur règle tenait en cette clause : FAIS CE QUE VOUDRAS. Parce que les gens libres, bien nés, bien éduqués, vivant en bonne société, ont naturellement un instinct, un aiguillon qu’ils appellent honneur et qui les pousse toujours à agir vertueusement et les éloigne du vice ». (chap. 57 Comment était réglé le mode de vie des Thélémites).

 

 

FICHE DE CITATIONS

PHILIPPE JACCOTTET A LA LUMIERE D’HIVER

 


Leçons :

 

         « Autrefois, / Moi l’effrayé, l’ignorant, vivant à peine, / me couvrant d’images les yeux, / j’ai prétendu guider mourants et morts » (p. 11).

         « La terre qui nous portait tremble » (p. 15).

         « Entre la plus lointaine étoile et nous, / la distance, inimaginable, reste encore / comme une ligne, un lien, comme un chemin. / S’il est un lieu hors de toute distance » (p. 17).

         « C’est sur nous maintenant / comme une montagne en surplomb. » (p. 21).

         « On le déchire, on l’arrache, / cette chambre où nous nous serrons est déchirée, / notre fibre crie. » (p. 25).

         « demeure en modèle de patience et de sourire, / tel le soleil dans notre dos encore / qui éclaire la table, et la page, et les raisins » (p. 33).

 

Chants d’en bas :

 

         « Je l’ai vue droite et parée de dentelles / comme un cierge espagnol. / Elle est déjà comme son propre cierge » (p. 37).

« Parler » :

         « Parler est facile, et tracer des mots sur la page, / en règle générale, est risquer peu de chose : / un ouvrage de dentellière, calfeutré, / paisible » (p. 41).

         « Y aurait-il des choses qui habitent les mots / Plus volontiers, et qui s’accordent avec eux » (p. 47).

         « habille-toi d’une fourrure de soleil et sors / comme un chasseur contre le vent, franchis / comme une eau fraîche et rapide ta vie » (p. 51).

« Autres chants » :

         « j’essaie encore de ne pas me retourner sur mes traces » (p. 58).

         « Si je me couche contre la terre, entendrai-je / Les pleurs de celle qui est dessous » (p. 61).

         « Ecris vite ce livre, achève vite aujourd’hui ce poème / avant que le doute de toi ne te rattrape » (p. 64).

 

A la lumière d’hiver :

 

I :

         « Un homme qui vieillit est un homme plein d’images / […] Autrefois la lumière nourrissait sa bouche, / maintenant il raisonne et se contraint » (p. 81).

II :

         « découvre la femme d’ébène / et de cristal, la grande femme de soie noire » (p.85).

         « Le noir n’est plus ce mur/ encrassé par la suie du jour éteint, / je le franchis, c’est l’air limpide, taciturne, / j’avance enfin parmi les feuilles apaisées » (p. 86).

         « La seule grâce à demander aux dieux lointains, / aux dieux muets, aveugles, détournés, / à ces fuyards » (p. 93).

         «  et ne descend-il pas aussi de plus loin que le ciel / à leur rencontre d’autres vols, plus blancs […] / à la manière / des rencontres d’amour ? » (p. 95).

 

 

  

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30 mai 2012 3 30 /05 /mai /2012 14:35

Voici le programme de littérature en TL 2012-2013 d'après les Instructions officielles parues au B.O. :

A. Domaine d'étude « Littérature et langages de l'image »
Œuvres
- Zazie dans le métro, de Raymond Queneau (édition au choix du professeur) 
- Zazie dans le métro, de Louis Malle.

Quelques ressources pour les professeurs
- Raymond Queneau, Œuvres complètes, tome III - Romans, tome II, Gallimard, collection « Pléiade », sous la direction d'Henri Godard : notice de Zazie dans le métro
- Roland Barthes, « Zazie et la littérature », Critique, août-septembre 1959, n° 147-148, p. 675-681 ; repris dans le recueil Essais critiques, Éditions du Seuil, collection « Points-Essais »
- Michel Bigot, Zazie dans le métro de Raymond Queneau, Gallimard, collection « Foliothèque »
- Anne-Marie Jaton, Queneau : le pouvoir incendiaire du rire, Infolio
- Philip French, Conversation avec Louis Malle, Denoël
- Pierre Billard, Louis Malle, le rebelle solitaire, Plon

B. Domaine d'étude « Lire-écrire-publier »
Œuvre
- Lorenzaccio, de Musset.

Quelques ressources pour les professeurs
- concernant la question de la représentation et de la publication : Florence Naugrette, Le Théâtre romantique - Histoire, écriture, mise en scène, Éditions du Seuil, collection « Points-Essais »
- concernant le problème historique et politique : Paul Bénichou, L'École du désenchantement, Gallimard, chapitre « Musset » ;
- l'édition « Pléiade » Gallimard du Théâtre complet de Musset établie par Simon Jeune offre dans les annexes et notices des études et des documents utiles
- une page « Sitographie pour Lorenzaccio de Musset », renvoyant à des sites choisis, des bibliographies, des articles critiques et des archives théâtrales, est disponible sur Éduscol-Théâtre
- la mise au programme de Lorenzaccio fera l'objet d'un accompagnement en ligne (extraits comparés de différentes mises en scène et autres documents) pour une utilisation en classe sur le site Antigone-enligne (http://www.cndp.fr/antigone/)


Ce texte est extrait des Instructions officielles, signées pour le ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et de la vie associative et par délégation, par le directeur général de l'enseignement scolaire, Jean-Michel Blanquer.
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3 décembre 2011 6 03 /12 /décembre /2011 17:53

Quelle est la position du narrateur de Gargantua sur la question religieuse ?

 

 

 


L’étude qui suit n’a de sens que si elle est accompagnée d’une lecture attentive et rigoureuse du texte.

 

 

I – Une critique traditionnelle de l’Eglise, issue des contes et des fabliaux

 

1.1 ) Des éléments comiques des contes ou des mythes

 

L’image de l’ogre lorsque Gargantua mange des pèlerins en salade, au chapitre 38.

Le déluge urinal, version parodique et burlesque du déluge biblique, chapitre 38.

 

1.2 ) La critique de pratiques religieuses

 

Le narrateur, à travers ses personnages, critique les pratiques superstitieuses. Au chapitre 43, la patrouille de Picrochole se dote d’eau lustrale et d’étoles pour faire disparaître les diables, p. 305-307, et la narration insiste sur la peur comique de la patrouille, p. 307, devant les cris de frère Jean qu’il prennent pour des cris de diables. Au chapitre 45, les pèlerions vont invoquer Saint Sébastien contre la peste. Grandgousier qualifie ceux qui attribuent la peste à un saint, en en faisant un diable, de « faux prophètes », de « cafards » et d’empoisonneurs d’âme (p. 317-319). Au chapitre 45, le questionnement de Grandgousier sert à critiquer la pratique des pèlerinages  et enjoint aux pèlerins de rester chez eux et de travailler aux besoins de leur famille : p.321. Cela explique sans doute le comique de répétition avec aggravation lié à la figure des pèlerins, au chapitre 38 : ceux-ci, partis en pèlerinage, sont tout d’abord dévorés par Gargantua, qui les confond avec des limaçons dans la salade, puis noyés dans sa pisse, puis pris dans une chausse-trape. Le narrateur dénonce les reliques, dont il fait comprendre qu’elles n’ont pas de caractère sacré, et leur inefficacité, p. 229.

Mais le narrateur critique aussi la dévotion insincère et hypocrite : les paroles anônnées par les moines de Seuillé, p. 223, sont en contradiction avec leur sentiment profond : ils bégaient de peur. C’est une dévotion provoquée par l’urgence de l’instant, comme le montre la liste des saints prononcés pendant le massacre de frère Jean, p. 227-229. On peut ainsi comprendre les massacres et la réussite de Frère Jean qui apparaît en ce sens comme l’incarnation du Châtiment divin, d’où l’invincibilité du personnage, soulignée à deux reprises, p. 307 et 309. C’est d’ailleurs lorsqu’il quitte son froc qu’il perd de son invincibilité, comme lorsqu’il se retrouve accroché à un arbre.

 

1.3 ) La critique des ordres monastiques

 

Au chap. 2, p. 61 : allusion au cerveau des papes si vide qu’on y entend le vent. Frère Jean, au chapitre 45, critique l’esprit entreprenant des moines vis-à-vis des épouses laissées seules : p. 319-321. La critique est traditionnelle et relève des fabliaux. De même, le récit est l’occasion de la critique des moines paillards, comme au chapitre 39, p. 285-287, soiffards, aux pages 223-225, expédiant les prières. Frère Jean fait d’ailleurs partie de ces moines. Frère Jean critique enfin le savoir livresque et érudit de certains moines, au chapitre 39, p. 289.

 

 

II – Une critique humaniste de l’Eglise et de la religion catholique

 

2.1 ) La critique d’une piété purement verbale

 

La principale critique est celle de l’inaction des moines : la foi n’est donc pas dans une piété purement verbale, mais dans l’action au service de Dieu et des autres, p. 225 (et chap. 39, p. 287). Ainsi, au chapitre 40, p. 291, frère Jean déclare que les moines sont hais parce qu’ils mangent la merde du monde. P. 293, son discours est l’occasion d’une attaque rigoureuse contre les moines : il leur reproche l’oisiveté, le fait de ne pas être au service de la communauté, d’être inutiles aux autres hommes, d’être ignorants, et de ne pas se consacrer aux nécessités matérielles des hommes. De plus, les moines n’effectuent même pas un service spirituel : ils ânonnent leurs prières sans les comprendre ; leur foi n’est qu’hypocrisie. C’est une foi fausse commandée par les circonstances, et la peur. En ce sens, frère Jean, p. 293, est un contre-exemple. Frère Jean situe sa piété dans l’action, en rêvant qu’il aurait délivré le Christ, plutôt que des s’enfuir comme les apôtres, chapitre 39, p. 287. En ce sens, le bréviaire sert surtout à s’endormir (c’est la méthode que frère Jean utilise avec Gargantua, au chapitre 41). Au chapitre 54, p. 359, les hypocrites et les bigots seront chassés de l’abbaye de Thélème.

 

2.2 ) L’opposition à la Sorbonne et à l’oppression doctrinale

 

La narrateur s’oppose à tout asservissement à une ligne doctrinale de l’Eglise, et au formalisme de la faculté de théologie, qui lit tout en mauvaise part et empêche toute liberté de pensée et de parole. Au chapitre 54, les pharisiens seront ainsi chassés de l’abbaye de Thélème (p.361 et le chapitre 42, p. 303, critique le formalisme de Grégoire IX). Le narrateur revendique son droit à la création et à la fiction, sans que celle-ci puisse passer pour une copie blasphématoire de la Création divine. Cette liberté revendiquée s’explique par le contexte des années 1530. La position du narrateur-auteur ( ?) rejoint celle de Guillaume Budé ou d’Erasme. On entend ainsi la critique de la faculté de Théologie, et de son terrorisme vis-à-vis de la pensée, comme au chapitre 6, p.57 sur l’interdit, le mutisme qui règne sur la généalogie du Christ.

 

2.3 ) L’évangélisme rabelaisien

 

Contre tous les discours de l’Eglise contraignant et empêchant une foi individuelle, Rabelais appelle à une foi qui repose sur la lecture directe et individuelle de la Bible, dans une perspective évangéliste. L’abbaye de Thélème offre ainsi un refuge, p. 365, au chapitre 54, aux évangélistes.  Ainsi au chapitre 23, Ponocrates appelle à se débarrasser des gloses, pour avoir une lecture directe et personnelle de la Bible. Dans le « Prologue » déjà, p. 51, le narrateur se moquait de la quadruple interprétation du texte biblique, et de la manie de tout rapporter à la validation des vérités saintes au chap. 6, p. 91. De même, à l’occasion du discours édifiant de Lasdaller, Rabelais se moque des fidèles qui sont tentés de plaquer le texte biblique sur leur situation propre, par la combinaison de morceaux du psaume CXXIV et des propositions circonstancielles de temps.

 

2.4 ) La définition de la véritable foi

 

Le narrateur oppose, au chap. 6, p. 91, la véritable foi qui est une bonne crédulité et une confiance dans la toute puissance divine et la fidélité servile à une ligne doctrinale, en particulier celle de la faculté de théologie, la Sorbonne. Mais la foi est avant tout en acte, au service de Dieu et d’autrui : au chapitre 45, l’homélie de Grandgousier, et sa référence à Paul, servent à vanter un engagement civique et une foi directe.

 

III – Une utopie religieuse

 

3.1 ) Le rejet des règles monastiques

 

L’abbaye de Thélème est opposée aux monastères existants « au contraire de toutes autres » : pas de murailles, sources de suspicions, p. 353, et les heures n’y sont pas comptées, au chapitre 41, p. 299, puis chapitre 52, p. 353. « Thelema » veut d’ailleurs dire « volonté, franc arbitre » ce qui est confirmé par la devise « Fais ce que voudras », chap. 50. C’est avant tout un lieu de liberté. Le fonctionnement est déterminé par l’approbation de la collectivité, liberté qui n’est pas une anarchie, par la présence des hommes de biens qui savent vivre une existence mesurée, soucieuse de la collectivité et dénuée d’excès, par la présence de l’ordre mais pas de la contrainte, en un lieu de raffinement. La richesse matérielle y est opposée au vœu de pauvreté ; l’entente entre les hommes et les femmes, pouvant aller jusqu’au mariage, est opposée au vœu de chasteté, et celui-ci passe alors pour inutile et contre nature ; la liberté est opposée à l’obéissance : p. 355. Frère Jean a refusé l’idée même de l’autorité d’un homme sur un autre, p. 351, au chapitre 52, même si son discours est vraiment sentencieux à ce moment-là. Enfin, les thélémites ont la liberté d’entrer ou de quitter l’abbaye, à tout moment (p. 355).

 

3.2 ) La définition rabelaisienne des vrais chrétiens

 

C’est présenter ce que sont aux yeux de Rabelais, les vrais chrétiens : des hommes et des femmes qui ne se laissent pas soumettre à des règles étouffantes et hypocrites mais qui ont une piété sincère au service de leurs semblables et de Dieu. Il y a une opposition, de ce point de vue, entre les « Bigots », « cafards empantouflés », « ennemis de la sainte parolle » et « gentils compagnons » (chap. 52). Les thélémites ne suivent plus les préceptes de vie de l’Eglise, mais leur foi est fondé sur la lecture directe de la Bible, sur la connaissance, l’éducation et le savoir-vivre. On voit là l’expression d’une utopie à la fois évangéliste et politique, à l’image de la cour de François Ier.

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3 décembre 2011 6 03 /12 /décembre /2011 17:49

Séance 11

Lecture analytique d’un extrait du chapitre 27

 

 

Objectifs : étudier :

la remise en cause de la coutume

le récit d’un combat

la satire de la vie monacale

 

Rappel de la situation de l’extrait dans l’œuvre :

 

L’apparition de frère Jean dans l’œuvre a une fonction comique : au moment où Gargantua se débarrasse de ses vices et devient moins comique et plus exemplaire, le moine paillard, glouton et grossier apporte le comique qui n’est plus attaché au personnage de Gargantua.

Le personnage de frère Jean a donc une fonction comique. Grâce à lui, le narrateur et son personnage se livrent à une satire et une condamnation de tous les moines.

 

Trouver la composition du passage :

 

l.1-12 : le portrait des moines et de frère Jean des Entommeures.

l.13-32 : l’inaction des moines pendant le pillage des vignes par les ennemis

l.33-57 : le combat de frère Jean et des ennemis.

 

Problématique : la satire des moines et de la vie monacale et la parodie des combats épiques

 

I – La satire des moines et de la vie monacale

 

Il s’agit là d’une abbaye bénédictine, à « Seuillé », ordre auquel Rabelais appartenait encore malgré tous ses manquements à la règle.

 

Le jeu de mots initial « les pauvres diables de moines » se moque des moines en les associant à leur opposé, le diable. Il s’agit de dénoncer la nature proprement diabolique des moines (l’expression ne peut passer pour un simple juron dans le contexte du XVIe siècle).

Ironie / Moines par le jeu de mot, l.2, qui juxtapose la réunion des moines – les moines se réunissent « ad capitulum » - et leur capitulation : « ils firent sonner au chapitre les capitulants ». De fait, la vie monacale est marquée par l’inaction :

Le narrateur insiste sur l’impuissance et l’inutilité des actions des moines : ces actions ne sont que paroles là où il faudrait des actes. L’ironie est particulièrement perceptible dans l’insistance sur les qualifications mélioratives : « une belle procession », « de beaux psaumes et de litanies », « de beaux repons ». « A grand renfort » est ironique par le contraste entre l’activité déployée et la vacuité de celle-ci. Il y a un décalage entre la tonalité admirative, le lexique élogieux et l’inutilité des actions. Faussement admiratif, la narrateur souligne la vacuité et l’inutilité des actions des moines. Rabelais suggère qu’ « il n’y a aucun mérite dans une piété purement verbale que n’accompagne pas une action guidée par la morale » (M. Screech, Rabelais).

La suite du récit montre la vacuité des occupations : les prières sont des textes sans signification ânonnés bêtement par des moines qui ne les comprennent pas : exagération des ânnonements, l.18-19. De plus, le discours est ici pris d’un bégaiement en contraste avec ce qui est dit « tu ne craindras pas l’assaut des ennemis ». L’absurdité constatée vient d’une parole religieuse en contradiction avec les sentiments profonds des moines.

Le commentaire de frère Jean, fondé sur l’homophonie renforce par son caractère antiphrastique la dépréciation de ces prières : « C’est […] bien chien chanté. », l.20.

Plaisanterie sur le caractère soiffard des ordres monastiques par la transformation de la formule de prière « donnez-nous notre pain quotidien » en « Seigneur Dieu donnez-nous notre vin quotidien ! » (l.25-26).

Dénonciation de l’hypocrisie des moines qui sous couvert de religion et de mortification, sont en fait des soiffards : « le service divin » (l.29) devient le « service du vin » (l.30), prolongé par la maxime comique : « Jamais un homme noble ne hait le bon vin : c’est un précepte monacal » (l.31-32).

Dénonciation du caractère intolérant des ordres religieux et de leur violence : frère Jean doit être mis au cachot pour avoir interrompu un service au demeurant inutile et sans signification, l.27-28.

L’ironie fait ici apparaître les anomalies de la vie monastique. Elle détruit l’image ordinaire d’homme pieux, au service de la communauté, occupés de choses spirituelles.

 

Le portrait de Fère Jean est un portrait plein d’humour. L’humour réside ici sur le contrepoint tonal : dans une énumération de qualités psychologiques se glisse la notation physique « pas manchot ». L’accumulation de qualificatifs couvre le portrait psychologique jusqu’à « décidé », le portrait physique avec une plaisante réification « haut », puis le caractère selon la complexion médicale (expliquer « bien fendu de gueule, bien servi en nez ») et enfin l’attitude du moine face à la religion. Pourtant, frère Jean a tous les défauts que les satiristes accordent traditionnellement aux mauvais moines : maigre, porté à l’amour, léger, glouton, paillard, grossier. Mais il a aussi des qualités qui rachètent ses défauts : il sait agir, se dresser et combattre quand son abbaye est injustement attaquée.

Ainsi, les faiblesses paillardes des moines apparaissent secondaires au regard du grand défaut que frère Jean n’a pas : l’inutilité et la paresse des moines qui s’en tiennent à un rituel verbal.

L’anaphore de « bien » puis de « beau » accroît l’insistance, la modalité élogieuse et donc l’humour de la narration.

Le narrateur par la modalité appréciative semble donner raison à frère Jean : il est bon d’être franc, bon vivant et d’expédier les rites avec désinvolture. Le rythme binaire renforcé par l’anaphore souligne la modalité méliorative sur cette désinvolture.

La narration souligne plaisamment ce portrait peu conventionnel par « un vrai moine » et le jeu de mots fondé sur l’homophonie « depuis que le monde moinant moina de moinerie ».

Le texte se fait mélioratif sur le caractère lettré de frère Jean mais avec humour grâce à l’hypallage : « clerc jusques aux dents ».

Par opposition aux autres moines, frère Jean est dans l’action efficace, tout en étant un lettré humaniste et bon vivant. Il est aussi soucieux de la vie d’ici-bas et défend l’abbaye plus pour des raisons matérielles que pour des raisons spirituelles.

 

II – La parodie du combat épique

 

Parodie du combat épique, sur le mode comique, d’une tradition des romans de chevalerie et des chansons de gestes depuis l’archevêque Turpin dans La Chanson de Roland.

Le nom de frère Jean est une dénomination propre : le nom est composé intentionnellement et forme sens : entamures ie « chair à pâté ».

La parodie du combat épique passe par :

- le choix de l’arme : le bâton de la croix ce qui montre de la désinvolture vis-à-vis des objets sacrés.

- l’habillement : le froc en écharpe

- l’usage incongru et grotesque des objets : les tambours et les trompettes sont remplies de grappes de raisin.

- la comparaison dépréciative entre les ennemis et les « porcs »

- l’amplification systématique des blessures détaillées avec raffinement dans un effet d’hypotypose et d’hyperbole encore renforcée par l’accumulation de verbes d’action.

 

Michael Screech explique le comique de la guerre par la déshumanisation des ennemis et la banalisation des blessures (p.232-233). Peut-on émettre l’hypothèse d’une déréalisation des blessures et de la mort (la souffrance n’apparaît pas) ou au contraire doit-on penser que les angoisses de la Renaissance ressurgissent dans cette insistance sur les souffrances de la guerre, des blessures et de la mort ?

 

Mais le comique est aussi plus subtil : le bois de cormier se dit en latin « cornus ». Or, les lecteurs de Virgile savent que ce bois est le « bona bello cornus » : « le bois bon pour la guerre ». De plus, les inscription des fleurs de lys font penser que frère Jean agit pour les intérêts du Roi (François Ier). D’ailleurs, Grandgousier apparaît comme le modèle du roi de sagesse.

De plus, le fait que frère Jean utilise une croix peut ne pas être lu dans une optique blasphématoire de la part d’un écrivain évangélistes. Evangélistes et Réformateurs observaient en effet un scepticisme hostile à l’égard des reliques et des objets du culte, déniant à ceux-ci tout caractère sacré : l’objet est le symbole d’une vérité sacrée, il n’est pas sacré en lui-même.

 

 

 

Rabelais se livre à une satire de la vie monastique et des moines : leur dignité ne recouvre que de la paresse, de l’inaction et de la passivité. Dans Le Quart Livre, frère Jean rappellera que les hommes doivent toujours travailler avec Dieu, et pas seulement le harceler de leurs prières tout en restant passifs. De plus, toutes les oraisons des moines sont entachées d’ignorance, de superstition, et ne correspondent à aucun sentiment intérieur. Les moines sont de plus paillards et intolérants.

Frère Jean partage certains de ces défauts mais il a pour lui l’action, le bon sens qui préfère le geste à la parole.

La guerre qu’il livre contre les ennemis est traversée par le rire et la parodie : apprivoisement de la peur de la guerre et de la mort en ce XVIe siècle inquiet de la guerre entre François Ier et Charles Quint ?

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3 décembre 2011 6 03 /12 /décembre /2011 17:45

Les vêtements dans Gargantua

Chap. 8 : Les vêtements de Gargantua et l’emblème

Chap.9 : Les couleurs et les emblèmes

Chap. 10 : La signification naturelle des couleurs

Chap.21 : les vêtements conseillés par les sophistes

Chap.23 : les vêtements dans l’éducation de Ponocrates

Chap. 56 : l’abbaye des Thélémites

 

I – Un symbole comique et humaniste

 

1.1             ) Le gigantisme, le merveilleux et le comique

Au chap. 8, les différentes mesures du vêtement, toutes hyperboliques, rappellent au lecteur qu’il lit une œuvre gigantale et sont source de merveilleux. Elles deviennent comiques quand elles s’appliquent aux membres de Gargantua et en particulier à son membre viril. Une aune : 1m188, ce qui fait que le membre de Gargantua fait 19m30cm.

-         1km69 cm pour la chemise

-         238m pour les goussets

-         965m pour le pourpoint

-         1509 peaux de chien pour les lacets

-         1km313m pour les chausses

-         19m30cm pour la braguette

-         482m pour les souliers

-         1100 peaux de vache pour les semelles

-         2km138m pour la veste

-         357m pour la ceinture

-         11km404m pour la robe

-         359 m pour le bonnet

L’évocation du vêtement de Gargantua est l’occasion d’un comique lourd s’appuyant sur le calembour : les brodeuses qui travaillent non de l’aiguille mais du « cul », les broderies faites de peaux de lutins et de loups-garous, p. 105, pour se moquer des moines de saint-Louand.

 

1.2             ) L’insistance sur le bas corporel

Les chiffres et les détails mettent en valeur en particulier la braguette : toute une page est consacrée à la façon de couvrir, orner, mettre en valeur le membre de Gargantua, alors même qu’il n’est qu’un bébé ! Le narrateur insiste plaisamment sur  la taille, la vigueur du membre à l’intérieur, grâce à l’émeraude et plaisante sur l’équivoque entre le membre et la corne d’abondance, p. 99 « toujours galante, succulente, juteuse, toujours verdoyante, toujours florissante, toujours fructifiante, pleine de liqueur… ».

 

1.3             ) L’usage humaniste du vêtement

Contre les robes de bure des moines et le discrédit religieux pesant sur le corps. Au chap.21, les sophistes sont encore les représentants de la mentalité médiévale qui a jeté le discrédit sur le corps et qui appelle à le négliger pour ne penser qu’au spirituel. C’est ainsi qu’ils conseillent à Gargantua de prendre un vêtement qui cache le corps, et d’avoir une hygiène approximative : p.173-175.

Par opposition, au chap.23, sous l’égide de Ponocrates, les vêtements sont apprêtés, mettent en valeur le corps, sont propres et propres aussi aux activités physiques : le vêtement participe désormais de la valorisation du corps : p. 195 et 197.

 

II – Le symbole de l’évolution spirituelle des personnages

 

Le premier costume de Gargantua rappelle sa noblesse : c’est un costume tel qu’on peut le trouver à la cour de François Ier avec chemise, pourpoint, chausses, crevées.

Le costume est de plus très riche p.99 : « grosse émeraude de la grosseur d’une orange », « fins diamants, de fins rubis, de fines turquoises, de fines émeraudes et d’unions du golfe Persique ». P.101 : « d’anneaux d’or, avec beaucoup de perles », p.103 : « pour médaillon, il avait, sur une plaque d’or pesant soixante-huit marcs, une figurine d’un émail approprié », « une chaîne d’or », « de gros jaspes verts, gravés et taillés en forme de dragons tout environnés de rayons et d’étincelles ». P. 105 : l’escarboucle grosse comme un œuf, l’anneau de quatre métaux, et l’anneau en spirale avec l’émeraude. Le merveilleux réside aussi dans la richesse hyperbolique du vêtement.

De plus, ce vêtement n’est absolument pas provincial : il comporte même des éléments exotiques : plume d’un pélican d’Asie centrale (la sauvage Hyrcanie), bourse de la couille d’un éléphant de Libye, jaspe taillé comme en Egypte ancienne.

Mais à sa robe de laine de son adolescence suit les vêtements raffinés conseillés par Ponocrates.

Les vêtements dans l’abbaye de Thélème (chap. 56) marquent le sommet du raffinement. On en retient :

- la richesse (p.371)

- le caractère volontiers exotique : les « belles chasubles » « à la mauresque », p. 371, les « petites perles indiennes », p. 375 : des îles antilles du sud.

- les couleurs vives : cramoisi, rouge, violet, or, argent.

La description des vêtements est aussi l’occasion d’une fête du langage dans une accumulation des noms qui désignent les différentes étoffes et les différentes pierres : p.371, les différents métiers du vêtement : p.373-375.

De plus, l’accord des couleurs entre les femmes et les hommes montre la parfaite entente des deux sexes, et ce sont même les femmes qui décident chaque jour des couleurs à porter !

 

III – Les controverses sur le sens naturel et le sens arbitraire

 

3.1 )    Contre les significations imposées

Rabelais s’oppose au sens arbitraire imposé par un auteur sur des éléments du monde (la signification des couleurs, p. 107) et réclame qu’un discours soit étayé par des preuves manifestes : « il a osé décréter de sa propre autorité ce que symboliseraient les couleurs : c’est la méthode des tyrans (…) et non celle des sages », « sans autres démonstrations et arguments valables ».

 

3.2 )    La croyance en un sens naturel

Chap. 9, p.111, l’exemple des hiéroglyphes égyptiens est l’exemple même de la relation naturelle que peut entretenir le signe avec son référent, la chose qu’il désigne. Les hiéroglyphes sont liés aux choses par le lien naturel de la représentation.

De même, au chap. 10, Rabelais croit à des significations fondées en nature et non imposées par les hommes : ainsi, si chacun se couvre de noir lorsqu’il est en deuil, c’est bien que le noir est naturellement la couleur de la tristesse. Il y aurait donc là une valeur naturelle, p. 115. Il y a donc des signes arbitraires et des signes fondés en raison, sur la vérité des choses : « c’est la différence entre le symbolisme, décision individuelle de motivation d’un signe quelconque et la symbolique, convention collective admise par un consensus appuyé sur la vérité des choses » (Gisèle Mathieu-castellani). « Un rapport existerait, fondé en nature et légitimé par un consensus, à son tour garanti par l’ancienneté de la créance ».

Cela suppose qu’il y a une convention autorisée par consensus et que cet accord est fondé sur la nature et non sur la coutume et l’usage !

Pour les blasonneurs médiévaux, il y a une confusion entre le fait d’imposer arbitrairement une signification à une couleur et le rébus, ce découpage du langage : cf. p.109. C’est supposer arbitrairement qu’une chose-notion (peine) peut être représentée par une chose-objet (penne).

-         Symboles fondés sur l’homophonie, p.109 : espoir (prononcer espouer ou esper) a à peu près la même prononciation que sphère (ancien français : espere, ou spere). De même, « penne » pour « peine ». Au contraire, l’humaniste pense que « penne » (la plume) peut signifier la légèreté car la plume naturellement à cette propriété (symbolisme naturel) mais assurément pas « peine » (symbolique arbitraire).

-         Symboles fondés sur une transcription de l’image en mots et des mots en notion selon le procédé de l’homophonie : le dessin d’un banc cassé renvoie au mot « banque roupte » qui renvoie à la banqueroute. De même pour le lit sans ciel.

-         Le troisième procédé tient de l’adjonction d’un mot à une image : Non + dessin d’un halecret (une cuirasse). Un halecret est un dur habit (équivalence sémantique). Par l’adjonction du mot initial, on a Non durabit (cela ne durera pas).

Pour fonder une signification naturelle aux couleurs, Rabelais dans le chapitre 10, s’appuie sur la logique et la théorie aristotélicienne des contraires : si le noir est associé au deuil, alors le blanc signifie obligatoirement la joie, p. 113.

Cela suppose une théorie de la connaissance qui postule que l’on peut accéder à l’être des choses par l’analyse de leur juste dénomination. Cela suppose que l’on puisse parvenir par les mots à la chose.

 

3.3 )    Les controverses plaisantes

Rabelais fustige une nouvelle fois le réflexe de penser non par soi-même mais en fonction d’autorités extérieures admises sans examen de la raison : la répétition du « qui ? » au chap.9 insiste sur cette servilité à l’autorité extérieure et fustige le livre au demeurant anonyme (p.107) : « qui vous pousse ? Qui vous aiguillonne ? Qui vous dit que le blanc symbolise la foi et le bleu la fermeté ? Un livre, dites-vous, un livre minable intitulé Le Blason des couleurs, qui est vendu par les charlatans et les colporteurs ? ». P. 111, Rabelais oppose l’argumentation humaniste, fondée sur l’autorité de la tradition rationnelle, aux fantaisies arbitraires des traditions médiévales.

 

3.4 ) Le blason : Gargantua porte sur ses vêtements un blason, p. 103 : la figure platonicienne de l’homme à son commencement avec la devise : « la charité ne cherche pas son propre avantage ». Cette sentence est extraite de la première Epître aux Corinthiens de Paul. Pour Rabelais, le mythe platonicien est une image exacte de la définition paulinienne de l’amour parfait. P. 109, Rabelais refuse les emblèmes fondés sur des jeux de mots par le sérieux et la dignité de l’esprit renaissant. L’emblème de Gargantua est au contraire tiré du mythe platonicien et de la Bible.

 

 

Rabelais rêve ainsi d’un monde déchiffrable où la Nature peut être saisie de façon univoque et d’un langage naturel qui rendrait avec limpidité la nature des choses. Il fustige ainsi tous les jeux de langage et de représentation imagée qui briseraient le lien naturel entre le signe et le référent, et introduirait du désordre et du doute dans la représentation. La livrée de Gargantua est ainsi censée représenter naturellement la joie et le ciel, tout comme le langage rabelaisien se veut une langue naturelle et directe.

 

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3 décembre 2011 6 03 /12 /décembre /2011 17:44

Séance 9

L’éducation de Gargantua

Extrait des chapitres 14 et 23

  

 


L’éducation est un  thème central de l’humanisme. Erasme y a consacré son De ratione studii en 1512 et Guillaume Budé le De studio litterarum recte et commode instituendo en 1527 et 1533.

Le thème de l’éducation dans gargantua est en outre le signe de la confiance de Rabelais dans l’être humain et dans les progrès de la connaissance.

Rabelais confronte deux types d’enseignement, dont il fait reculer le premier dans le temps, à dessein. L’enseignement du sophiste est ainsi placé à une époque d’avant l’imprimerie, et avant 1420 (date de la mort du sophiste). Grâce à la chronique gigantale et au traitement du temps que cela permet, Rabelais confronte ainsi un enseignement qu’il présente très clairement comme moyenâgeux, scolastique, reculé dans le temps et désuet et un enseignement nouveau, celui des humanistes de la Renaissance. Les deux enseignements sont distants d’un  siècle dans l’œuvre.

 

I – Les railleries à l’égard de la scolastique

 

Le premier temps est donc satirique et porte sur la scolastique médiévale. Il donne en réalité la perception globale que les humanistes de la Renaissance en avaient : il ne s’agit pas de la réalité exacte de la scolastique mais de sa caricature.

 

1.1 ) La prophétie comique de Grandgousier

 

Grandgousier apparaît ici comme un personnage comique car il est enfermé dans un optimisme béat concernant son fils. Par le seul fait que celui-ci a inventé un torche-cul, il lui prédit la plus haute sagesse. Les hyperboles déconsidèrent le discours du père : « participe de quelque puissance divine », « aigue, subtile, profonde et sereine », « souverain degré de sagesse ».

Sa position sur l’éducation est de plus fausse et incomplète : il n’assigne pas à l’éducation le but du développement de soi et de sa personnalité, mais l’instruction au sens d’une accumulation savante : « je veux le confier à quelque sage, pour qu’il soit instruit selon ses capacités ». C’est là déjà l’annonce d’un programme d’éducation scolastique, livresque, fait d’une accumulation de savoirs inutiles et desséchants.

 

1.2 ) Les moqueries à l’égard de la scolastique et des sophistes

 

          On peut noter la raillerie à l’égard du sophiste : l’expression « grand docteur sophiste » est ironique.

          Les sophistes étaient des penseurs formalistes, capables de faire servir l’art du langage non à la recherche de la sagesse, mais à la défense de n’importe quelle idée, même mauvaise. Comme Socrate, Rabelais dénonce le formalisme du raisonnement. On retrouve le reproche adressé par les humanistes aux scolastiques : l’apprentissage exclusif des procédés rhétoriques. Ce terme issu de l’antiquité est peut-être aussi une façon de rendre l’attaque plus imprécise. Les premières éditions de Gargantua contenaient le terme « théologien » et non « sophiste » !

          De même, le nom du sophiste est ironique : Tubal (qui veut dire confusion) est la terre sur laquelle règne Gog, ennemi de Dieu, selon Ezéchiel. Holoferne est le type même des persécuteurs du peuple de Dieu, et est connu pour sa lubricité et son ivrognerie (Livre de Judith).

          Le programme d’enseignement proposé est exactement le canon scolastique et brille par sa bêtise et son inutilité : l’alphabet à rebours, les quatre livres de l’enseignement scolastique (la note 6, p. 142, de l’édition, explique le contenu de chaque ouvrage) et l’écriture en lettres gothiques (alors qu’on commençait à écrire à l’italienne. Les humanistes reprochaient aux scolastiques de fonder leur enseignement exclusivement sur la mémoire : ici, l’exercice d’apprentissage par cœur se trouve déconsidéré par le raffinement qu’il comporte : l’alphabet doit être appris à rebours. La mémoire devient une mécanique absurde ne débouchant sur aucun effet de sens. Les quatre livres scolaires symbolisent en outre un enseignement fondé uniquement sur des commentaires et non sur des textes véritables. C’est de plus un enseignement passéiste, fondé sur le trivium antique : grammaire, rhétorique, dialectique.

          Les indications de temps sont exagérées et ôtent toute pertinence à cet enseignement : il faut cinq ans et trois mois pour apprendre l’alphabet, et treize ans, six mois et deux semaines pour les quatre livres, soit 18 ans, 9 mois et 2 semaines. La précision des chiffres participe de la surenchère comique. Le lecteur en conclut que Gargantua n’a donc strictement rien appris. Rabelais dénonce la vacuité des occupations, la perte de temps, la mobilisation de la mémoire pour des connaissances inutiles.

 

II – Un programme d’éducation humaniste

 

Le chapitre 23 se construit en opposition avec le chapitre 14 : à l’enseignement scolastique desséchant, inutile, uniquement livresque, s’oppose une éducation qui comprend l’instruction mais aussi le développement de soi-même, du corps et de la personnalité, et qui comprend toutes les dimensions de la vie. L’éducation doit pouvoir ainsi développer les qualités naturelles de l’élève.

L’éducation nouvelle que propose Rabelais est donc bien plus large que l’apprentissage intellectuel : il s’agit aussi d’éduquer le jeune prince aux futures responsabilités de son royaume.

Ce programme d’éducation est proprement humaniste et le nom de « Ponocrates » forgé sur le grec et voulant dire « Travailleur » rappelle aussi la culture grecque de l’auteur. De même, Anagnostes signifie en grec « lecteur ».

 

2.1 ) La relativisation de la culture livresque

 

Par rapport à l’enseignement scolastique, entièrement livresque, la part de la culture livresque est considérablement réduite. Cette culture comprend la Bible et des romans antiques ou de chevalerie. Les ouvrages scolaires sont abandonnés. Rabelais va de ce point de vue plus loin que les autres humanistes, même Erasme. La part de lecture est considérablement réduite, et Gargantua ne recopie plus les ouvrages comme un scribe de couvent mais écoute les lectures qui lui sont faites. Par ailleurs, la lecture de la Bible est aussi un acte de foi et une célébration de Dieu, et non une controverse aride sur les points doctrinaux (l.4-7). C’est aussi une lecture claire et intelligible, un véritable acte de compréhension – « à voix haute et claire, avec la prononciation requise » - opposé au marmonnement des moines pour qui le texte est incompréhensible (chap.21 et 27). C’est enfin une lecture directe, personnelle, débarrassée des commentaires médiévaux. L’acte de foi fait ainsi partie de l’éducation : il ne s’agit pas seulement d’une éducation intellectuelle : il s’agit d’une amélioration morale, d’un supplément d’âme.

 

2.2 ) L’intérêt des humanistes pour tous les domaines de la connaissance

 

En revanche, l’éducation humaniste proposée par Ponocrates touche tous les domaines de la connaissance : la religion, l’astrologie (l.11-13), la morale (l.15-16), le sport et la connaissance du corps, la littérature, les propriétés médicales des aliments et des herbes. Gargantua devient ainsi un grand sportif, un homme versé dans les saintes Ecritures, lettré, ayant des connaissances sur tout et capable d’être médecin. L’éducation encyclopédique proposée doit ouvrir l’esprit et la curiosité.

 

2.3 ) La part faite au corps

 

L’éducation est aussi celle au boire, au manger et au sommeil, et préoccupe Rabelais en tant que médecin. Avec Ponocrates, Gargantua se lève à 4h du matin (contre 8-9h avec le sophiste), ne fait plus de sieste et ne perd aucune heure du jour.

De même, l’incontinence et l’impudicité de l’excrétion est remplacé dans le contenu par une relative discrétion et dans la forme par une formule médicale et élégante : « Puis allait es lieux secrezt faire excretion des disgestions naturelles ». La relative discrétion de Gargantua dans l’excrétion s’oppose à la volubilité scatologique du chap.13.

Enfin, durant le repas le régime de Gargantua est beaucoup plus varié et fait contraste avec la profusion de viandes salées de l’éducation sophistique.

L’enseignement humaniste donne une place importante au corps : l’activité physique occupe une bonne partie de la matinée et la narration détaille les activités sportives.

De même, l’hygiène fait partie de l’éducation : excrétion (l.8-9), hygiène du corps, l. 14 puis l.27. Rabelais critique vivement le peu d’hygiène de l’époque médiévale et des docteurs de la Sorbonne. Pour l’Eglise, le souci du corps s’oppose au souci de l’âme et de la vie éternelle. Le corps est considéré comme mauvais par sa dimension profane, corrompu et détourne l’homme de Dieu et des préoccupations spirituelles. On remarquera cependant que la nouvelle toilette de Gargantua ne comporte pas d’eau à une époque où l’eau est considérée comme dangereuse et porteuse de maladies.

L’éducation du corps va donc de pair avec l’éducation de l’esprit sur le modèle de l’éducation athénienne dans l’antiquité grecque.

 

2.4 ) Une méthode humaniste

 

La méthode de Ponocrates repose sur un certain nombre de principes :

- la récitation et la répétition : pour être su, l’enseignement se fonde sur la répétition des leçons : répétitions des lectures bibliques, l.9, répétition et récitation des leçons de la veille, l.15, récitation de formules de la leçon, l.28-29.

- Mais c’est aussi un enseignement ouvert et heureux, fondé sur le dialogue, à la manière du dialogue socratique : l.20, 35.

- Cette éducation est une éducation joyeuse, et non contraignante : le sport se pratique sans limitation de durée autre que celle de la résistance physique, la conversation est joyeuse : on y apporte des livres mais ceux-ci ne sont pas la finalité de l’enseignement (l.41-42).

- C’est enfin une éducation pratique : Gargantua apprend en observant les choses de ce monde (les aliments, les plantes, les racines, les étoiles, le soleil, le ciel, la condition de ses contemporains). Le savoir livresque n’est là que pour soutenir l’observation du réel : l.42.

 

2.5 ) Un idéal d’éducation ?

 

Cependant, on peut être surpris par l’utilisation du temps : toutes les activités de Gargantua sont recouvertes par l’éducation, jusqu’au passage à la selle, en passant par le repas ou la promenade. Il s’agit plus d’un idéal que d’un réel programme d’éducation réalisable. En fait, même positif, ce passage entre quand même dans un récit comique : la fébrilité, la surcharge de la journée est du côté comique de la démesure. Il y a également du comique à penser que Gargantua se fait expliquer les points les plus subtiles de l’Ecriture précisément au moment des cabinets. De même, méditer à quatre heures du matin sur « la majesté et jugemens merveilleux » de Dieu pendant qu’on lui passe un gant humide sur la figure prête à sourire. Le comique est plus recherché que dans le chap.14 mais tout aussi évident.

Toutefois, Rabelais propose sa vision humaniste de ce que doit être l’éducation, contre l’enseignement scolastique.

 

Rabelais offre ainsi une progression à son personnage et au lecteur vers plus de sagesse, d’éducation et de savoir-vivre. Il oppose ainsi l’enseignement aride, livresque et stérile de la scolastique à une véritable éducation humaniste, qui touche tous les domaines de la connaissance, s’appuie sur des exemples et des observations complètes, et est un épanouissement de soi-même, intellectuellement et physiquement. Cet idéal est bien sûr inapplicable mais est proposé à titre d’exemple pour éduquer des natures lymphatiques. Dans l’abbaye de Thélème, les participants ayant déjà de la sagesse et du savoir-vivre, certaines contraintes, comme celle du temps, auront disparu. En d’autres termes, cette éducation conduit l’homme à une véritable liberté responsable.

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2 octobre 2011 7 02 /10 /octobre /2011 15:32

Le thème du corps

 

Le corps trouve son expression avec l’Humanisme renaissant contre le mutisme médiéval à son égard. Il est l’objet de la célébration des humanistes, de l’étude des médecins et des artistes. Alors qu’il était considéré comme un objet à rejeter, œuvre de corruption et de détournement de Dieu au Moyen Age, il est célébré au XVIe siècle comme le centre du monde. L’homme de Vitruve n’est-il pas au centre du cosmos, lien entre le Ciel et la terre ? Le corps prend avec l’humanisme quatre dimensions : c’est tout d’abord le corps médical, celui que l’on explore à la suite de la médecine antique. C’est ensuite le corps divin, l’homme étant à l’image de Dieu : corps supplicié du christ et des saints, corps en gloire. Le corps au XVIe siècle ne peut être envisagé en dehors de sa dimension religieuse. C’est ensuite le corps profane, célébré dans sa force vitale par les peintres de la Renaissance. C’est enfin le corps de la femme, exhibé, magnifié, et présenté dans sa sensualité. Nous verrons que dans Gargantua la perception du corps est tout d’abord celle d’un auteur médecin. C’est de cette perception médicale que découlent les différentes fonctions du corps dans l’œuvre. On verra également le rapport du corps profane au sacré dans l’œuvre. On verra ensuite la célébration du corps profane, dans ses plaisirs mais aussi dans ses souffrances et ses angoisses, reflet d’une époque optimiste mais aussi inquiète.

 

I – Une approche médicale des personnages et de l’être humain

 

A / Une fonction dramatique

 

1 ) La construction des personnages

 

Le thème du corps entre directement dans la construction des personnages. Il faut comprendre la personnalité des personnages dans leur rapport avec la médecine. Le caractère des personnages est ainsi fondé sur leur organisation physiologique.

Cette façon de concevoir l’être humain vient d’Hippocrate, de Claude Galien et est reprise par Ambroise Paré. Le tempérament est la conséquence de la proportion relative des humeurs : le sang, le phlegme ou pituite, la cholère ou bile jaune, la mélancolie ou bile noire. Gargantua est ainsi dominé par le phlegme (p.95) ce qui explique son appétit insatiable, sa paresse, sa vie passée à dormir, boire et manger, comme on le voit dans les chapitres sur son enfance et son adolescence. Cela explique aussi l’insistance sur son incapacité à maîtriser l’excrétion. Ces caractéristiques psychologiques et physiques ont été préparées dès le chapitre de la naissance : ce phlegme vient de son contact trop important avec les matières fécales.

Le narrateur suggère les effets néfastes de cette complexion physique et psychologique pour un futur roi. Ainsi, l’organisation médicale du personnage détermine aussi pour une part le programme d’éducation de Gargantua. L’éducation des sophistes ne peut que renforcer la complexion flegmatique du personnage et explique sa débilité de corps et d’esprit (charcuterie, sommeil, hygiène approximative). L’éducation de Ponocrates au contraire est avant tout une diète pour restaurer l’équilibre des humeurs : il faut réduire l’action du phlegme (chap.23), dans la lignée du canon médical et des idées de Marsile Ficin. D’ailleurs, Gargantua devient travailleur, endurant et modéré.

 

2 ) Un rôle dans l’action

 

L’approche médicale des personnages explique en partie l’organisation du récit. Ainsi, la composition flegmatique de Gargantua conditionne pour une part, nous l’avons vu, l’opposition entre les deux types d’éducation proposés par Rabelais. C’est aussi l’opposition entre la bile noire de Picrochole et la sagesse et la retenue de grandgousier qui détermine la guerre picrocholine.

 

B / Une fonction symbolique

 

1 ) La présence de la médecine

 

Le narrateur se plaît à rappeler l’organisation du corps humain, comme lors de la naissance de Gargantua qui traverse le corps de sa mère, ou lors de la guerre picrocholine. L’approche de l’être humain est essentiellement médicale et on sent un Rabelais prenant fait et cause pour les études médicales. La narration est ainsi marquée par les dissections dans la geste de Frère Jean ou par l’amplification systématique des blessures. On peut y voir un acte de liberté et d’opposition à la ligne doctrinale de l’Eglise : c’est aussi le plaisir du médecin à disséquer sur le papier des corps dont l’Eglise interdit l’exploration.

 

2 ) Le refus des interdits moraux et religieux

 

Le corps s’exhibe dans Gargantua dans son impudicité et toutes ses fonctions, sexuelles comme scatologiques. Rabelais se plaît à insister sur les parties du corps – « le bas-corporel » - sur lesquelles règne un mutisme, un interdit civil et religieux. Le corps profane est ainsi célébré dans ses fonctions et ses plaisirs, en toute liberté, pour l’homme comme pour la femme.

De fait, Rabelais refuse la fidélité servile à une ligne doctrinale et sépare le corps naissant de Gargantua de la nativité du Christ. Le corps profane doit pouvoir être célébré sans passer pour blasphématoire à l’égard de la vérité sainte.

 

3 ) Corps et Salut

 

Pourtant, le propos de Rabelais ressort d’une problématique religieuse. Ainsi, la guerre picrocholine trouve son origine dans le corps de Picrochole et dans sa complexion médicale : il est dominé par la bile jaune, ie la bile amère. Il est en ce sens la figure de l’hybris et du déséquilibre. A travers l’opposition de Picrochole et de Grandgousier puis Gargantua, Rabelais oppose l’homme soumis à ses passions, à l’influence des astres, promis à la déchéance, et l’homme juste et tempéré qui trouvera son repos en Dieu. De la complexion médicale et du degré de maîtrise de cette complexion et de liberté de l’homme naît aussi le Salut dans l’au-delà.

 

L’approche médicale des corps détermine la construction physique et psychologique des personnages. Elle entre aussi dans la défense de la médecine contre les interdictions de l’Eglise tout en justifiant de façon inattendue la conviction religieuse de Rabelais sur le Salut.

 

II – Le corps jouissant : une célébration humaniste de la vie

 

A / La célébration de l’homme et de la vie

 

1 ) La célébration du corps jouissant

 

Gargantua est une fête énorme du corps : les chapitres abondent en ripailles, débauches du ventre et du sexe. Toute l’œuvre est parcourue par une ivresse dionysiaque. C’est aussi la joie du corps jeune, actif, qui se dépense, comme dans les jeux physiques de Gargantua enfant et adolescent, qui font penser à l’ « Education d’Achille » dans la galerie de François Ier à Fontainebleau.

L’usage d’une chronique gigantale ne fait que renforcer cette célébration hyperbolique du corps humain. La stature imposante du géant donne ainsi lieu à une multiplication des adjectifs numéraux indicateurs de quantité, dans un effet comique et impressionnant. Il en est ainsi des 17900 vaches de Pantille et de Brehemond destinées à l’allaitement et des dimensions de la livrée de Gargantua.

 

2 ) La célébration de la vie des êtres humains

 

Cette célébration du corps est aussi une célébration heureuse de la vie, dans toutes ses dimensions, psychologiques mais aussi physiques. Au chap. 3, p.69, le narrateur célèbre les natures heureuses et les plaisirs de la vie. L’alimentation de Grandgousier laisse entrevoir un personnage solide, ouvert à l’amitié, plein de « sel » et de sollicitude (cf. surabondance de nourriture salées). Gargamelle elle aussi aime les plaisirs de la vie, des banquets et du sexe, sans fausse pudeur, dans une acceptation du corps. Fille des Parpaillons, elle symbolise un naturel en contradiction avec les préceptes de l’Eglise. C’est aussi pour cette raison que Rabelais insiste sur les parties du corps sur lesquelles règne ordinairement un interdit religieux : son œuvre est une acceptation du ventre et de ses fonctions, et du sexe.

 

3 ) La métaphore de l’envie de vivre

 

Les nombreuses scènes de beuverie, prises dans l’évolution de l’œuvre (cf. séance 3) sont aussi à comprendre de façon métaphorique. Ainsi la soif est aussi la métaphore de la soif de la vie. Boire, c’est accepter ses besoins humains, accomplir son humanité. Mais c’est aussi, de plus en plus dans l’œuvre, boire la vérité. Cette soif de vie et de savoir s’exprime diversement au chapitre 3 : « Je bois pour les soifs de demain » ou dans le dernier mot de Jésus sur la croix, rappelant aussi son humanité, et son attachement, malgré tout, à la vie terrestre : « J’ai soif ». Manger permet aussi d’accomplir son humanité : c’est un besoin naturel et légitime de l’homme, et en ce sens, c’est le souhait final de frère Jean : « Et grand chère ! ». Mais c’est aussi la volonté de connaissances humanistes sur l’homme, le monde et la vie qui est figuré dans l’acte de manger, comme pour le chien de Socrate suçant la « substantifique mœlle ».

 

4 ) Une célébration du langage

 

La célébration du corps est en même temps une célébration du langage qui le dit, en contradiction avec les préceptes de l’Eglise et les avertissements de la Sorbonne. Les scènes mettant en jeu le corps sont aussi des fêtes verbales de la nomination et de l’énumération, dans un jaillissement et des cascades de mots ininterrompus. La parole se déploie dans sa richesse, dans sa polysémie, et la grossièreté et l’obscénité sont aussi une fête du langage pour dire diversement les parties du corps sur lesquelles pèse l’interdit langagier. Le sexe est ainsi présent en paroles, pas en acte ! et donne lieu à divers noms, surnoms pour désigner et dire les qualités du membre viril. L’hyperbole de la braguette dans la livrée de Gargantua fait sauteur plaisamment les interdits langagiers sur le sexe. Ce n’est pas un hasard si la partie la plus célébrée de Gargantua (d’où son nom) est le gosier : fonction alimentaire certes, le bébé réclamant immédiatement à boire, mais aussi fonction vocale (il parle immédiatement !). Le chapitre 21 célèbre d’ailleurs les exercices vocaux du personnage !

 

B / Le problème du corps féminin

La femme n’est pas vraiment abordée dans l’œuvre, au demeurant pas du tout féministe. Rabelais semble avoir été totalement indifférent à la promotion de la femme dans la littérature courtoise (les codes de la fin’amor) médiévale. Les femmes de l’abbaye de Thélème ne diffèrent guère des hommes, et les deux sont assortis par des codes de couleurs. Gargamelle est tout à fait identique à son mari pour l’appétit et l’appétit sexuel. Lui boit et elle mange des tripes. Le corps de Gargamelle est l’objet de deux lectures contradictoires. D’une part le ventre féminin est l’objet d’une inversion des valeurs : il n’est pas celui qui donne la vie mais celui qui se vide de merde, l’enfant sortant par l’oreille gauche. D’autre part, toutefois, à une époque de mutisme sur le désir féminin et de soumission de la femme au désir masculin, Gargamelle assume librement et ouvertement l’envie du sexe de son mari et plaisante aussi librement que Grandgousier. En exprimant sa liberté, la femme finit dans l’œuvre par perdre les spécificités de sa condition et par ressembler aux hommes !

 

La célébration du corps entre dans la célébration humaniste de l’homme et de la vie humaine, dans une acceptation des besoins, des habitudes de l’homme, et dans une célébration du langage qui s’affranchit des interdits moraux et religieux.

 

III – Le corps souffrant

 

Cette célébration humaniste du corps est cependant aussi le lieu de l’angoisse, et est en ce sens aussi le reflet de l’époque de Gargantua.

 

1 ) Le corps souffrant

 

Malgré l’atmosphère euphorique du début de l’œuvre, le corps apparaît aussi comme un corps souffrant : la naissance de Gargantua, qui donne lieu au parcours du corps de la mère est une véritable torture pour Gargamelle. D’ailleurs, on remarque une inversion des valeurs ordinairement attribuées au ventre féminin : par le ventre de Gargamelle sort la merde symbole de mort, tandis que la vie lui sort par l’oreille gauche. Le ventre n’est donc pas celui qui donne la vie mais une absurde mécanique qui s’emplit et se vide. Le ventre de Gargamelle préfigure dans l’œuvre le ventre triste de Gargantua sous l’éducation des sophistes qui se vide comme il le peut (chap.21, p.174).

Le sexe est en tout premier lieu associé à l’angoisse. Dans les souffrances de l’enfantement, Gargamelle maudit le sexe de Grandgousier qui peut la faire mourir : l’angoisse du sexe est une angoisse de mort (chapitre 5).

 

2 ) La présence de la mort

 

La présence de la mort est de plus en plus forte dans l’œuvre : frère Jean assène du bâton de sa croix des coups violents sur des têtes et des membres. Les moinetons achèvent les blessés avec raffinement en les « égorgetant » de leurs petits couteaux (chap.27). Dans les boyaux d’un paysan s’empêtre le pied du cheval d’Eudémon (chap.36). Chapitre 44, un archer a le cou rompu et la tête lui pend par la peau sur les épaules, et d’un autre archer on voit les méninges et les ventricules. La narration détaille à l’envie tout ce que frère Jean a tranché.

 

3 ) Le reflet d’une époque

 

 Le XVIe siècle est marqué par l’inquiétude liée aux persécutions religieuses, aux guerres et aux famines. La guerre picrocholine est marquée par des descriptions empruntes de sadisme, de terreur et rappelant les représentations de l’Apocalypse. De fait, l’œuvre ne s’achève pas sur la note heureuse de l’abbaye de Thélème : la fin du texte prédit les persécutions et l’Apocalypse prochaine. En ce sens, les plaisirs de la vie, du manger et de la boisson, doivent être compris en cette époque comme un dérivatif à la peur de mourir (cf. chap.5), à la peur de la guerre et des grandes persécutions.

 

 

 

Le corps sert de construction physique et psychologique des personnages : on sent l’écriture d’un écrivain médecin. Il est aussi une célébration de l’homme, de ses besoins naturels, dans une acceptation et une connaissance de soi-même et de toutes les dimensions de la vie humaine. Rabelais demande la connaissance de soi, la responsabilité, mais aussi la générosité, la foi en Dieu et en l’amitié humaine, dans une vision humaniste de l’homme. C’est qu’il s’inscrit contre les interdits moraux et religieux concernant le corps, contre la guerre et les persécutions. Dans un contexte angoissant, le corps représente une promesse de vie et un oubli au moins temporaire des peurs.

 

 

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2 octobre 2011 7 02 /10 /octobre /2011 15:13

La naissance de Gargantua

Chapitre 6 : Comment Gargantua nasquit en façon bien estrange

Objectifs :

     Le rire et le comique et la fonction de la grossièreté et de l’obscénité

    Le problème de la foi et l’opposition à la Sorbonne

    La position du narrateur et la revendication de la liberté de création et de fiction

    Etude du thème du corps

Problématique :

Ce chapitre est d’une obscénité évidente, renouvelée, lourde. Pourtant, la référence finale à Pline semble indiquer qu’il ne faut pas y voir qu’obscénité. La problématique essentielle du texte serait donc qu’il y a, selon les termes de François Rigolot, dans Les langages de Rabelais, un « au-delà de la parole » derrière les gauloiseries. Ces grossièretés, ces obscénités cacheraient (ou révèleraient) un sens plus profond.

Ces obscénités peuvent certes s’expliquer en partie par le contexte du XVIe siècle. Ce qui nous paraît grossier ne l’est pas forcément pour un homme de la Renaissance, tant ces codes sont culturels et évoluent avec les civilisations et les époques.

De plus, rien de plus banal, dans la littérature dite « bourgeoise » que les grossièretés. Les propos licencieux sont même des éléments indispensables à la littérature comique. Cependant, si Rabelais a été condamné pour obscénité, c’est bien que la grossièreté était en partie au moins perceptible.

On peut alors aussi se poser la question de la fonction de la plaisanterie grossière et de l’obscénité. 

Questions :

1.      Dégagez les grandes étapes du chapitre et montrez qu’elles correspondent aux étapes de l’accouchement.

2.      En quoi peut-on dire que Rabelais célèbre ici les plaisirs du « bas corporel » (M. Bakhtine) ? Trouvez dans l’œuvre les autres passages où ces plaisirs sont pareillement célébrés.

3.      Par quels termes le narrateur qualifie-t-il la naissance de Gargantua ? Est-ce justifié ?

4.      Quels livres sont évoqués dans cet extrait ? Expliquez comment le narrateur se moque des références qu’il propose.

Mise au point avec les élèves sur la structure du chapitre.

I – Un comique obscène

1.1 ) Un imaginaire grotesque qui insiste sur les parties inférieures du corps

On peut noter l’importance donnée au corps et aux basses parties de celui-ci. Les noms sont des caractérisations métonymiques des personnages : Grandgousier (grand gosier), Gargamelle, Gargantua (vorace). Ils viennent de sobriquets populaires.

Le passage constitue une glorification des appétits naturels de l’homme et de la femme, dans une exaltation joyeuse. Il s’agit du « bas corporel » selon l’expression de Mikhaïl Bakhtine. Les bas instincts sont illustrés et sont source de comique. Il s’agit du goût de la nourriture, du goût de la boisson, de l’appétit sexuel. Le début du chapitre insiste sur les douleurs du bas ventre de Gargamelle. La suite plaisante sur le sexe de Grandgousier.

Le comique est un comique grossier donnant dans la scatologie. La deuxième partie du chapitre repose sur l’effet visuel et révulsant de la confusion entre l’enfant et la merde, à grand renfort de détails scatologiques (p.87). Il y a même une gradation avec une seconde image, celle des sphincters élargis avec les dents (p.89). Il y a là la volonté de faire voir la scène, révulsante au demeurant. La grossièreté s’impose et forme un « huis-clos » pour l’imagination. François Rigolot parle de « mots-choses », tant la matérialité de la scène est présente. Cette seconde image trouve un prolongement comique avec la plaisanterie sur le diable à la messe de saint Martin (p.89).

On voit là une première fonction au rire et à l’obscénité : Rabelais veut triompher du mutisme, des interdits qui pèsent sur la vie et les façons de la dire.

1.2 ) Le burlesque

 La naissance de Gargantua n’est pas une naissance glorieuse : elle a lieu au beau milieu d’une beuverie populaire, à la vue de tous et Grandgousier se propose de boire encore pour supporter les souffrances de sa femme (p. 87). Les premiers mots de Gargantua invitent à boire (p.89) et donnent lieu à une facétie sur les noms de « Beusse » et de « Bibaroys ».

Le comique repose sur l’hyperbole comme pour le motif des tripes, p.87.

La naissance de Gargantua est enfin en elle-même grotesque et ridicule : elle ne ressemble pas aux naissances des modèles littéraires du XVIe siècle : ni à la naissance du christ, ni à la naissance des héros des romans de chevalerie.

 

1.3 ) La revendication de la liberté de création

Ce passage est aussi un plaidoyer pour la liberté de l’imagination et une revendication du droit à la fiction. Le narrateur s’adresse à son lecteur et le plaisante sur le caractère fictif et grotesque de son histoire, invoquant d’autres exemples plus grotesques qui font pourtant autorité (p.93). L’invention doit pouvoir être prise en bonne part, de façon heureuse, sans passer forcément pour blasphématoire, et sans être automatiquement interdite.

 Le rire ici est revendiqué dans de ce qu’il a de plus grossier, de plus burlesque et scatologique. Ce rire entre ainsi dans une défense de la fiction, de l’invention romanesque, qui doit être libre et comprise heureusement, et non l’objet des suspicions et des interdictions de la Sorbonne.

 

II – La parodie de la naissance christique

2.1 ) L’envers de la nativité

La naissance de Gargantua est l’envers de la naissance du Christ. C’est tout d’abord une naissance merveilleuse : l’enfant, au lieu de naître normalement, sort par l’oreille gauche (p.89), version grotesque de l’Annonciation par l’Archange Gabriel. Le narrateur qualifie cette naissance d’ « étrange nativité » (p.89), faisant ainsi référence à la nativité du christ. Ces allusions pouvaient être perçues comme blasphématoires par la Sorbonne. L’édition propose des passages présents dans les premières éditions et supprimées ensuite par Rabelais : on voit que l’auteur a bien enlevé les plaisanteries sur la religion les plus visibles, par mesure de sécurité.

 2.2 ) Le rejet de la Sorbonne

Rabelais rejette la fidélité oppressive à la doctrine religieuse : la volonté de tout rapporter à la vérité sainte et de rejeter toute chose comme blasphématoire ou hérétique si elle ne semble pas se rapporter à cette vérité : p.89-90 : « Est-ce contraire à notre loi et à notre foi, contraire à la Raison et aux Saintes Ecritures ? Pour ma part, je ne trouve rien d’écrit dans la sainte Bible qui s’oppose à cela ».

Rabelais oppose l’oppression doctrinale de la Sorbonne au véritable acte de foi. L’acte de foi doit être une bonne crédulité. La foi est la confiance en Dieu : dans le pouvoir de Dieu de tenir ses promesses : « à Dieu rien n’est impossible » (p.91).

Cela implique une confiance dans la lecture directe du texte. C’est bien une lecture directe et une compréhension heureuse que demande le narrateur : « un homme de bon sens croit tousjours ce qu’on luy dict et qu’il trouve par escript » (p.88-89) ; « Je ne trouve rien dans la Sainte Bible » (p.91).

 En comparant la naissance de Gargantua à celle du Christ, Rabelais va à l’encontre de l’autorité doctrinale de la Sorbonne. Par là, il montre son rejet de l’asservissement à la pensée doctrinale, et demande une lecture directe de la Bible, et une foi en la toute-puissance divine.

On voit là une autre fonction du rire et de l’obscénité : il peut s’agir de camoufler sous la plaisanterie grossière des vérités difficiles à dire, et donc pour l’auteur d’éviter le bûcher.

III – Un usage libre de la culture

Dans le dernier temps du texte, Rabelais propose à son lecteur un véritable cheminement de pensée. On quitte en effet la scène de la naissance de Gargantua pour s’intéresser à des exemples livresques. Rabelais s’amuse à détourner l’attention de son lecteur de la scène triviale de la naissance pour mieux allumer sa curiosité.  Peut se mettre en place l’aventure intellectuelle qu’il réclame de ses lecteurs.

 

3.1 ) Une culture livresque ?

- Références grecques antiques, dans celle à Pline (p.93), et à la Bible.

- Bacchus (p.91), Minerve, Adonis, Léda, Castor et Pollux viennent de la mythologie  antique romaine.

- Rochetaillée et Croquemuche appartiennent à des légendes populaires.

On voit aussi l’éloge de la médecine : la naissance de Gargantua donne lieu à une description en termes médicaux du corps : p. 89 « cotylédons de la matrice », « veine creuse », « diaphragme ».

 

3.2 ) La parodie de la « justification »

 Parodie de la justification : Rabelais accumule des références livresques pour justifier la naissance grotesque de Gargantua, comme dans un discours relevant de la rhétorique. Toutefois, ces références sont trop nombreuses pour être vraiment chacune efficace, elles sont tout aussi grotesques que la naissance du héros, et en plus le narrateur mêle des références à la mythologie antique à Rochetaillée et Croquemouche ! Le narrateur tourne donc en dérision ce savoir livresque farci de références irréalistes, comme peut l’être le savoir enseigné par la scolastique.

Parodie de l’argument d’autorité : la référence finale à Pline est tout d’abord invoquée comme un argument d’autorité puis tournée en plaisanterie : cette référence n’est pas plus sérieuse que les autres et Pline est qualifié de « menteur ». Rabelais, comme les autres humanistes, rejette les langages empruntés ou falsifiés qui opacifient la pensée. La liste d’exemples littéraires est en même temps une négation de leur valeur (cf. la modalité interrogative : ces questions rhétoriques jettent un doute sur le sérieux et la validité même du discours).

3.3 ) La réalité de la vie

Contre ce faux savoir ridicule, rabelais nous parle au contraire crûment de la réalité de la vie, en prenant en compte, le corps, jouissant ou souffrant, la matérialité de la naissance, l’aspiration aux plaisirs. On voit là une autre fonction à la grossièreté et à l’obscénité : l’auteur est aussi en quête d’une parole « naturelle », originaire, signifiante, qui dit l’humain, et pour laquelle « rien de ce qui est humain n’est étranger ».

 Rabelais accumule des références scolastiques pour se moquer plaisamment de ce faux savoir. Contre l’accumulation de savoir livresque, il propose une fable plaisante sur la vie, où le rire désarme les préjugés et les paresses intellectuelles.

Ce texte est donc une illustration du programme humaniste de Rabelais : sous la fable grossière et l’obscénité, les sujets sont plus profonds que l’histoire ne le laisse supposer. Rabelais revendique sa liberté d’auteur, de créateur, contre tous ceux qui voudraient faire plier tout écrit aux vérités doctrinales catholiques. Il demande une lecture libre, individuelle et heureuse. Il propose ainsi le récit d’une naissance qui doit pouvoir être écrite sans qu’elle puisse passer pour un blasphème vis-à-vis des Ecritures. Il veut aussi triompher du mutisme qui pèse sur certains domaines interdits. Il se moque aussi du savoir scolastique abêtissant et des autorités parfois aussi grotesques que sa propre fable. Contre tous les langages empruntés, il préfère une parole vraie, naturelle, originaire, qui dit l’existence et l’humain.

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30 septembre 2011 5 30 /09 /septembre /2011 17:37
Le Prologue

 

Problématiques :
    Quel mode de lecture et de pensée demande le narrateur ?
    En quoi le narrateur s’oppose-t-il déjà à la Sorbonne et plus généralement à toute forme d’oppression mentale ?
QUESTIONS :
①.    En vous aidant d’un dictionnaire et d’une encyclopédie, dégagez les différents sens du mot « Silène » tel qu’il est utilisé dans le « Prologue » et les différentes époques auxquelles ces sens correspondent. Montrez que la démarche de l’auteur vise à clarifier pour un public qui n’est pas érudit un adage antique.
②.    A propos de Gargantua, dites en quoi le modèle du Silène peut sembler pertinent. Quels sont les deux aspects de l’œuvre que ce modèle met en évidence ?
③.    Quelle est la représentation du lecteur dans ce « Prologue » ? Quel mode de lecture l’auteur réclame-t-il ?
④.    Contre quels excès interprétatifs l’auteur met-il en garde ?
 D’après le nouveau style, rédaction tardive, après celle de l’histoire, juste avant la publication. [ Concentre les finalités de l’œuvre, ce qu’a voulu faire Rabelais, son message principal.
 1. Pour désigner son œuvre, Rabelais utilise l’image du « Silène ».
    Parole d’Alcibiade dans Le Banquet de Platon : comparaison que fait Alcibiade entre Socrate et des petites statuettes appelées « Silènes », laides et ridicules mais qui révélaient l’image d’un dieu quand on les ouvrait.
    Silène : personnage de la mythologie, gros, vieux, laid et ivrogne qui fait partie du cortège de Bacchus.
    Ici, l’auteur donne un équivalent des sileni antiques : boîtes vilainement décorées chez les apothicaires, mais qui contiennent des drogues précieuses.
 [ Il trouve un équivalent des sileni antiques, car seuls quelques lecteurs peuvent connaître ces sileni. On voit la volonté de clarification, la volonté d’être audible auprès d’un public lettré. Cette œuvre est aussi une œuvre argumentative, destinée à un public lettré et modain. Elle propose un véritable dialogue avec le lecteur, un partage des connaissances et de la réflexion.
 L’adage des silènes est en fait un lieu commun classique. Ce n’est pas une trouvaille d’érudits mais il appartient au fonds commun de culture classique des humanistes et du public lettré (Erasme y consacre un essai important dans ses Adages ; adages et apophtegmes ont d’ailleurs un immense prestige à la Renaissance). C’est donc une image utilisée par l’humanisme. Cette œuvre s’affirme comme une œuvre humaniste.
2. La figure de Socrate est utilisée pour désigner l’œuvre de Gargantua. Socrate est en effet un personnage à l’extérieur laid, ridicule et gauche. Mais intérieurement, il est « divin » par sa sagesse, méprisant les envies vulgaires, homme de connaissance et d’intégrité morale.
 Il est donc un paradoxe comme l’œuvre de Gargantua :
• apparence laide, rustre, de conte populaire à la matière triviale (filiation possible avec Pantagruel et écrit en français, langue méprisée et éditée en caractères gothiques)
• porteur de sagesse // Utopia de Thomas More que le traducteur en français compare aux sileni d’Alcibiade.
L’auteur invite donc à un double niveau de lecture, et à voir sous la fable et le conte grossier la sagesse qui y est cachée.
 Cependant, si cette œuvre est porteuse de sagesse, alors pourquoi ces éléments qui semblent intrus comme le vin ? Socrate, dans Le Banquet, est présenté à la fois comme divin mais aussi comme à visage humain. On peut ainsi comprendre dans le même Prologue l’éloge du vin, des plaisirs de la vie, de la compagnie, qui élève l’âme. La sagesse que propose Rabelais est une sagesse à visage humain, et non le savoir desséchant d’un érudit de cabinet.
3. Le lecteur est comparé au chien de Platon qui ronge l’os afin d’atteindre « la substantifique mœlle ».
 Rabelais demande ainsi une lecture qui cherche dans le livre un sens plus profond, sens que les sages trouvent sous la banalité de surface.
Il faut percevoir les éléments sérieux en dépit de l’aspect trivial de l’histoire.
Rabelais invite ainsi le lecteur à se confronter directement à son texte, de façon libre, raisonnable et indépendante. Il en appelle à l’interprétation personnelle. Il veut que son lecteur réfléchisse par lui-même et non en fonction d’autorités extérieures. On voit là un mode de lecture humaniste à l’opposé de la scolastique sclérosée que avait abandonné le libre exercice de l’entendement au commentaire déjà fait et jugeait de tout en fonction d’autorités religieuses extérieures.
C’est proprement faire exercice de liberté, dans la conscience de la richesse sémantique du texte, et ne plus se soumettre à l’oppression mentale religieuse.
4. En même temps, Rabelais invite à se garder de la surinterprétation, d’une ingéniosité perverse qui voit dans un livre tout à fait au-delà de ce qu’un auteur a voulu y mettre (ex. : significations codées chez Homère, ou éléments chrétiens chez Ovide).
 
Contre la scolastique et la Sorbonne (autorité religieuse pourchassant les blasphèmes et les hérésies), Rabelais réclame une liberté de penser, une lecture qui soit une interprétation personnelle et libre des texte, contre toute forme d’oppression mentale.
D’ailleurs le chapitre II invite au déchiffrement et à l’interprétation personnelle en refusant tout sens clair et figeable collectivement. De même, l’ « Enigme en prophétie » qui clôt Gargantua offre aussi au lecteur de multiples interprétations possibles.
 
Rabelais propose donc une nouvelle méthode, humaniste, de penser.
 
 
ù Le Moyen Age est dominé par la méthode scolastique qui étouffe des textes peu sûrs sous des commentaires et empêche le contact direct avec les textes.
ù Cette méthode veut de plus tout interpréter dans le sens des vérités révélées par la Bible et acceptées par l’Eglise. Cela veut dire que la solution du raisonnement est donnée au départ ! Reste à rattacher tous les textes à cette vérité a priori !
ù C’est en plus une entreprise terroriste pour la pensée et la personne puisque tout ce qui échappe à cette vérité, ou qui semble s’en écarter est considéré comme blasphématoire et est puni de mort. Ecrire l’histoire comique de géants soiffards est donc en soi un véritable acte de liberté et de bravoure ! Rabelais n’a pu échapper aux condamnations de la Sorbonne que grâce à ses amis puissants.
ù Enfin, cette volonté de comprendre le monde et les écrits en les conciliant avec la vérité religieuse amène à des excès interprétatifs comme rapporter les Métamorphoses d’Ovide eu sens chrétien.
[ Cette scolastique s’appuie sur le principe de la quadruple interprétation :
- littérale
- allégorique
- tropologique : interprétation morale, préceptes de conduite
- anagogique : sens spirituel en lien avec les Ecritures.
 
 
Cette situation permet de comprendre les insultes à l’égard de la Sorbonne dans le « Prologue » : il y a là un réel danger !
 
 
Rabelais appelle à un nouveau mode de compréhension et d’interprétation inspiré d’Erasme et revendiqué par l’humanisme.
ù Il faut s’affranchir des médiations (commentaires) et des méthodes contraignantes pour acquérir un libre esprit (pas de fidélité rigide à la lettre).
ù Rabelais en appelle à une médiation intime, intuitive.
ù Il faut s’approcher du sens sans vouloir le contraindre (le faire servir à une vérité extérieure) ou l’épuiser. La lecture est ainsi une démarche prospective, une aventure spirituelle, faite de liberté de l’esprit.
ù Il faut rejeter les préjugés, les principes rigides [ interpréter « toutes choses à bien » ie dans la confiance et la générosité.
ù La réflexion est donc une démarche intérieure, faite de liberté.
 
 
Rabelais veut enfin répliquer à l’oppression mentale et à la violence par le rire.
[ il rend ridicule son adversaire
[ il fait de la parole non plus une arme, mais une récréation commune, une voie vers la sagesse, d’où les scènes de conversation joyeuse, de facéties, de jurons, de balivernes, qui neutralisent les tensions et les inquiétudes.

 

 
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