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1 mars 2023 3 01 /03 /mars /2023 12:41

Lecture linéaire n°3 L’évasion de Saint-Lazare

 

Ce texte est extrait de Manon Lescaut, un roman publié par l’abbé Prévost en 1731. Le roman raconte la passion dévorante de deux jeunes gens. Cet amour transgressif et très vite condamné par la société entraînera les amants dans de folles aventures. Punis pour leurs exactions, les amants ont été séparés et incarcérés dans les prisons de Saint-Lazare et de l’Hôpital. Des Grieux, qui ne songe qu’à libérer Manon, doit pour cela s’évader d’abord. Il y parvient grâce à l’arme que lui a prêtée Lescaut, le frère de Manon, mais au prix du meurtre d’un domestique. Le roman d’aventures pose des questions morales : la passion conduit Des Grieux à braver toute autre loi que celle du cœur. Nous nous demanderons donc comment ce récit de libération annonce une perpétuelle condamnation à la marginalité. Nous verrons que l’extrait raconte tout d’abord une libération de la ligne 1 à la ligne 7, puis que la mort du domestique conduit à la naissance de la marginalité de Des Grieux, de la ligne 7 à la ligne 21, et enfin que cette première évasion en appelle une autre (lignes 21 à 26).

Le premier temps est celui, romanesque, de la libération. Il comporte un certain nombre d’attendus de ce type de scènes. Les « clefs » sont tout d’abord le symbole de l’emprisonnement de Des Grieux. Il s’en empare symboliquement et c’est à partir de ce moment-là qu’il devient maître de l’action : « j’aperçus les clefs », « je les pris », « je le priai de me suivre ». A la fin de cette 1ère partie, la « chandelle dans une main » et « le pistolet dans l’autre » seront eux aussi des topoï de ce type de scène romanesque. Des Grieux dramatise son récit en le faisant progresser par étapes : on le voit aux connecteurs logiques et temporels : « à mesure que », « enfin », « déjà » mais aussi au franchissement symbolique des différents obstacles : « une porte », « une espèce de barrière », « la grande porte de la rue ». Des Grieux narrateur ménage le suspense en anticipant sur sa libération : « je me croyais déjà libre » tandis que les éléments de la chandelle et du pistolet annoncent le drame à venir. Les échanges brefs entre les deux personnages « Ah mon fils, ah ! qui l’aurait cru ? point de bruit, mon Père » traduisent la surprise et l’émotion mais aussi le rythme sapide de l’évasion et la hardiesse de Des Grieux. On notera les interjections (« Ah ! »), la question oratoire du Père : « qui l’aurait cru » traduisant l’incompréhension de celui-ci, et les phrases brèves, exclamatives et nominales. On comprend que le Père a une certaine affection pour Des Grieux qu’il qualifie de « mon fils ». De fait, l’évasion de Saint-Lazare se double symboliquement d’une libération de l’autorité paternelle : la figure du Père de Saint-Lazare venant redoubler symboliquement la figure réelle du père de Des Grieux qui avait été cause de son enlèvement auparavant dans l’œuvre.

Le 2e temps du texte est celui de la mort du domestique et de la condamnation de Des Grieux à la marginalité. On retrouve tout d’abord un topos de la scène d’évasion avec le bruit des « verrous ». Le récit est fortement dramatisé. On le voit au passage du temps de l’imparfait à celui du présent de narration : « un domestique, qui couchait dans une petite chambre voisine se lève et met la tête à sa porte ». La suite du récit est un enchaînement rapide d’actions limitées dans le temps et rapportées au passé simple : « il lui ordonna », « qui s’élança », « je lui lâchai ». De plus, la parataxe permet d’accélérer encore le rythme du récit. La scène est romanesque et pleine de rebondissements. L’apparition du domestique constitue une péripétie qui fait rebondir l’action alors que Des Grieux était sur le point de sortir. Cependant, on assiste aussi à la naissance d’un nouveau personnage, bien loin du jeune homme « excessivement timide et facile à déconcerter » du début de l’œuvre.  On note ainsi les nombreux modalisateurs du texte : « le bon Père », « un puissant coquin », « avec beaucoup d’imprudence », « voilà de quoi vous êtes cause », « c’est votre faute ». Des Grieux veut justifier le meurtre qu’il commet en tuant le domestique et plaide d’une certaine façon son innocence. Il fait ici le procès du Père rendu responsable de la mort du domestique. Plus tard, il fera la même chose avec Lescaut lui reprochant de lui avoir donné un pistolet chargé. On remarque aussi que le récit du meurtre est expédié en deux propositions indépendantes juxtaposées : « Je ne le marchandai point ; je lui lâchai le coup au milieu de la poitrine ». Aucun commentaire ni aucune émotion de la part de Des Grieux qui se dit même assez fier : « dis-je assez fièrement à mon guide ». Avec Lescaut il plaisantera sur le meurtre lui reprochant d’abord le pistolet chargé avant de la remercier : « C’est votre faute, lui dis-je ; pourquoi me l’apportiez-vous chargé ? Cependant, je le remerciai d’avoir eu cette précaution, sans laquelle j’étais sans doute à Saint-Lazare pour longtemps ».  Enfin, on voit que Des Grieux n’est plus seul. Lescaut a tenu sa promesse et l’attend avec ses amis dehors. Des Grieux appartient désormais à la famille des Marginaux. Cette attitude revendicative est nouvelle chez le personnage, qui justifie ses exactions en montrant que la société et le destin l’obligent à agir ainsi. Certes, Des Grieux s’échappe de prison mais c’est pour commettre des exactions et tomber dans la marginalité. Des Grieux accepte ce nouveau statut et se prépare à une nouvelle action hors la loi.

Dans le 3e temps, Des Grieux envisage déjà la libération de Manon. On voit chez Des Grieux une idée fixe, celle de retrouver Manon. Le narrateur personnage insiste par la redondance sur sa souffrance. L’idée est répétée deux fois : « je ne pus néanmoins m’y livrer au plaisir. Je souffrais mortellement sans Manon ». On notera l’hyperbole de l’adverbe « mortellement » et le lexique des sentiments. De même, l’idée de libération de Manon est répétée deux fois : « il faut la délivrer, dis-je à mes amis. Je n’ai souhaité la liberté que dans cette vue ». Le constat est assez inquiétant car la libération de Des Grieux n’a été faite que pour commettre un nouveau délit. Les hyperboles : « je souffrais mortellement sans Manon » et « pour moi, j’y emploierai jusqu’à ma vie » montre que Des Grieux se présente comme un amant chevaleresque et galant sur le mode de l’amour courtois professé lors de la première rencontre avec Manon : « j’emploierai ma vie pour la libérer de la tyrannie de ses parents ». On voit ici s’exprimer le caractère ravageur et aliénant de la passion amoureuse. La passion condamne des Grieux à libérer celle qu’il aime.

 

Cette scène romanesque, placée sous le signe de l’aventure et du sentiment, s’inscrit dans une longue tradition littéraire, tout en conservant sa singularité. On retrouve les éléments clefs de ce type de scène et la forte dramatisation du récit. Si Des Grieux se libère de saint-Lazare, il semble toutefois prisonnier de sa passion pour Manon et condamné à jamais à la marginalité. On peut rapprocher cet extrait de celui de la mort de Manon où celle-ci est perçue comme un châtiment divin pour les deux amants.

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20 juin 2021 7 20 /06 /juin /2021 16:06

Marivaux

L’île des esclaves

1725

 

De façon générale, deux erreurs ont été commises, l’une sur le personnage d’Arlequin, l’autre sur les intentions de l’auteur. Commençons par la deuxième.

 

C’est un préjugé couramment admis de dire que Marivaux fut révolutionnaire. Il n’en est rien. Son projet, si projet il y a et cela dépend de l’interprétation de la pièce, est même plutôt conservateur. Marivaux ne réclame ni la révolution ni l’égalité entre les hommes. A la fin de la pièce, tous les personnages reprennent de leur plein gré leur rôle et leur rang. Les esclaves redeviennent esclaves et nul ne songe à contester cet état de fait. La réforme de Marivaux n’est donc pas une réforme sociale. Pas de ferment de révolte non plus, Trivelin est là pour y veiller, modérant Cléanthis dans sa soif de vengeance et assurant un traitement humain aux anciens maîtres. La réforme de Marivaux est une réforme morale. L’arrière-plan chrétien est de fait présent même si nous le voyons moins aujourd’hui. Marivaux appelle à des rapports entre les êtres plus humains, fondés sur l’empathie, la compassion, les sentiments. Le renversement provisoire des rôles est destiné à insuffler en chacun de la sensibilité. Les anciens maîtres en souffrant comprennent « ce qu’il est permis de faire souffrir » et peuvent se mettre un temps très bref à la place de leurs esclaves. Les anciens exclaves renoncent à la vengeance en comprenant la détresse de leurs anciens maîtres. Cette sensibilité, pour Marivaux, a été perdue par la société et l’éducation, chacun s’identifiant à un rôle. Le rôle de maître est un rôle de pouvoir et élude toute compassion et toute empathie à l’égard de ceux sur qui s’exerce ce pouvoir. Le rôle d’esclave fait de l’individu qui est toujours battu et humilié un être paresseux et malhonnête. Arlequin le comprend lorsqu’il pardonne à Iphicrate et qu’il estime qu’à sa place il n’aurait peut-être pas été meilleur que lui. Les hiérarchies sociales perdurent donc mais on peut estimer qu’après la cure, les personnages ne retomberont pas dans leur travers et observeront un comportement sensible et humain les uns à l’égard des autres. A moins que le retour à Athènes ne vienne tout chambouler. L’interprétation de la fin de la pièce, de ce point de vue, reste ouverte. En prônant des rapports plus humains et sensibles, Marivaux n’annonce pas la révolution française : on est en 1725, bien trop loin de 1789. Il annonce en revanche la sensibilité rousseauiste. Toutefois, Marivaux a le mérite d’ouvrir la voie aux philosophes des Lumières. En effet, pendant un temps très court, il propose une inversion des rôles sociaux : les esclaves prennent la place des maîtres et inversement. A partir du moment où l’auteur montre que cette inversion est possible, même dans un contexte utopique, même pendant un temps très court, même à titre de dispositif thérapeutique, il montre que les rôles sociaux ne sont pas forcément légitimes et naturels : un esclave peut très bien prendre la place d’un maître, peut donc très bien être maître, et même dans le cas d’Arlequin, meilleur maître qu’Iphicrate. Les inégalités sociales ne sont donc plus perçues comme naturelles et légitimes. Marivaux pose le problème et n’y répond pas. Ce n’est qu’une étape. Mais déjà l’ordre social de l’ancien régime fondé sur la société d’ordre et l’inégalité peut se fissurer et être remis en cause.

Arlequin est un personnage type de la commedia dell’arte. Il se distingue par son costume, son masque, mais aussi son comportement volontiers moqueur et grossier. Pourtant, c’est une erreur que de réduire le personnage tel qu’il apparaît dans la pièce de Marivaux à son double du théâtre italien. Marivaux reprend en effet le personnage et en tire profit pour ses jeux de scènes, le comique de mots et de gestes, l’ironie à l’égard de son maître. Arlequin insuffle en permanence de la gaîté et de la légèreté à une pièce qui, si l’on tient compte de la situation (un naufrage, des maîtres réduits à l’esclavage et désespérés) pourrait tourner à la tragédie. Arlequin porte le comique de la pièce. Mais pas seulement. Marivaux fait en sorte que son personnage soit plus que le valet de la commedia dell’arte. Très vite le personnage évolue. Si au début de la scène 1, Arlequin se moque de son maître et est surtout intéressé par le fait d’avoir sauvé sa bouteille, il devient très vite un personnage sensible et grave, ce qui en fera un porte-parole de l’auteur. C’est lui qui rappelle les mauvais traitements qu’il a subis à son maître, lui qui en souligne l’injustice, lui encore qui met en évidence le caractère thérapeutique de l’inversion des rôles qui attend Iphicrate, lui qui sait faire la différence entre l’individu et son rôle social, lui qui exhorte Cléanthis au pardon et à la compassion. Ce n’est plus le valet comique et superficiel à ce moment-là mais bien le porte-parole de l’auteur :

ARLEQUIN, se reculant d'un air sérieux. Je l'ai été, je le confesse à ta honte, mais va, je te le pardonne ; les hommes ne valent rien. Dans le pays d'Athènes, j'étais ton esclave ; tu me traitais comme un pauvre animal, et tu disais que cela était juste, parce que tu étais le plus fort. Eh bien ! Iphicrate, tu vas trouver ici plus fort que toi ; on va te faire esclave à ton tour ; on te dira aussi que cela est juste, et nous verrons ce que tu penseras de cette justice-là ; tu m'en diras ton sentiment, je t'attends là. Quand tu auras souffert, tu seras plus raisonnable ; tu sauras mieux ce qu'il est permis de faire souffrir aux autres. Tout en irait mieux dans le monde, si ceux qui te ressemblent recevaient la même leçon que toi. Adieu, mon ami ; je vais trouver mes camarades et tes maîtres.

 

Concernant Marivaux, n’oubliez pas non plus l’essentiel : il renouvelle le théâtre avec l’apport du théâtre italien, qui lui permet plus de liberté de mouvement et de parole, plus de jeu sur scène. Ce n’est plus le théâtre du XVIIe siècle, très statique. Marivaux reprend aussi les personnage type de la commedia dell’arte mais tend à les franciser et à en faire autre chose comme pour Arlequin.

Faites aussi attention au terme « bouffon » qui doit être employé comme adjectif et est peu propre à exprimer ce qu’est Arlequin dans cette pièce. Je vous conseille donc tout simplement de ne pas utiliser ce terme pour éviter les contresens.

Pour le processus thérapeutique de « cure », il est destiné à rendre aux personnages leur sensibilité oubliée. Le vocabulaire de la médecine est présent dans le texte. C’est comme un jeu de rôle avant l’heure (notez bien que cette comparaison est anachronique). Ce n’est pas une réforme sociale.

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5 janvier 2021 2 05 /01 /janvier /2021 13:32
La dissertation

DEFINITION :

Une dissertation est un exercice d’argumentation sur un problème littéraire donné. L’auteur de la dissertation présente une argumentation raisonnée, justifiée et organisée et chercher à convaincre le lecteur de partager ses idées. Il s’agit avant tout de produire un raisonnement sur la littérature, sur des œuvres littéraires qu’on a lues ou étudiées.

Depuis la rentrée 2019, la dissertation porte sur l’une des œuvres complètes au programme ainsi que sur son parcours associé et éventuellement d’autres lectures. On attend donc de la part du candidat une connaissance et une compréhension fine des œuvres et la capacité de mettre l’œuvre en débat avec d’autres textes pour en interroger l’intérêt intellectuel ou moral, les effets affectifs ou émotionnels et les enjeux historiques, littéraires ou sociaux.

LE SUJET :

Le sujet est souvent présenté sous forme de question ou de citation à mettre en débat. Il faut tout d’abord étudier ce sujet pour être sûr du thème demandé, de l’opinion éventuellement apportée et ne pas faire de hors-sujet.

  • Il peut être important d’encadrer les mots-clefs du sujet et d’identifier les notions abstraites, c’est-à-dire trouver leurs significations et leurs différentes valeurs.

  • Après s’être assuré du sens de la question et/ou de la citation, se demander ce que le sujet demande de faire : illustrer différents aspects d’un thème ou d’un point de vue, discuter ce point de vue, évaluer ce point de vue et voir s’il est vérifiable dans n’importe quel cas.

  • Il peut être important de reformuler le sujet avec ses propres mots afin de voir si on le comprend bien.

  • Le sujet n’est pas la problématique. La problématique est la question à poser pour mettre en évidence les enjeux du sujet. Une fois votre problématique formulée, vérifiez si elle fait bien écho aux mots-clefs du sujet.

LE PLAN :

Le plan est la structure, le squelette de la dissertation. Il permet d’organiser ses idées et d’en vérifier la logique.

  • L’élaboration d’un plan est une étape nécessaire à la préparation du devoir. N’oubliez pas qu’il doit reposer sur des idées et des arguments sur la littérature.

  • Une partie ne peut réduire son argumentation à l’énoncé d’un axe. Il faut trois arguments pour développer l’axe de façon logique et progressive.

  • Une partie ne saurait être un catalogue d’exemples.

  • Les règles d’or d’un plan sont la cohérence (il ne fait pas se contredire), la progression (les idées doivent s’enchaîner logiquement et aller vers une complexité croissante), et l’équilibre (les parties doivent être autant argumentées les unes que les autres).

LA REDACTION :

On attend un devoir entièrement rédigé, qui comporte une introduction, un développement en deux ou trois parties avec des paragraphes différents, des transitions entre les parties et une conclusion.

  • Aucune abréviation n’est tolérée.

  • Pas de listes avec des tirets

  • Pas de titres ou d’intertitres (faites des phrases !)

  • Pas de numérotation des parties et sous-parties.

  • On souligne les titres des œuvres.

  • On met entre guillemet toute citation et cette citation doit être compréhensible du lecteur.

  • On aère la copie pour permettre de repérer la structure de la dissertation et rendre la lecture plus agréable.

Le devoir doit être rédigé dans un français correct, sans faute d’orthographe ni de grammaire, dans une langue courante voire soutenue. A l’inverse, évitez le style médiatique et accrocheur

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28 octobre 2020 3 28 /10 /octobre /2020 15:19

« Alchimie de la douleur »

Poème 81 de « Spleen et Idéal »

Les fleurs du mal

Baudelaire

 

Situé plutôt vers la fin de la section « Spleen et Idéal » (poème 81 sur 85), le poème participe à une accentuation du spleen visible dans le déroulement du recueil. On peut émettre deux hypothèses quant au sens du titre « Alchimie de la douleur ». L’alchimie est une pratique ésotérique qui cherche à créer un élixir de longue vie, à travers la pierre philosophale, une pierre aux propriétés thérapeutiques et magiques, ou à transformer des métaux ordinaires en or. Le titre pourrait ainsi désigner une transformation, une métamorphose de la douleur de l’existence pour créer quelque chose de beau. On peut ainsi considérer que le complément du nom « de la douleur » est un génitif objectif qui indique l’origine. La douleur est à l’origine de l’alchimie. Il s’agit de transformer la douleur en inspiration poétique. Toutefois, cette première hypothèse va à l’encontre de la continuité de la section « Spleen et Idéal » qui va dans le sens d’une disparition de l’idéal et d’une accentuation du spleen. Le poème précédent, « Le goût du néant » dit ainsi l’échec existentiel, le désespoir, l’abattement. L’esprit du poète a abandonné – « morne esprit, autrefois amoureux de la lutte » et se livre à une résignation morbide : « Résigne-toi, mon cœur ; dors ton sommeil de brute ». Le poème mobilise les images du spleen : engloutissement, glaciation. L’appel de la mort est vécu comme un anéantissement. « Horreur sympathique » (poème 82) introduit l’image de l’ange déchu, chassé du paradis terrestre à travers la possible transposition païenne d’Ovide chassé de Rome, pour un monde qui est un enfer : « Et vos lueurs sont le reflet / De l’Enfer où mon cœur se plaît ». On peut donc émettre une deuxième hypothèse de sens inverse à la première : tout ne serait-il pas finalement transformé en douleur ? Dans ce cas, le complément du nom est un génitif subjectif : il indique la possession. C’est la douleur elle-même qui transforme le monde. Ce deuxième sens expliquerait les inversions du poème : l’or se transforme en fer, et le paradis en enfer. Le poème imposerait donc l’image d’une descente aux enfers, d’un tiraillement entre le spleen et l’idéal, le sublime et le sordide. Dans une intensification du spleen, le poète exprime son morbide désespoir. La « douleur » remplace alors dans la section les mots habituels d’ennui, de mélancolie voire de spleen. Il ne s’agit plus de la cause du mal-être mais de son symptôme, physique, psychique et spirituel.

 

Le poète est tout d’abord déchiré par la tension entre les principes de vie et de mort. Le commencement du poème est sous le signe du mystère et de l’imprécision : « l’un…/L’autre » sont des pronoms indéfinis. On ne sait pas de quoi ou de qui il s’agit. On a l’impression qu’il s’agit de personnes. Baudelaire a ici recours aux symboles. « L’un/l’autre » peuvent être des allégories, rapprochant ainsi la poésie de Baudelaire de la poésie parnassienne et annonçant le symbolisme. D’ailleurs, le poète s’adresse à la Nature, elle aussi présentée comme une entité.

Le poète est placé sous le signe d’une double postulation, l’une incarnant une énergie vitale et faisant signe vers l’idéal, l’autre faisant signe vers le spleen : le « deuil » est aussi un adieu au monde, à la vie qui fut. La première strophe est fondée sur l’antithèse. Les deux postulations sont à mettre au même niveau car l’antithèse est ordonnée en chiasme : vitalité / spleen // spleen / vitalité : ardeur / deuil // sépulture / splendeur. La tension entre la vie et la mort est permanente comme l’indique le présent de l’indicatif à valeur durative. La postulation positive fait penser à un monde de lumière, de vie, de beauté sans précédent : « t’éclaire », « Vie », « splendeur ». C’est un principe dionysien de pulsion de vie « avec son ardeur ». Cette postulation est opposée à l’image du deuil, de l’ensevelissement : « met son deuil », « sépulture ». Ces deux postulations ont cependant une même source : « ce qui dit à l’un […] dit à l’autre. Le poète fait ainsi résonner ces voix intérieures qui le déchirent. Le point d’exclamation montre que ce sont des cris.

Tout est placé sous le signe du mystère. Il n’est pas certain (et il est d’ailleurs peu probable) que le « l’un/l’autre » des vers 1 et 2 soit le « l’un/l’autre » des vers 3 et 4. On ne sait pas non plus ce que désigne le pronom démonstratif « Ce ». Les allitérations en [r] qui courent sur les quatre vers lient encore plus fortement ensemble ces deux postulations. La répétition du verbe « dire » restitue le théâtre intérieur du poète où le spleen morbide et la tension vers l’Idéal se répondent.

 

La poésie baudelairienne est une poésie évocatoire, une poésie de la suggestion. La deuxième strophe introduit deux autres figures, issues de la mythologie, sans lien apparent avec la première strophe : Hermès, le messager des dieux, et Midas. Messager, Hermès pourrait incarner l’idéal auquel Baudelaire aspire, et Midas était connu pour changer tout en or. Ces figures ne sont cependant pas des figures tutélaires. La divinité Hermès reste méconnue du poète et semble potentiellement malveillante : « Et qui toujours m’intimida ». Peut-être s’agit-il non du dieu grec, mais d’Hermès trismégiste, à qui sont attribués des écrits sur l’alchimie, dans l’antiquité égyptienne. La figure d’Hermès incarnerait ainsi un courant philosophique et spirituel, celui de l’hermétisme, ensemble de doctrines ésotériques qui ont inspiré l’alchimie au moyen-âge. Ce nom contribue ainsi à la dimension mystique et énigmatique du poème. Hermès peut être « inconnu » parce qu’il constitue l’inspirateur personnel d’un poète à part, ou parce qu’il est légendaire, ou parce qu’au lieu de permettre le changement du fer en or, il fait changer l’or en fer. Midas était un roi qui dans la mythologie avait le pouvoir de transformer en or tout ce qu’il touchait mais qui se trouva privé d’eau et de nourriture pour cette raison. La figure introduit la conscience de l’échec. L’alchimie poétique ne fait que rendre le poète seul et malheureux.

Charles Baudelaire est parfois considéré comme le fondateur du symbolisme, un mouvement littéraire et artistique qui ne sera théorisé qu’en 1886 par Jean Moréas. Ce mouvement se fondera sur le pouvoir suggestif du langage, les affinités de la poésie avec le secret, le mystère, le rêve et les allégories. Le poète insiste ainsi sur le découragement que l’écriture suscite. Le poète, à cause de son génie, se retrouve privé de tout (référence à Midas), en proie à la tristesse et au désespoir, face à une divinité qui devrait être tutélaire, et est en réalité inatteignable et effrayante.

 

Le poème consacre donc l’inversion du processus alchimique. Il ne s’agit plus de transformer un quotidien banal et vulgaire en réalité idéale et merveilleuse. Le spleen détruit au contraire tout rapport au monde, le rend désespérant et angoissant. Tout idéal devient un métal vulgaire – l’or en fer. Le monde est un « enfer ».

Fait alors retour l’image de la mort et de l’ensevelissement – le « suaire ». Même ce qui devrait être de l’ordre de l’élévation – le ciel – devient un tombeau : « dans le suaire des nuages ». Le poète n’a plus le pouvoir du voyant, la capacité à faire le lien entre les réalités de ce monde et celles du monde céleste. Partout où il pose le regard, il ne peut voir que des signes mortifères qui le ramènent à son intimité, comme l’exprime l’expression à l’humour morbide du « cadavre cher ». L’horizon n’est plus qu’un cimetière. L’activité créatrice ne peut bâtir que des tombeaux : « je bâtis de grands sarcophages ». Le présent suggère qu’il ne pourra jamais en être autrement. Le poète met en scène un monde inversé où la mélancolie fait entrevoir une nouvelle transcendance, où les cieux ont laissé place aux enfers.

 

 

Le poète dit ainsi son incapacité à sortir du spleen, à y échapper, l’échec de toute tentative d’évasion vers l’idéal. Le spleen domine totalement la fin de la section, rendant le titre « Spleen et idéal », dans son ordre, antithétique. Les derniers poèmes affirment la haine de tout et le goût du néant : « Spleen », « L’irrémédiable », « L’horloge ». Le poète est déchiré entre sa quête d’une perfection et d’une harmonie, qui apparaissent perdues ou inaccessibles, et le « spleen », mal-être profond, dégoût de la vie, suscité par la conscience aiguë de son incapacité à s’élever et à dépasser les tourments qui le rongent. Le sonnet est en ce sens un exercice de resserrement, qui va à l’essentiel, très apte à se plier à une écriture qui dit le désespoir en recourant aux symboles. Les octosyllabes accentuent encore la brièveté de la forme. Le poète n’a plus confiance en sa capacité à élaborer une œuvre sublime et idéale, et se lamente douloureusement de sa condition de poète moderne. Ce faisant, Baudelaire élabore une nouvelle esthétique et une nouvelle beauté, justement tirées du spleen, vécu comme un paroxysme mélancolique.

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7 octobre 2020 3 07 /10 /octobre /2020 12:54

« L’Invitation au voyage »

 

 

C’est un poème amoureux mais qui ouvre sur un voyage. Il réalise l’association de la femme et du voyage.

La forme du poème est recherchée. Trois strophes de 12 vers sont séparées par un refrain (distique) à rimes plates. Chaque strophe est en fait composée de deux sizains. Les mètres utilisés sont des mètres impairs : pentasyllabes (5) et heptasyllabes (7). Dans l’alternance des vers de 5 et de 7 syllabes, on perçoit la volonté de l’auteur d’imiter le mouvement de la houle. Le poème est ainsi travaillé en harmonie formelle avec le fond.

L’amour présenté ici est un amour sororal. Pas d’amour satanique donc, ni de malentendu. Si la femme et l’homme demeurent des êtres incommunicables l’un à l’autre, enfermés dans la grande solitude universelle, l’amour sororal peut être une tentative pour dépasser cette incommunicabilité.

 

I - La femme aimée sœur

1.1 Une figure féminine sororale

La double apostrophe qui ouvre le poème - « Mon enfant, ma sœur » - ouvre l’évocation de la femme aimée à l’ambiguïté de l’amour paternel et de l’amour sororal. C’est pourtant la possession par la poète qui s’affirme d’emblée avec la répétition de l’adjectif possessif. L’adjectif possessif a ici une valeur affective. Le lien se donne à lire comme un lien exclusif autant que privilégié.

L’évocation de la femme aimée est marquée par la douceur, renforcée par les allitérations en [s] et par l’importance des voyelles feutrées, adoucies en particulier à la rime. Pourtant, aux vers 4 et 5, c’est bien l’image d’un amour passionnel qui se dessine, pouvant entraîner la mort. La phrase se fait alors elliptique et le verbe « aimer » prend alors toute sa valeur. Mais la répétition du verbe « aimer » provoque un effet de refrain intérieur et les deux premiers vers ont enlevé ce qu’il pourrait y avoir de trop violent dans cet amour. Si l’évocation de la femme est empreinte de douceur, les deux premiers vers suggèrent en même temps par le mot « enfant » que cet amour est fidèle. La femme révèle ainsi plusieurs visages et est associée au mystère.

1.2 Aimer et mourir

Dans la première strophe, le verbe « mourir » fait suite à « vivre ». Les deux verbes sont d’autant plus rapprochés qu’ils apparaissent tous deux à la cinquième syllabe dans chaque vers. Le poème propose donc un rapprochement entre deux termes opposés par le sens. L’amour se définit alors comme un amour parfait et sa fidélité a une durée qui se rapproche de l’éternité : « aimer à loisir / Aimer  mourir». La mort cesse donc d’être une source d’angoisse. La mort à deux est vécue comme une éternité bien heureuse.

1.3 De l’analogie entre la femme et le pays au brouillage

Le pays évoqué est analogique à la femme aimée. Il y a entre les deux une étroite ressemblance. Les vers 3 et 6 (rimes très riches) portent l’invitation au voyage. « là-bas » comporte la dimension de l’éloignement et le thème du mystère.

Dans les vers 9 à 12, les éléments de l’analogie sont indiqués. Les yeux sont ainsi comparés à des soleils : les soleils mouillés, les ciels brouillés représentent aussi les « yeux / brillants à travers leurs larmes ». Les larmes impliquent l’idée d’une douleur. Ce dernier vers est à rapprocher de « Songe à la douceur » : la douceur de l’amour au pays merveilleux n’est pas encore présente. Elle n’appartient qu’au songe, elle est liée à un futur accentué par « là-bas » et par l’usage de l’infinitif. « Traîtres » donnent une dimension supplémentaire à ce brouillage des yeux. L’adjectif suggère en effet l’absence de transparence. Le poème accentue encore la part d’inconnu et de mystère dérobé qui réside dans la femme.

Pourtant, dans la dernière strophe, la femme apparaît comme le centre du monde, telle une déesse :

« C’est pour assouvir

Ton moindre désir

Qu’ils viennent du bout du monde »

On voit d’ailleurs la reprises des « soleils » du vers 7.

 

Ce poème met ainsi en place de multiples correspondances entre la femme et les différents espaces et illustre d’une façon nouvelle le principe des analogies cher à Baudelaire. Il semble que le poète puisse se réconcilier avec le monde auprès de cette femme qui est surtout une sœur et qui rejette loin d’elle l’angoisse de la mort et des ténèbres. C’est pourquoi l’aspiration au voyage et à l’ailleurs est intimement liée à cette figure féminine.

 

II - L’invitation au voyage

2.1 Du rêve à la réalité

L’injonction initiale « songe à ... » renvoyait le pays au domaine du rêve et du futur. Cette impression était encore renforcée par l’usage de l’infinitif dans la première strophe. Dans la seconde, le conditionnel renvoie là encore la description dans le domaine du rêve, du songe. Cependant, ce songe devient nettement plus précis et semble même prendre les dimensions de la réalité. Or, le voyage n’a pas été spécialement présenté. C’est au contraire un lieu clos que l’on découvre dans la seconde strophe qui symbolise le lieu de l’intimité. L’invitation au voyage se fait par l’imagination.

Or, dans la troisième strophe, on observe un changement de mode. On passe en effet du conditionnel (2e strophe) à l’indicatif présent. Le rêve est devenu réalité. Il semble que l’Ailleurs existe effectivement.

2.2 L’appel de l’idéal

L’invitation au voyage commence dès le vers 3 : « D’aller là-bas » comporte la dimension de l’éloignement et le thème du mystère. L’exclamation traduit dans le même temps l’enthousiasme du poète qui veut faire partager son désir d’envol. Tout se situe ainsi dans un ailleurs idéal. Au vers 5, le mot « mourir » se trouve inclus dans une image de l’idéal. Au vers 13, le « là » conserve la dimension du mystère. Les termes du refrain ont tous un sens positif excluant la souffrance qui semblait apparaître au vers 12. Le refrain est par ailleurs répété trois fois. Il se chargera à chaque fois d’un sens plus riche.

Dans les vers 7 à 8, le passage de « soleils » à « ciels » suggère une élévation. Les deux éléments sont liés par le sens mais aussi par une série d’échos : « mouillés » et « brouillés » constituent une rime riche. De plus, « soleils » et « ciels » ont en commun les allitérations en [s] et en [l].

C’est à une unité bienheureuse que le poète accède dès lors : « soleils » (élément de feu, de chaleur) est associé à « mouillés ». Les deux éléments antithétiques sont réunis ici dans cette évocation.

2.3 L’élévation

Si la strophe 2 présentent un élargissement de l’espace à travers « les miroirs profonds », renforcé par l’usage du pluriel, l’élévation de l’âme se poursuit : dans les vers 24 à 26, on s’aperçoit que comme dans le poème « Correspondances », les objets ont un langage. Tout même a un langage dans ce monde rêvé : « Tout y parlerait ». Or, ces objets parlent « à l’âme » : c’est donc tout cet univers qui se trouve spiritualisé. Par opposition, le domaine de l’ici et du maintenant est le monde de l’incompréhension, éloigné de tout langage primordial : « sa douce langue natale ».

 

Le poète accède donc à un ailleurs qui est aussi une image de l’idéal. Cet idéal permet ainsi à travers la correspondance entre la femme et l’espace une élévation de l’âme qui pour la première fois apparaît heureuse. C’est en peintre que le poète va décrire cet ailleurs rêvé puis advenu.

 

III - La peinture de l’au-delà

3.1 Comme un peintre flamand

Au vers 8, « ciels » est au pluriel. Sous cette forme, le terme manifeste certes la beauté du paysage mais appartient également au vocabulaire de la peinture. Le paysage est ainsi vu par l’intermédiaire de l’art. Il semble que cette description puisse en effet être rapprochée des peintures flamandes. D’ailleurs, ce poème est à rapprocher de son doublet en prose dans Le Spleen de Paris, où l’allusion à la Hollande est plus explicite. Ce pays était alors à la mode et Baudelaire a pu se souvenir des observations sur la Hollande de Bernardin de Saint-Pierre.

3.2 Un lieu clos... ouvert sur le monde

Le lieu décrit dans la deuxième strophe est un lieu clos. cependant, l’intimité de la chambre correspond à l’intimité du monde extérieur. Les meubles, au vers 16, sont « polis par les ans ». Ils comportent donc la dimension du passé, donc un aspect rassurant. « luisants » et « polis » sont unis par les retours des mêmes sons [i] et [l]. Ils introduisent tous deux une dimension de douceur  liée à une sensation tactile. « luisants » ajoute au décor la dimension de l’éclat et rappelle les soleils de la première strophe. Enfin le verbe « décoreraient » insiste sur la beauté manifeste de l’endroit. Les vers 15 à 17 forment une remarquable unité sonore par le retour de la voyelle nasalisée [â]. A ces aspect s’ajoute la dimension du luxe.

A la sensation tactile des meubles succède la sensation olfactive. (Comme très souvent chez Baudelaire, les sensations sont liées, en particulier dans le poème « Correspondances » et expriment l’unité du monde). Aux vers 19 et 20, « odeurs » et « senteurs » sont reliés par la syntaxe et par la proximité sonore. Les émanations naturelles (« odeurs ») sont ainsi liées aux émanations artificielles (« senteurs ») ce qui manifeste l’unité de ce monde rêvé qui transcende les oppositions. Au vers 20, l’adjectif « vagues » vient atténuer ce que les parfums artificiels pourraient avoir de trop lourd. Ce que l’on retient finalement, c’est la profusion de parfums.

3.3 Luxe et exotisme

Les vers 21 à 23, par les expressions « riches plafonds », « miroirs » et « splendeur » dessinent une unité du luxe. Cette impression de luxe est encore renforcée par l’usage du pluriel qui ajoute l’idée de grandeur. Ce que les vers précédents suggéraient, l’aspect exotique, oriental de ce monde, est révélé au vers 23 « la splendeur orientale ».

3.4 La métamorphose du monde

La troisième strophe ouvre l’espace à l’imagination. Par l’usage du pluriel et par les éléments qui sont présentés - les canaux, les vaisseaux - l’évocation élargit l’espace du monde extérieur. Cet élargissement de la vision se poursuit avec l’énumération aux vers 36-37 : « les champs / Les canaux, la ville entière ». Ces termes renvoient ainsi à des univers différents, rassemblés ici : le monde urbain des hommes, la mer et la campagne. Au vers 39, c’est la totalité du « monde » qui est envisagée.

Il y a ainsi de multiples analogies entre le monde extérieur présenté dans la troisième strophe et le monde intérieur de la deuxième strophe. Les canaux au vers 29, repris au vers 37, rappelle l’image des miroirs du vers 22. Ils suggèrent l’idée d’une eau tranquille et calme. L’élément liquide est d’ailleurs constamment présent dans cette strophe puisque les canaux réapparaissent au vers 37. Ils sont de plus associés à la vision du port, autre source de rêverie. les vaisseaux, personnifiés aux vers 32-34, portent en eux le thème du voyage.

Dans les vers 35 à 40 affleurent l’angoisse sourde des ténèbres. Mais le poème jugule cette angoisse implicite en faisant de ce monde un monde de lumière, où le soleil ne se couche vraiment jamais. Ainsi, à « soleils couchants » succède la vision antithétique d’un monde qui s’endort dans la lumière : « Le monde s’endort / Dans une chaude lumière ». Le point virgule qui précède met en valeur ces deux derniers vers. Dans ce monde, il n’y a plus jamais de nuit.

Les derniers vers mettent en place l’idée d’une splendeur qui métamorphose le monde. « D’hyacinthe et d’or » donne ainsi le sentiment d’une somptuosité sans précédent. Le refrain qui intervient une troisième et dernière fois se charge ainsi de tous les sens accumulés par le poème. Le lyrisme du poème se renforce par la vision finale d’une apothéose, mélange de gloire et de lumière.

 

Conclusion

La savante architecture du poème épouse et rend compte des mouvements de la rêverie. L’utilisation du vers impair la place des rimes féminines, le rythme et les sonorité du refrain sous-tendent une rêverie qui s’amplifie jusqu’à accéder à un monde qui n’est plus seulement rêvé mais qui semble bien être une réalité.

Ce monde est le lieu d’une correspondance entre la femme et les différents espaces, le lieu d’un amour total, à la fois passionnel et doux, désirant et sororal qui réunit le poète et le monde et brise l’incommunicabilité des êtres et des choses.

Si la lumière créée l’unité du monde, l’intimité de la chambre correspond à l’intimité du monde extérieur, lieu de correspondances, de luxe exotique et chargé d’un ailleurs qui prend la forme de l’Idéal.

 

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17 septembre 2020 4 17 /09 /septembre /2020 16:13

Ce texte est repris des instructions officielles : https://cache.media.eduscol.education.fr/file/FRANCAIS/95/7/RA19_Lycee_GT_2-1_FRA_ExplicationLineaire_1160957.pdf Il n'est donc pas de moi mais constitue une mise en forme avec soulignement de ces instructions officielles.

 

L’EXPLICATION LINÉAIRE

Qu’est-ce qu’expliquer ?

Expliquer, c’est d’abord rendre compte de sa lecture. À la différence du commentaire érudit du spécialiste ou de l’enseignant (qui vise à une analyse experte du fonctionnement du texte et suppose un appareillage technique élaboré), mais aussi à la différence du jugement de goût du critique littéraire (qui vise à l’expression d’un sentiment ou d’une évaluation), l’explication de texte au lycée a pour enjeu de former de suffisants lecteurs, autrement dit des lecteurs devenus conscients de la façon dont ils reçoivent les textes et par là capables d’en entendre et d’en restituer, avec plus ou moins de précision et de finesse, la singularité.

En ce sens, la valeur de l’explication de texte comme exercice scolaire se trouve dans une explicitation des opérations de lecture souvent inconscientes que chaque lecteur accomplit par le fait même de lire. L’explication scolaire du texte est ainsi à envisager comme prolongement et même accomplissement du geste de lecture. Lire c’est en effet, dans le mouvement continu qui avance d’un mot à l’autre et réajuste constamment les hypothèses de sens que le lecteur forme au fur et à mesure, mettre en relation des éléments qui construisent une continuité plus ou moins longue, ou une série plus ou moins complète, et parvenir ainsi à une compréhension de l’ensemble, dont ce lecteur peut rendre compte de façon plus ou moins nuancée. Il n’y a donc pas lieu de distinguer fondamentalement la compréhension et l’interprétation : tout lecteur qui avance dans un texte opère entre les mots, les phrases, les paragraphes, des relations qui font sens, il leur prête sens en leur portant attention ; la compréhension résulte ainsi d’une progressive interprétation, qui supplée par là, le plus souvent, l’ignorance du sens d’un mot ou d’un autre, et réciproquement l’interprétation d’ensemble découle de la compréhension progressive du texte. Avoir lu un texte, c’est ainsi pouvoir le résumer, mais aussi pouvoir le reparcourir plus rapidement, en s’arrêtant sur des éléments qui à la première lecture n’avaient pas forcément semblé aussi importants qu’ils le sont finalement, c’est enfin en garder une impression, un sentiment, peut-être même une émotion : toute explication suppose bien une relecture. C’est au fond l’ensemble de ces éléments présents dans toute lecture, de façon plus ou moins développée, plus ou moins riche, qu’il s’agit pour le lecteur lycéen de développer par la pratique de l’exercice, qui lui permet d’en prendre conscience ; par là, il peut expliquer comment le texte fonctionne pour lui, et même rendre compte de la raison pour laquelle il fonctionne ainsi pour lui.

On comprend pourquoi, à cet égard, la pratique de la lecture linéaire est intéressante : elle mime en effet et réitère sur un mode plus attentif le mouvement qui est celui du lecteur ordinaire, qui avance dans le livre page après page, dans la page ligne après ligne, ou vers après vers. Il ne faut pas en effet envisager la lecture linéaire comme l’ajout au texte de notes successives, à la façon du travail d’un éditeur savant ; il s’agit au contraire pour l’élève de montrer, phrase après phrase et parfois même expression après expression, voire – rarement, mais pourquoi pas ! – mot après mot, comment il construit cette cohérence d’ensemble. Il s’agit, autrement dit, de rendre compte progressivement à la fois de ce que le texte dit et de la manière dont il le dit, pour réfléchir à la façon dont cette manière est intimement liée à ce propos : ce lien n’est au fond pas autre chose que la cohérence même du texte. Cette attention au texte dans le mouvement de la lecture en éclaire à mesure la construction et justifie par l’analyse l’interprétation qu’en propose l’élève. On voit que c’est donc à la fois la singularité du texte qui est poursuivie par l’exercice, et l’approche personnelle de cette singularité, puisque l’élève rend compte de sa lecture (de la façon dont il reçoit les éléments successifs du texte). Aussi importe-t-il d’apprendre aux élèves à questionner le texte, à interroger ses choix, sa forme et sa dynamique, ses idées et ses images, ses formules et son style, ses lieux-communs et ses bizarreries : expliquer, c’est moins identifier que savoir s’étonner et interroger. De là la démarche que l’on peut suivre pour mettre en place une explication linéaire.

 

La démarche

1 ) Première lecture et première perception.

2 ) Eléments de contexte que la présentation met en évidence – place du passage dans l’œuvre et éventuellement, si l’information est pertinente pour l’explication, place de l’œuvre dans l’histoire littéraire

3 ) Identifier ce qui donne son unité au passage choisi : son thème, ce dont il parle (un personnage, un événement, une idée...), et la forme plus ou moins codifiée (une anecdote, un portrait …) qu’il choisit de mettre en place pour parler de cela.

4 ) Le mouvement qui anime cette forme peut ensuite être rapidement décrit pour rendre compte des différents temps du passage.

5 ) La question, c’est la forme que prend la curiosité du lecteur devant ce passage : qu’a-t-il (ou que fait-il) d’original ou de singulier ? à quoi sert-il dans l’œuvre ? pourquoi intrigue-t-il (ou déçoit-il !), ou satisfait-il (ou frustre-t-il !), ou émeut-il (ou écœure-t-il !) le lecteur ? Toutes renvoient à une forme d’étonnement.

6 ) C’est à partir de cette impression curieuse que peut se construire la lecture. Celle-ci, progressant avec le texte, va permettre d’affiner cette impression première, cette curiosité initiale, en explicitant ce qui attire l’attention du lecteur au fur et à mesure de sa lecture, et en expliquant pourquoi l’attention est ainsi attirée.

 

Ces éléments de réflexion, bien entendu, ne visent pas à constituer une grille dogmatique de l’exercice : ils cherchent au contraire à faire valoir que l’exercice correspond à une démarche d’interrogation fondamentalement ouverte, soucieuse de la forme et du sens, des effets et de la raison des effets.

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30 novembre 2015 1 30 /11 /novembre /2015 19:36

Flaubert

Madame Bovary

Deuxième partie

Chapitre VIII, extrait

Quelques mots d'introduction

Le texte qui suit a été préparé, étudié et rédigé par des élèves de seconde, au mois de novembre, donc en début d'année. ll ne constitue pas un modèle mais bien un exercice (leur premier) de commentaire. Sans doute y-a-t-il beaucoup de choses à reprendre : certaines tournures et sans doute aussi certaines interprétations. Que le lecteur soit indulgent, donc. Mais l'exercice peut aussi servir à tous ceux qui se sentent incapables de faire un commentaire, parce qu'on a prononcé le mot "commentaire". Ces élèves ont rédigé ce texte en utilisant leur bon sens, et sans savoir... qu'ils faisaient un commentaire !

Madame Bovary de Flaubert a été publié en 1857. A travers ce roman, l’auteur utilise l’ironie pour dénoncer la bourgeoisie de son époque, fondant son bonheur sur le malheur des plus pauvres en profitant de leurs services. Un extrait du chapitre 8 montre l’hypocrisie de cette bourgeoisie riche à l’égard d’une vieille femme pauvre, paysanne et servante. Le texte fait le portrait de ce personnage pourtant très secondaire, montre la pauvreté de cette femme atteinte par la fatigue et le travail qu’elle a endurés toute sa vie. Par là-même, l’auteur met en avant l’exploitation des plus pauvres par la bourgeoisie de province. On pourra se demander si ce texte est vraiment un portrait : le personnage est-il décrit pour lui-même ou parce qu’il constitue l’allégorie de la misère et de la servitude ? Nous verrons dans un premier temps que le narrateur fait une description du personnage entre réalisme et registre pathétique. Dans un deuxième temps, nous verrons en quoi le personnage devient l’allégorie de la servitude permettant par là de critiquer une bourgeoisie du profit.

Nous allons tout d’abord nous demander s’il s’agit d’un portrait réaliste ou d’un portrait pathétique.

D’une part, on peut tout d’abord observer qu’il s’agit d’un portrait réaliste : la description est détaillée, on nous décrit tout le personnage de cette vieille femme : son visage, ses mains mais aussi ses vêtements et la posture permanente qu’elle observe. Son visage est ridé, elle porte des « galoches de bois » (l. 4), un « tablier bleu » (l.5) et une « camisole rouge » (l. 8). Tous ces éléments sont décrits de façon réaliste et contribuent à inscrire le personnage dans un milieu social : c’est une paysanne et une servante. Les mains sont particulièrement détaillées : c’est qu’elles décrivent la femme en elle-même, les travaux répétés, la fatigue et l’âge, une forme de pauvreté et de dénuement. Dans l’expression « dépassaient deux longues mains », l’antéposition du verbe permet de donner à ces mains un caractère étrange, démesuré, comme si elles étaient détachées du reste du corps. Les adjectifs « longues » et « noueuses » ajoutent à l’étrangeté de ces mains. On retrouve d’ailleurs le thème réaliste de la dégradation du corps, à tel point que la vieillesse semble définir le personnage. Dans la première phrase du texte, les deux adjectifs antéposés « petite » et « vieille » dans « une petite vieille femme de maintien craintif » permettent d’insister sur cette vieillesse et sur l’insignifiance du personnage (c’est par là que la description commence). La suite de la phrase (« et qui paraissait se ratatiner dans ses pauvres vêtements ») offre une gradation de « petite » à « vieille », puis à « maintien craintif » puis au verbe « se ratatiner ». La femme apeurée est de plus en plus insignifiante, elle se recroqueville sur elle-même et le verbe « se ratatiner » prépare la comparaison avec la « pomme de reinette flétrie ».

Le personnage est aussi décrit de façon réaliste par l’importance donnée à ses vêtements. La servante semble subir le poids de ses vêtements : ils sont trop grands pour elle, disproportionnés par rapport à sa personne : le tablier semble plaqué artificiellement sur le corps : « et, le long des hanches, un grand tablier bleu », et rappelle sa condition de servante. Elle porte une camisole rouge voyante. Les couleurs « bleu » et « rouge » sont sans nuance. L’usage du terme familier « galoches » pour sabot rattache aussi ce personnage à la paysannerie du XIXe siècle. Le narrateur insiste donc sur le caractère rustique de l’habillement « grosses galoches de bois ».

Cependant, ce texte dépasse le cadre de la simple description réaliste. Le portrait n’est pas neutre et on ressent le regard critique et apitoyé du narrateur. Ce portrait est péjoratif : la comparaison entre le visage de la femme et « une pomme de reinette flétrie » (l.7) participe à la réification du personnage. Cette femme paraît usée : l’accumulation en rythme ternaire « encroûtées, éraillées, durcies » souligne l’état des mains et une autre accumulation également en rythme ternaire donne les raisons de cet état : « la poussière des granges, la potasse des lessives et le suint des laines » (l.9-10). La servante paraît sale : la ligne 12 rend cette impression de saleté permanente par l’antithèse entre « semblaient sales » et « rincées d’eau claire ». De plus, cette femme est comparée aux animaux qu’elle a côtoyés : « dans la fréquentation des animaux, elle avait pris leur mutisme et leur placidité » (l. 17-19).

Ainsi, le portrait n’est pas une simple description réaliste. L’aspect pathétique du personnage prépare la condamnation flaubertienne de la misère des campagnes, et de l’exploitation des plus pauvres par la bourgeoisie.

On pourra ainsi se demander si ce texte est un portrait ou une allégorie. Le personnage vaut-il pour lui-même ou comme symbole de la misère et de l’exploitation ?

Il semble tout d’abord que le personnage incarne l’esclavage moderne du XIXe siècle. En effet, cette femme a travaillé toute sa vie sans relâche pour les autres, oubliant de s’occuper d’elle-même. De ce fait, c’est une femme fragile, faible et abîmée par le travail. Les bourgeois ont profité d’elle toute sa vie comme le montre dans la dernière phrase l’expression « ce demi-siècle de servitude » qui fait de la servante non un personnage mais un symbole. De plus, la conjonction de coordination « et » dans « et, à force d’avoir servi, elles restaient entrouvertes » ajoute encore à la vie de misère de cette femme. La personnification de ses mains (« restaient entrouvertes, comme pour présenter d’elles-mêmes l’humble témoignage de tant de souffrances subies »), semblant se détacher du corps, rend compte de l’attitude d’imploration permanente du personnage.

Issue du milieu paysan, cette femme est à l’opposé de la classe bourgeoise qui l’entoure. La dernière phrase oppose d’ailleurs « ce demi-siècle de servitude » à « ces bourgeois épanouis ». Au début du texte, le pronom impersonnel « on » dans « on vit s’avancer sur l’estrade une petite vieille femme » écarte la servante du reste du monde et renforce l’idée d’opposition et de solitude du personnage. Elle semble étrangère au monde qui l’entoure. Plus loin, l’opposition à la bourgeoisie est renforcée par l’antithèse entre « elle » d’une part, et d’autre part l’accumulation « par les drapeaux, par les tambours, par les messieurs en habit noir et par la croix d’honneur du Conseiller ». Flaubert dénonce ici les inégalités sociales entre bourgeois et paysans ainsi que l’exploitation des plus pauvres par les riches : c’est le sous-entendu que contient l’adjectif « épanouis » dans « ces bourgeois épanouis ».

Cette femme est seule et quasiment invisible, déshumanisée, dans la scène. Les souffrances répétées ont fait de cette servante un personnage froid: « rien de triste et d’attendri n’amollissait ce regard pâle » ; « quelque chose d’une rigidité monacale relevait l’expression de sa figure ». Cette phrase est cependant positive : elle donne à cette femme sa fierté et sa dignité. Le verbe « relevait » désigne cette femme comme digne de respect. Elle est cependant immobile, et l’objet du regard de tous. La narration, qui nous fait entendre ses pensées, permet de rendre l’effroi ressenti par le personnage : « ne sachant s’il fallait s’avancer ou s’enfuir, ni pourquoi la foule la poussait, et pourquoi les examinateurs lui souriaient ». Pourtant, c’est à ce personnage, secondaire, pauvre, insignifiant, que Flaubert consacre une page de description, et non aux bourgeois qui l’entourent et qui ne sont que des silhouettes.

En réalité, ce texte est moins le portrait d’un personnage que l’allégorie de la misère et de la servitude. La dégradation du corps est soulignée dans tout le texte. Le réalisme du portrait physique inclut l’habillement qui représente aussi la situation sociale du personnage. La femme est un personnage pathétique car elle incarne l’esclavage des pauvres. Elle suscite pitié et compassion. L’opposition entre la servitude, la misère des pauvres et le bien être des bourgeois est dénoncée par Flaubert. Cette femme est à l’image de la paysanne exploitée chez qui Madame Bovary a mis sa fille en nourrice dans le roman.

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28 octobre 2013 1 28 /10 /octobre /2013 17:32

La poétique d’Eluard

Complétez la fiche ci-dessous qui fait le point sur les formes poétiques utilisées par Eluard. Vous pouvez envoyer vos réponses à l'adresse mail du blog : cirilbonare@yahoo.fr.

Une versification renouvelée

Eluard a en héritage la versification française, pratiquée dans Premiers poèmes. Cette versification a connu, non pas une table rase, mais un renouvellement des formes au début du XXe siècle. Mallarmé exprimait ainsi la nécessaire application de la métrique à la sensibilité de chacun : « toute âme est une mélodie qu’il s’agit de renouer ; et pour cela sont la flûte ou la viole de chacun ».

Etat des lieux :

  • Il y a dans le recueil ______________ (le préambule, le dernier texte de la section II, et les deux textes de « Sade »).
  • Il y a ______ poèmes en vers.
  • Le nombre de vers est de _______ pour la première section et de _____ pour la deuxième.
  • Il semble que les poèmes de la section II soient _____________________ même s’il y a un relatif équilibre entre les deux sections comme d’ailleurs pour le nombre de vers : ___ vers en moyenne pour les poèmes de la section I, _____ en moyenne par poème pour la section II. Trois poèmes assez longs sont présents dans la section I alors que leur nombre domine la section II.
  • Le nombre total de textes est de _____.

Les strophes :


Poème _________________ : « L’attente ».

  • Poèmes _____________ : « Feu d’artifice », « Burlesque », « Les mains libres », « Les tours d’Eliane »
  • ____________ : « Narcisse », « L’espion », « Le désir ». Le haïku est une forme japonaise populaire se caractérisant par une extrême brièveté. sa vocation est de concentrer l’essentiel de ce que l’on ressent à un instant précis, à travers le spectacle qu’offre la nature à cet instant. Comme dans les haïkus asiatiques, l’évocation allusive du monde matériel et concret est porteuse de valeurs symboliques, morales ou philosophiques.
  • ________________ : poésie gnomique, d’apparence impersonnelle et objective. Son enjeu est de proposer de nouvelles assertions de vérité à substituer aux anciennes, à la morale conformiste. Proverbe en 1920 proposait des proverbes dadaïstes qui faisaient la part belle à l’illogisme et au non-sens. 152 Proverbes ont été publiés en 1925. La structure syntaxique est frappante, les figures de rhétoriques heureuses. Ici, on trouve des locutions proverbiales comme dans « J. » ou « Le tournant ».
  • Formes plus ____________, plus aérées : ni strophe régulière, ni mètres récurrents, ni rimes systématiques. Eluard sera de plus en plus porté, en dépit de sa tendance de départ à la forme court et au resserrement, à une « poésie ininterrompue », illustrée par deux recueils, en 194- et 1953.

Les types de vers :

  • Dans « L’aventure », p. 31, les trois premiers vers sont des ______________ si le vers 2 se dit sans diérèse et si l’on en compte pas le –e- à la césure du vers 3. Dans la suite du texte, il n’y a pas de vers _____________, si les –e- devant consonne sont prononcés. Le schéma du poème est donc le suivant :

________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________

  • De même, « Main et fruits », p. 52, est entièrement composé en _______________ sauf pour les vers 6 et 11 qui sont des ______________.
  • Le vers impair est très minoritaire dans le recueil : il apparaît sous la forme d’un _______________.

Le choix des rimes :

  • La plupart des vers sont des vers _____________qui proscrivent la rime.
  • Cependant, on trouve des rimes dans les poèmes, souvent ______________, mais là où il y a un effet de sens :
  • P. 32, « L’angoisse et l’inquiétude » rime par la répétition du mot « détruire » : la redondance crée un effet d’insistance porteur de sens. La destruction fait en effet partie de l’acte créateur et est une étape indispensable de la régénérescence.
  • P. 35, dans « Narcisse », « pois » rime avec « soi » : le miroir produit par la rime redouble le sens du texte qui parle de l’enfermement narcissique dans son propre reflet.
  • P. 47, dans « Solitaire », on entend des échos (à une certaine distance) par la répétition de « sans toi » et de « vivre seul ». Il y a là un effet d’insistance sémantique accentuant la solitude du sujet plus qu’une rime.
  • P. 48, dans « Burlesque », la répétition de « moi » est paradoxale puisque l’individualité appelée est en même temps mise en doute par le poète créateur : tel un pygmalion, le poète ne peut être lui-même que par la femme qu’il crée (« fille de glace ») et qui lui donne son amour.
  • P. 55, dans « Le mannequin », « enfance » rime avec « distances » : cette rime referme le poème sur la vision d’un amour de jeunesse mais faux, illusoire, comme le « premier amour de l’écolier ».
  • P. 64, dans « Pouvoir », « impuissance » rime avec « distances » et réunit deux vers qui disent tous les deux un état d’emprisonnement et de soumission.
  • P. 77, dans « Plante-aux-oiseaux », « clair » et « terre » referment les deux quatrains sur deux mouvements d’élévation.
  • P. 86, dans « Paranoïa », la rime « terre » / « mer » fonctionne sur l’antithèse.
  • P. 94, dans « Le château d’If », « décorés » et « araignée » sont deux termes antithétiques réunis par la rime pour dire la mort de la parole et l(avènement du silence. (C’est peut-être la mort d’une parole conventionnelle : « Belle voix grande maison »).
  • P. 101, dans « L’apparition », « cri » et « détruit » relient deux vers qui disent la destruction du langage. Puis « Partagé » / « dépouillé » / « aimé » réunissent le dernier tercet pour dire le trouble, l’insuffisance de soi-même.
  • P. 102, dans « La peur », « brûlé » et « brisé » associent deux images de destruction. De même « terre » et « meurtrière » associent deux images de mort et d’enterrement.
  • P. 106, dans « Brosse à cheveux », « Répétant » et « dent » réunissent deux vers sur la parole poétique.
  • P.110, dans « Au bal Tabarin », « pluie » et « nuit » associent deux images qui obscurcissent la femme.
  • P. 117, dans « Où se fabriquent les crayons », « dessiner » et « déserté » construisent la métaphore du regard de lumière.

Malgré le faible nombre de rimes au sens propre du terme, on peut trouver dans les textes d’autres indices de poéticité : rimes intérieures, ______________ (répétition d’un même son vocalique), _______________(répétition d’un même son consonnantique), paronymies, anaphores, échos.

Le vocabulaire poétique :

C’est un vocabulaire ___________ qui peut se caser dans des mètres courts selon le principe de la ____________ (figure de style consistant à dire peu pour suggérer beaucoup), de la modestie et pour être lu « par tous ».

On trouve un vocabulaire :

  • élémentaire ______________ (le feu, la terre, l’air, l’eau)
  • élémentaire _______________et météorologique : jour, nuit, aurore, ciel, étoiles, nuages, neige.
  • élémentaire _____________ : l’herbe, les arbres, les branches, les feuilles, la rose, les fruits.
  • élémentaire _______________ : le poisson, l’oiseau.
  • élémentaire _______________ et physiologique : visage, cheveux, yeux, mains, seins, jambes, sang.
  • élémentaire dans le domaine des ______________ et de leur manifestation : désir, amour, peur, solitude, deuil, rire…

Il faut noter la très grande parcimonie de la parole. Eluard fait en permanence le choix de l’ellipse, de la litote et de la sobriété. Dans « J », il évoque la fascination pour la femme dans la lignée du « Serpent qui danse » de Baudelaire par un simple mot « indolent ». Dans « Le mannequin », p. 55, il évoque les amours de jeunesse et la joie de la création par un vers « unique guirlande tendue », réminiscence de Rimbaud.

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4 mai 2013 6 04 /05 /mai /2013 16:39

Les éléments scéniques dans des mises en scène de Rhinoceros de Ionesco

 

Les questions sur l’œuvre et les mises en scène vous invitaient à réfléchir sur les difficultés de la mise en scène et du respect du texte premier. Ces questions portent sur les éléments scéniques des mises en scène de la pièce Rhinocéros : mise en scène de Jean-Louis Barrault au théâtre de l’Odéon en 1960, mise en scène de Karl Heinz Stroux au théâtre Sarah Bernhardt à Paris en 1960, mise en scène de Jean-Louis Barrault au théâtre d’Orsay à Paris en 1978, et mise en scène d’Emmanuel Demarcy-Mota au théâtre de la Ville de Paris en 2004.

A / Les difficultés de la mise en scène

Il est impossible de transcrire le texte sur scène en respectant parfaitement les didascalies. La liberté très grande du texte vient de ce qu’il est déjà une transposition d’une nouvelle de Ionesco. Ainsi, certains passages tels que « presque simultanément nous vîmes apparaître, puis disparaître, le temps d’un éclair, sur le trottoir opposé, un rhinocéros soufflant bruyamment et fonçant, à toute allure, droit devant lui » ne sont pas transposable tels quels sur scène.

Il y a donc deux difficultés : 1 ) montrer les rhinocéros sur scène 2 ) montrer la métamorphose de Jean dans le deuxième tableau de l’acte II.

- Pour la première difficulté, l’illusion référentielle est exclue. Il faut trouver des subterfuges pour, non pas montrer les rhinocéros, mais suggérer leur présence : bande-son (galops et barrissements), poussière soulevée sur scène. dans le premier tableau de l’acte II, les employés de bureau voient Monsieur Bœuf dans l’escalier. Le spectateur entendra cet escalier s’effondrer les barrissements du personnages. Mais l’essentiel repose sur le jeu des acteurs : mimique des personnages sur scène qui eux voient les animaux, et qui permet ainsi de suggérer la présence de ceux-ci.

- Les costumes et accessoires peuvent également être utilisés. Ainsi, à l’acte III, Ionesco indique qu’on voit un « homme avec une grande corne au-dessus du nez puis une femmes ayant toute la tête d’un rhinocéros ». La mise en scène peut choisir de représenter la corne ou la tête de l’animal. En revanche, un déguisement complet paraît exclu.

 

- Pour la deuxième difficulté, la salle de bains constitue un hors-scène qui permet d’escamoter l’acteur le temps des transformations. Jean quittant la scène « pour se rafraîchir », l’acteur peut ainsi modifier son apparence. William Sabatier parle ainsi de son interprétation du personnage Jean dans la mise en scène de Jean-Louis Barrault : « En très peu de temps, en coulisses, il fallait que je me barbouille de vert, la carapace était mise au début sous le pyjama (…). Je dévoilais de plus en plus de carapace verte et de maquillage tout en parlant. J’avais un mégaphone à la main pour faire des rugissements. ». On voit que l’illusion peut ainsi s’opérer grâce au costume, au maquillage et aux bruitages.

 

B / Un parti pris réaliste ou un parti pris stylisé ?

De ce point de vue, les mises en scène peuvent suivre deux options différentes :

  • soit essayer de créer l’illusion référentielle en étant au plus près de la réalité. La corne et la carapace du rhinocéros sont alors montrées de la façon la plus réaliste possible. Dans les mises en scène de Jean-Louis Barrault et de Karl-Heinz Stroux, la foule des rhinocéros est suggérée par des têtes accrochées au mur. Les cornes et les carapaces sont les plus réalistes possibles, quoiqu’ un peu plus stylisées dans la seconde mise en scène de Jean-Louis Barrault en 1978.
  • soit la mise en scène peut recourir au symbolique. C’est le cas de la mise en scène de Emmanuel Demarcy-Mota, au théâtre de la ville de Paris, en 2004, où la corne est figurée par un tuyau d’acier maintenu par un bandeau blanc. Dans cette mise en scène, les personnages portent des masques informes sur le visage, créant une atmosphère de « cauchemar obsédant ».
  • De même, les décors peuvent être réalistes ou stylisés. Le décor est réaliste dans la mise en scène de Jean-Louis Barrault de 1960. En revanche, c’est un fond noir pour celle de 1978. Chez Emmanuel Demarcy-Motta, le décor est métallique, suspendu et mobile : deux passerelles se soulèvent à leur extrémité. Ce décor stylisé est le symbole de notre monde moderne déshumanisé.

 

C / Les changements dans l’interprétation de l’œuvre

On voit ainsi que les choix de mise en scène influent sur l’interprétation et le sens de l’œuvre. Jean-Louis Barrault fait clairement référence au nazisme. mais un mise en scène plus récente peut abandonner cette interprétation première pour montrer les nouveaux fascismes et les nouveaux totalitarismes qui se développent dans notre monde moderne.

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13 décembre 2012 4 13 /12 /décembre /2012 14:27

Acte III, scène 3

 

Les références proposées sont celles de l’édition GF. Dans cette édition, la scène 3 de l’acte Iii va de la page 127 à la page 147.

 

Enjeux : comprendre les enjeux scéniques de l’extrait et la difficulté de la mettre en scène.

Dégager les enjeux philosophiques de la scène. Percevoir le style poétique et élégiaque de l’écriture de Musset.

 

I – Les enjeux scéniques d’une scène particulièrement longue

 

Problématique : cette scène est une vraie gageure théâtrale par son exceptionnelle longueur, par la complexité de l’échange, et par son écriture poétique.

 

Il est important de pouvoir la cerner tout d’abord dans son ensemble.

 

1.1        )La composition de la scène

 

Point de méthode : pour dégager les différents temps d’une scène aussi longue, il faut être attentif aux didascalies, à la distribution de la parole (qui parle le plus ? en dernier ? qui domine la scène ?), au vouvoiement ou au tutoiement.

 

Il y a deux grands temps dans cette scène :

 

  • le premier temps est consacré à l’arrestation de Pierre et de Thomas Strozzi sous les yeux de leur père (p. 127 à 130). Ce premier temps se décompose lui-même en trois moments distinct : l’arrestation de Thomas Strozzi, p. 127, jusqu’à la didascalie « Pierre et Philippe arrivent. » ; l’arrestation de Pierre sous les yeux de Philippe impuissant, p. 128-129, jusqu’à « et le bâtard en sera pour ses frais de justice » ; le monologue de déploration de Philippe où celui-ci s’engage également à agir, pp. 129-130, jusqu’à « redresse-toi pour l’action ».
  • le deuxième temps à partir de la didascalie « Entre Lorenzo » jusqu’à la fin de la scène est consacré à la confrontation entre Philippe Strozzi et Lorenzo.

 

→ C’est la confrontation entre Philippe et Lorenzo qui nous intéresse. Il faut en maîtriser la composition.

 

- Premier temps : p. 130-132, de « Entre Lorenzo » à « est une lumière éblouissante ». C’est l’invocation de Philippe à Lorenzo de se départir de son masque et de montrer sa vraie nature.

→ Dans ce premier temps, Philippe parle plus que Lorenzo, et la différence sur scène (Philippe est assis et Lorenzo debout) rend compte de la tension entre les deux personnages : Lorenzo esquive les questions de Philippe (il répond de façon liminaire, ou par l’ironie, ou par une autre question). Philippe adjure Lorenzo de parler, de dire la vérité. Philippe est enfermé dans sa douleur de père et Lorenzo dans sa tristesse.

- Deuxième temps : p. 132-136, de « Il s’assied près de Philippe » à « tu m’irrites singulièrement » : Lorenzo essaie de dissuader Philippe d’agir et lui parle, dans ce but, de son projet de meurtre.

→ Dans ce deuxième temps, Lorenzo est assis à côté de Philippe, ce qui rapproche les deux personnages. Le ton est celui de la confidence et du conseil dissuasif. Le tutoiement est celui de la compassion de Lorenzo pour les malheurs de Philippe. Cependant, le dialogue ne se fait pas absolument car Philippe reste enfermé dans sa colère et dans sa perplexité.

- Troisième temps : p. 136-139, de « Tel que tu me vois, Philippe, j’ai été honnête » à « Maintenant, sais-tu ce qui m’arrive, et ce dont je veux t’avertir ? » : C’est le récit par Lorenzo de l’élaboration du projet du meurtre.

→ Lorenzo parle désormais beaucoup plus que Philippe qui se contente de réagir par la stupeur et la perplexité. Lorenzo tente de se confier à ce père symbolique qu’est Philippe et lui raconte son parcours de Rome à Florence. On peut cependant se demander s’il parvient vraiment à se faire entendre.

- Quatrième temps, p. 139-145, de « Tu es notre Brutus, si tu dis vrai » à « Viens, rentrons à ton palais, et tâchons de délivrer tes enfants » : dans ce temps, directement relié au précédent, Lorenzo dit avoir déjà conscience de l’échec de son projet de meurtre, pour les hommes et pour lui-même.

→ A l’idéalisme de Philippe répond ici le nihilisme de Lorenzo. L’antithèse entre les deux personnages se creuse encore, Philippe répondant aux tirades lyriques de Lorenzo par l’incompréhension et l’étonnement.

- Cinquième temps, p.145-147, de « Mais pourquoi tueras-tu le duc » à la fin de la scène : C’est le moment du dévoilement le plus intime. Lorenzo y exprime ses motivations profondes, son rêve de restauration d’une unité perdue, son orgueil et la démesure de son rêve.

→ Ce dernier temps est marqué par la logorrhée verbale de Lorenzo qui s’exprime à travers sa très longue tirade. Cependant, Lorenzo reste incompris par Philippe qui en revient à son projet du début de la scène. Philippe n’a donc pas changé et l’échange verbal se solde partiellement par un échec. (On voit là une expression de la construction du personnage de Philippe qui à la façon des personnages de comédie reste fermé au monde et immuable, guidée par une idée fixe qui n’a d’ailleurs aucune consistance).

 

1.2      ) Les problèmes de représentation

 

  • Cette scène est particulièrement longue et la densité de la parole (longueur et complexité des tirades, mais aussi leur potentiel poétique) suppose que la scène soit assez statique. La gestuelle ne peut en effet qu’être limitée pour laisser la place à la parole. D’ailleurs, les indications scéniques sont très réduites. Cela demande au spectateur un effort important d’attention.
  • La qualité oratoire et poétique du texte suppose un certain effacement du personnage derrière son texte. En même temps, cette scène recentre l’intrigue sur l’aventure personnelle de Lorenzo. Il faut donc à l’acteur jouant Lorenzo le charisme nécessaire et en même temps la prudence pour se garder d’alourdir le texte par trop d’emphase ou une diction trop appuyée.
  • Le texte appartient à la tradition du texte dit « littéraire », et « poétique ». Tout doit se jouer sur les modulations de la voix du comédien, et sur la variation des postures. Un journaliste du Journal musical déclare ainsi à propos de la performance de Gérard Philippe en 1952 : l’acteur est « dansant, mimant, rampant, épuisé par l’attente et râlant de désir ».
  • Le ton résolument élégiaque de ce passage est aussi une gageure pour le comédien qui doit rendre la fermeté mais en même temps la rêverie et le désespoir de Lorenzo.

 

1.3      ) L’exemple de Gérard Philippe en 1952

 

  • Cf. : http://www.youtube : Lorenzaccio -Gérard Philippe : quoique très fidèle à la pièce, la mise en scène présente un texte coupé en plusieurs endroits. Il faut comprendre les raisons qui président aux coupes et celles qui motivent le respect d’autres passages.
  • Il s’agit d’écourter la pièce, de la rendre plus simple et plus intelligible pour le spectateur.
  • Les passages inutiles à la compréhension littérale car répétitifs ont été coupés. Ainsi, Lorenzo dissuade à plusieurs reprises Philippe de passer à l’acte et lui conseille de rentrer chez lui. Ces réitérations ont été coupées, comme celle p. 135. Ces coupes créent donc un texte plus simple et plus fluide. Ainsi, la longue tirade finale dit à trois reprises le dégoût de Lorenzo de lui-même et des hommes. La mise en scène n’a retenu que l’une de ces propositions.
  • Il s’agit aussi de recentrer la scène exclusivement sur l’aventure de Lorenzo. Les remarques annexes sur la sécurité de Thomas et Pierre ou sur les républicains n’apparaissent donc pas. Ainsi, il y a une importante coupe sur l’impuissance verbeuse des républicains.
  • La mise en scène a également coupé des passages poétiques qui ne correspondent pas à un texte destiné à être joué, et qui risque d’entraîner une diction verbeuse et fausse sur scènes : le destin de Philippe joué aux dés, le martyr de Lorenzo, l’allusion mythologique à Niobé, la comparaison avec une statue, la référence à Cicéron, la métaphore du pansement pour désigner le masque du vice que Lorenzo a porté, la métaphore du masque de plâtre, la bâton d’or de Brutus, la métaphore de la cloche pour entrer dans la corruption du monde, la métaphore de la cité avec ses mauvais lieux, la métaphore de l’habité pour décrire le rôle de perverti que Lorenzo a joué, la robe de l’humanité qui dévoile sa corruption, la comparaison des hommes avec les chiens, la métaphore du voile couvrant la vérité, le vêtement du vice. Tous ces éléments sont des éléments poétiques (essentiellement des comparaisons, des métaphores, des allégories, des références à la mythologie ou à l’histoire antique) qui risquent d’obscurcir le discours de Lorenzo pour un public non initié. Ils supposent aussi que l’acteur s’efface devant la qualité poétique du texte, la présence de l’image et rendent la présence du comédien sur scène encore plus problématique.
  • Enfin, de nombreuses interventions de Philippe qui relancent le discours de Lorenzo ont été coupées. Elles n’apportent d’ailleurs pas de sens et alourdissent la scène à la représentation. Ce qui veut dire que le personnage de Philippe s’efface devant Lorenzo et que l’incompréhension entre les deux personnages est moins perceptible. Le metteur en scène a privilégié les questions et les réactions de Philippe à celles qui expriment sa perplexité et son incompréhension. Ce qui suppose ici que la voie de la parole pour Lorenzo construise vraiment l’action et ne soit pas un échec comme dans la version complète de Musset ! Lorenzo sort grandi, et compris partiellement de Philippe ce qui n’est en réalité pas le cas. On voit la volonté d’affirmer un personnage, à la dimension du comédien Gérard Philippe. Il n’est pas en posture d’échec, comme dans le texte intégral de Musset. De fait, une bonne part de la partie sur la conscience d’un échec pour les hommes et pour lui-même a été abandonnée. C’est la partie qui a le plus de coupes et les coupes les plus importantes. On ne retrouve pas totalement le nihilisme de Musset qui dénie à son personnage toute compréhension, tout sens et toute réussite, et qui le maintient dans une solitude existentielle radicale.

 

II – Les enjeux politiques et métaphysiques

 

→ La pièce a un enjeu pour Lorenzo : elle dévoile clairement son projet, l’histoire de son élaboration et la conscience d’un échec attendu pour les hommes comme pour lui-même.

→ Elle permet également à Musset de dévoiler le pessimisme du personnage sur les enjeux politiques et métaphysiques de la pièce.

· L’injustice du monde qui bafoue l’homme bon et droit

Lorenzo et Philippe utilisent tous deux la métaphore du mendiant réclamant la justice, p. 130 : « demandes-tu l’aumône », « l’aumône à la justice des hommes, « un mendiant affamé de justice », « mon honneur est en haillons ».

· La corruption du monde sous les apparences se dit à travers un réseau métaphorique qui brasse les thèmes du masque, de l’habit-déguisement, de la théâtralité.

« le masque de la colère » (p. 130), « la hideuse comédie que tu joues », « fidèle spectateur », « que l’homme sorte de l’histrion », p. 131. « le rôle que tu joues est un rôle de boue et de lèpre », p. 132. P. 138 : « les masque de plâtre ». L’hypocrisie est également exprimée en termes bibliques à travers la figure de Judas, p. 141 : « avec un sourire plus vil que le baiser de Judas ». On retrouve le motif du déguisement p. 141 : « habits neufs de la grande confrérie du vice », « enfant de dix ans dans l’armure d’un géant de la fable », « tous les masques tombaient devant mon regard », « l’Humanité souleva sa robe et me montra (…) sa monstrueuse nudité ». P. 143 : « la main qui a soulevé une fois le voile de la vérité ne peut plus le laisser retomber », « le vice a été pour moi un vêtement, maintenant il est collé à ma peau ». L’humanité se révèle duplice et la vertu n’est qu’une apparence, un masque. Le récit de Lorenzo s’emploie à démasquer l’imposture. A force, cependant, le thème du masque s’inverse. Au début c’est la vertu qui est un masque. Mais bientôt, Lorenzo semble vouloir soulever le masque du vice pour apercevoir quelques « restes » d’une pureté originelle : « j’attendais toujours que l’humanité me laissât voir sur sa face quelque chose d’honnête ».

·         Le monde corrompu est comparé à un océan peuplé de monstres marins, où à une cité remplie de mauvais lieux.

P. 139, la métaphore de l’océan dans lequel Lorenzo plonge sous une « cloche de verre » et que Philippe contemple de loin, permet d’opposer l’idéalisme de Philippe à la connaissance désabusée de Lorenzo. P. 140, le monde est comme une cité emplies de « tripots » et de « mauvais quartiers ». Ainsi, le parcours de Lorenzo est symboliquement associé au récit de la chute originelle (« Suis-je Satan ? », « Songes-tu que je glisse depuis deux ans sur un rocher taillé à pic », prise entre la nostalgie d’un paradis perdu et la descente aux enfers : « tout ce que j’ai à voir, moi, c’est que je suis perdu ». Son récit a donc des connotations à la fois tragiques et religieuses.

· La corruption des hommes, leur caractère vile sont aussi exprimés à travers le réseau de métaphores animalières

Lorenzo est « traité de chien », p. 131 ; Le duc est comparé, pp. 138-139 à un « buffle sauvage », qui, « quand le bouvier l’abat sur l’herbe, n’est pas entouré de plus de filets ». L’homme est ravalé au rang de chien : il lèche la main avec fidélité après s’être roulé sur les cadavres. Lorenzo ne dénie pas aux hommes une certaine forme de vertu, mais ils montre que les frontières entre le bien et le mal sont brouillées : l’ami fidèle est aussi un être plein de bassesse.

· C’est aussi la métaphore animalière qui permet de dire l’amour paternel, quelque chose de l’ordre de l’instinct

Philippe séparé de ses fils est « comme le serpent », « les morceaux mutilés de Philippe se rejoindraient encore et se lèveraient pour la vengeance », p. 132. La métaphore du cheval permet de dire la vieillesse d’une existence passée au service de la cité : « j’ai trop tourné sur moi-même comme un cheval de pressoir », p. 133.

· Lorenzo dit l’hybris, la folie qu’il y a à avoir des rêves de liberté, comparée à un démon de la Bible

P. 180 : « c’est un démon plus beau que Gabriel (…). C’est le bruit des écailles d’argent de ses ailes flamboyantes. Les larmes de ses yeux fécondent la terre, et il tient à la main la palme des martyrs. Ses paroles épurent l’air autour de ses lèvres ; son vol est si rapide que nul ne peut dire où il va ». Lorenzo ne se présente-t-il pas lui-même comme un ange justicier : « l’Humanité gardera sur sa joue le soufflet de mon épée marqué en traits de sang », « les hommes comparaîtront devant le tribunal de ma volonté ». C’est aussi en termes bibliques, inspirés du Cantique des cantiques que Lorenzo exprime son observation du monde : « j’observais comme un amant sa fiancée en attendant le jour des noces ».

· La dualité de Lorenzo.

Cette dualité est exprimée à travers la métaphore du flacon. P. 135 : « Toi qui m’as parlé d’une liqueur précieuse dont tu étais la flacon, est-ce là ce que tu renfermes ». La vice est comme un emplâtre que l’on ne peut plus enlever, p. 138 : « il y a des blessures dont on ne lève pas l’appareil impunément ».  La corruption est ainsi associée à l’image de la flétrissure : « je croyais que la corruption était un stigmate et que les monstres seuls le portaient au front ». Par cette image, l’idéalisme manichéen est dénoncé : le mal n’est pas la particularité de quelques monstres ; le mal est associé à la normalité ! Cette dualité s’exprime aussi dans la tirade finale par la métaphore du fil qui relie le cœur présent au cœur d’autrefois, la métaphore du précipice. Cette dualité s’alimente de la nostalgie d’une pureté perdue. Lorenzo révèle sa sensibilité, et à l’image de son auteur, une quête de fusion amoureuse qui a sombré dans la désillusion : « j’aurai pleuré avec la première fille que j’ai séduite ». Cette scène explicite un lien chez Musset entre naïveté et rouerie. La frontière entre la vertu et le vice est ainsi floue : Lorenzo essuie sur les joues des femmes qu’il séduit des « larmes vertueuses ». Le libertinage est ainsi associé à l’incandescence romantique. Lorenzo a en lui à la fois la nostalgie d’un amour idéalisé et une curiosité pour le mal. Cf. sur le libertinage et la nostalgie de la pureté, l’article d’Anne Quentin, « Musset, un libertin mélancolique », dans les Nouveaux Cahiers de la Comédie-Française.

 

III – Le rôle de la parole dans la tirade finale

 

  • La tirade se situe à la fin d’une scène qui a vu :

- l’énoncé d’un projet, celui du meurtre

- l’histoire de sa mise en œuvre

- la certitude d’un succès imminent.

  • En même temps, Lorenzo a affirmé l’inutilité de son acte pour l’humanité qui ne saura pas en profiter et pour lui-même : il sait déjà que la restauration, la régénération qu’il en attend est impossible. Ce double constat vide son geste de tout sens.
  • D’où la question de Philippe : « Si tu crois que c’est un meurtre inutile à ta patrie, pourquoi le commets-tu ? ». Philippe pose la question du sens de l’acte dans la perspective de son double échec.
  • La justification qu’apporte Lorenzo à son acte est triple : c’est une justification par rapport à lui-même, une justification par rapport à Philippe et aux républicains, une justification par rapport à l’humanité toute entière. La tirade se décompose ainsi en trois temps, un premier temps marqué par la forte présence du pronom personnel de première personne (l.475-494), un deuxième temps centré sur les réactions des « républicains » (l. 494-507) et un troisième temps où Lorenzo invoque « les hommes », « l’Humanité » (l.507-519). La composition de la tirade est donc soutenue par un mouvement d’amplification de la pensée et de la vision.

 

On peut se demander quel est le rôle de la parole pour Lorenzo. Est-ce un bavardage oiseux ou une parole possédant la vertu du salut ?

 

A – Une parole salvatrice ou vaine ?

 

·         La parole de Lorenzo affirme un triple vide : vis-à-vis de soi-même, vis-à-vis des républicains et vis-à-vis de l’humanité.

·         Pour soi-même, Lorenzo présente sa vie comme entièrement vaine et conduisant dans son non-sens au suicide : « veux-tu donc que je m’empoisonne, ou que je saute dans l’Arno ? ». L’être lui-même a perdu son épaisseur et comme ses principes de vie, rendu au « spectre » (dans une inversion de II, 4, Lorenzo devient le spectre de son spectre) ou au « squelette ». C’est un être déchiré, séparé de son identité (métaphore du fil qui relie le « cœur » d’aujourd’hui à celui d’autrefois). La métaphore du précipice permet de dire la chute morale du personnage. La suite de la tirade creuse le pourrissement de soi-même : l’orgueil, le vice, le vin, le jeu, les filles.

·         Les républicains sont eux aussi du côté du vide, de l’incapacité, du non-sens. Ce sont des « lâches » qui parlent beaucoup pour se dispenser d’agir : « lâches sans nom, qui m’accablent d’injures pour se dispenser de m’assommer, comme ils le devraient », « pourront satisfaire leur gosier, et vider leur sac à parole ».

·         L’humanité est une coupable qu’il faut corriger et qu’il faut faire comparaître pour la juger : « l’Humanité gardera sur sa joue le soufflet de mon épée », « les hommes comparaîtront devant la tribunal de ma volonté ».

·         La parole prend des accents à la fois lyriques et polémiques (anaphore des « veux-tu donc », « songes-tu », « voilà assez longtemps », questions rhétoriques…). L’effort de grandissement verbal est à la hauteur de l’inanité du geste.

·         Pourtant, cette parole dit la nécessité de l’action et l’inanité de la parole (« j’en ai assez d’entendre brailler en plein vent le bavardage humain »). Au milieu du plein verbal est dénoncée une parole comme vide.

·         La pierre de touche de la dignité vraie, c’est l’action (« de m’assommer, comme ils le devraient »). La parole est dépréciée dans le même temps qu’elle construit l’acte futur.

·         La parole en ce sens est le point d’aboutissement d’une aventure qui est celle d’un comédien (Lorenzo a joué le rôle du lâche et du débauché). A ce moment-là de la pièce, Lorenzo a une dernière fois besoin d’un spectateur, Philippe. C’est une parole qui porte au comble la théâtralité de Lorenzo tout en dénonçant en même temps la théâtralité d’un monde de faux-semblant.

 

B – L’expression d’une fatalité ?

 

  • L’acte futur du meurtre est présenté au présent au début de la tirade. L’acte est posé comme une sorte d’absolu.
  • Le meurtre est aussi une nécessité : il est le seul terme d’une alternative dont l’autre terme est le néant : « le seul fil », « tout ce qui me reste de ma vertu », « le seul brin d’herbe ».
  • C’est une nécessité pour soi et une fatalité pour l’humanité. Il s’agit d’assigner les hommes à comparaître, à reconnaître la vérité de leur être : « j’aurai dit tout ce que j’ai à dire », d’apporter la preuve de leur ignominie et d’obliger l’humanité à s’en souvenir : ‘il ne me plaît pas qu’ils m’oublient », « dans deux jours les hommes comparaîtront au tribunal de ma volonté ».
  • L’acte du meurtre est donc lui aussi un langage, qui jette à la face du monde son impureté, une « parole » en acte qui serait réellement salvatrice : Lorenzo déclare « j’aurai dit tout ce que j’ai à dire ». L’acte porte en lui le rêve d’une révélation faite à l’humanité. Pourtant, on sait déjà que cette révélation sera sans effet. Le nihilisme de Musset frappe donc la parole comme l’action, toutes deux vouées à l’échec.

 

 

La parole dit l’action à venir et demeure pour une part sans effet sur Philippe, comme le sera sur les autres familles républicaines. Le nihilisme de Musset s’étend donc à la parole comme à l’action. Toutes deux échouent à faire advenir la vérité, la liberté dont les hommes ne veulent guère, à réconcilier l’homme avec les autres et avec lui-même.

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