Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
13 décembre 2012 4 13 /12 /décembre /2012 14:27

Acte III, scène 3

 

Les références proposées sont celles de l’édition GF. Dans cette édition, la scène 3 de l’acte Iii va de la page 127 à la page 147.

 

Enjeux : comprendre les enjeux scéniques de l’extrait et la difficulté de la mettre en scène.

Dégager les enjeux philosophiques de la scène. Percevoir le style poétique et élégiaque de l’écriture de Musset.

 

I – Les enjeux scéniques d’une scène particulièrement longue

 

Problématique : cette scène est une vraie gageure théâtrale par son exceptionnelle longueur, par la complexité de l’échange, et par son écriture poétique.

 

Il est important de pouvoir la cerner tout d’abord dans son ensemble.

 

1.1        )La composition de la scène

 

Point de méthode : pour dégager les différents temps d’une scène aussi longue, il faut être attentif aux didascalies, à la distribution de la parole (qui parle le plus ? en dernier ? qui domine la scène ?), au vouvoiement ou au tutoiement.

 

Il y a deux grands temps dans cette scène :

 

  • le premier temps est consacré à l’arrestation de Pierre et de Thomas Strozzi sous les yeux de leur père (p. 127 à 130). Ce premier temps se décompose lui-même en trois moments distinct : l’arrestation de Thomas Strozzi, p. 127, jusqu’à la didascalie « Pierre et Philippe arrivent. » ; l’arrestation de Pierre sous les yeux de Philippe impuissant, p. 128-129, jusqu’à « et le bâtard en sera pour ses frais de justice » ; le monologue de déploration de Philippe où celui-ci s’engage également à agir, pp. 129-130, jusqu’à « redresse-toi pour l’action ».
  • le deuxième temps à partir de la didascalie « Entre Lorenzo » jusqu’à la fin de la scène est consacré à la confrontation entre Philippe Strozzi et Lorenzo.

 

→ C’est la confrontation entre Philippe et Lorenzo qui nous intéresse. Il faut en maîtriser la composition.

 

- Premier temps : p. 130-132, de « Entre Lorenzo » à « est une lumière éblouissante ». C’est l’invocation de Philippe à Lorenzo de se départir de son masque et de montrer sa vraie nature.

→ Dans ce premier temps, Philippe parle plus que Lorenzo, et la différence sur scène (Philippe est assis et Lorenzo debout) rend compte de la tension entre les deux personnages : Lorenzo esquive les questions de Philippe (il répond de façon liminaire, ou par l’ironie, ou par une autre question). Philippe adjure Lorenzo de parler, de dire la vérité. Philippe est enfermé dans sa douleur de père et Lorenzo dans sa tristesse.

- Deuxième temps : p. 132-136, de « Il s’assied près de Philippe » à « tu m’irrites singulièrement » : Lorenzo essaie de dissuader Philippe d’agir et lui parle, dans ce but, de son projet de meurtre.

→ Dans ce deuxième temps, Lorenzo est assis à côté de Philippe, ce qui rapproche les deux personnages. Le ton est celui de la confidence et du conseil dissuasif. Le tutoiement est celui de la compassion de Lorenzo pour les malheurs de Philippe. Cependant, le dialogue ne se fait pas absolument car Philippe reste enfermé dans sa colère et dans sa perplexité.

- Troisième temps : p. 136-139, de « Tel que tu me vois, Philippe, j’ai été honnête » à « Maintenant, sais-tu ce qui m’arrive, et ce dont je veux t’avertir ? » : C’est le récit par Lorenzo de l’élaboration du projet du meurtre.

→ Lorenzo parle désormais beaucoup plus que Philippe qui se contente de réagir par la stupeur et la perplexité. Lorenzo tente de se confier à ce père symbolique qu’est Philippe et lui raconte son parcours de Rome à Florence. On peut cependant se demander s’il parvient vraiment à se faire entendre.

- Quatrième temps, p. 139-145, de « Tu es notre Brutus, si tu dis vrai » à « Viens, rentrons à ton palais, et tâchons de délivrer tes enfants » : dans ce temps, directement relié au précédent, Lorenzo dit avoir déjà conscience de l’échec de son projet de meurtre, pour les hommes et pour lui-même.

→ A l’idéalisme de Philippe répond ici le nihilisme de Lorenzo. L’antithèse entre les deux personnages se creuse encore, Philippe répondant aux tirades lyriques de Lorenzo par l’incompréhension et l’étonnement.

- Cinquième temps, p.145-147, de « Mais pourquoi tueras-tu le duc » à la fin de la scène : C’est le moment du dévoilement le plus intime. Lorenzo y exprime ses motivations profondes, son rêve de restauration d’une unité perdue, son orgueil et la démesure de son rêve.

→ Ce dernier temps est marqué par la logorrhée verbale de Lorenzo qui s’exprime à travers sa très longue tirade. Cependant, Lorenzo reste incompris par Philippe qui en revient à son projet du début de la scène. Philippe n’a donc pas changé et l’échange verbal se solde partiellement par un échec. (On voit là une expression de la construction du personnage de Philippe qui à la façon des personnages de comédie reste fermé au monde et immuable, guidée par une idée fixe qui n’a d’ailleurs aucune consistance).

 

1.2      ) Les problèmes de représentation

 

  • Cette scène est particulièrement longue et la densité de la parole (longueur et complexité des tirades, mais aussi leur potentiel poétique) suppose que la scène soit assez statique. La gestuelle ne peut en effet qu’être limitée pour laisser la place à la parole. D’ailleurs, les indications scéniques sont très réduites. Cela demande au spectateur un effort important d’attention.
  • La qualité oratoire et poétique du texte suppose un certain effacement du personnage derrière son texte. En même temps, cette scène recentre l’intrigue sur l’aventure personnelle de Lorenzo. Il faut donc à l’acteur jouant Lorenzo le charisme nécessaire et en même temps la prudence pour se garder d’alourdir le texte par trop d’emphase ou une diction trop appuyée.
  • Le texte appartient à la tradition du texte dit « littéraire », et « poétique ». Tout doit se jouer sur les modulations de la voix du comédien, et sur la variation des postures. Un journaliste du Journal musical déclare ainsi à propos de la performance de Gérard Philippe en 1952 : l’acteur est « dansant, mimant, rampant, épuisé par l’attente et râlant de désir ».
  • Le ton résolument élégiaque de ce passage est aussi une gageure pour le comédien qui doit rendre la fermeté mais en même temps la rêverie et le désespoir de Lorenzo.

 

1.3      ) L’exemple de Gérard Philippe en 1952

 

  • Cf. : http://www.youtube : Lorenzaccio -Gérard Philippe : quoique très fidèle à la pièce, la mise en scène présente un texte coupé en plusieurs endroits. Il faut comprendre les raisons qui président aux coupes et celles qui motivent le respect d’autres passages.
  • Il s’agit d’écourter la pièce, de la rendre plus simple et plus intelligible pour le spectateur.
  • Les passages inutiles à la compréhension littérale car répétitifs ont été coupés. Ainsi, Lorenzo dissuade à plusieurs reprises Philippe de passer à l’acte et lui conseille de rentrer chez lui. Ces réitérations ont été coupées, comme celle p. 135. Ces coupes créent donc un texte plus simple et plus fluide. Ainsi, la longue tirade finale dit à trois reprises le dégoût de Lorenzo de lui-même et des hommes. La mise en scène n’a retenu que l’une de ces propositions.
  • Il s’agit aussi de recentrer la scène exclusivement sur l’aventure de Lorenzo. Les remarques annexes sur la sécurité de Thomas et Pierre ou sur les républicains n’apparaissent donc pas. Ainsi, il y a une importante coupe sur l’impuissance verbeuse des républicains.
  • La mise en scène a également coupé des passages poétiques qui ne correspondent pas à un texte destiné à être joué, et qui risque d’entraîner une diction verbeuse et fausse sur scènes : le destin de Philippe joué aux dés, le martyr de Lorenzo, l’allusion mythologique à Niobé, la comparaison avec une statue, la référence à Cicéron, la métaphore du pansement pour désigner le masque du vice que Lorenzo a porté, la métaphore du masque de plâtre, la bâton d’or de Brutus, la métaphore de la cloche pour entrer dans la corruption du monde, la métaphore de la cité avec ses mauvais lieux, la métaphore de l’habité pour décrire le rôle de perverti que Lorenzo a joué, la robe de l’humanité qui dévoile sa corruption, la comparaison des hommes avec les chiens, la métaphore du voile couvrant la vérité, le vêtement du vice. Tous ces éléments sont des éléments poétiques (essentiellement des comparaisons, des métaphores, des allégories, des références à la mythologie ou à l’histoire antique) qui risquent d’obscurcir le discours de Lorenzo pour un public non initié. Ils supposent aussi que l’acteur s’efface devant la qualité poétique du texte, la présence de l’image et rendent la présence du comédien sur scène encore plus problématique.
  • Enfin, de nombreuses interventions de Philippe qui relancent le discours de Lorenzo ont été coupées. Elles n’apportent d’ailleurs pas de sens et alourdissent la scène à la représentation. Ce qui veut dire que le personnage de Philippe s’efface devant Lorenzo et que l’incompréhension entre les deux personnages est moins perceptible. Le metteur en scène a privilégié les questions et les réactions de Philippe à celles qui expriment sa perplexité et son incompréhension. Ce qui suppose ici que la voie de la parole pour Lorenzo construise vraiment l’action et ne soit pas un échec comme dans la version complète de Musset ! Lorenzo sort grandi, et compris partiellement de Philippe ce qui n’est en réalité pas le cas. On voit la volonté d’affirmer un personnage, à la dimension du comédien Gérard Philippe. Il n’est pas en posture d’échec, comme dans le texte intégral de Musset. De fait, une bonne part de la partie sur la conscience d’un échec pour les hommes et pour lui-même a été abandonnée. C’est la partie qui a le plus de coupes et les coupes les plus importantes. On ne retrouve pas totalement le nihilisme de Musset qui dénie à son personnage toute compréhension, tout sens et toute réussite, et qui le maintient dans une solitude existentielle radicale.

 

II – Les enjeux politiques et métaphysiques

 

→ La pièce a un enjeu pour Lorenzo : elle dévoile clairement son projet, l’histoire de son élaboration et la conscience d’un échec attendu pour les hommes comme pour lui-même.

→ Elle permet également à Musset de dévoiler le pessimisme du personnage sur les enjeux politiques et métaphysiques de la pièce.

· L’injustice du monde qui bafoue l’homme bon et droit

Lorenzo et Philippe utilisent tous deux la métaphore du mendiant réclamant la justice, p. 130 : « demandes-tu l’aumône », « l’aumône à la justice des hommes, « un mendiant affamé de justice », « mon honneur est en haillons ».

· La corruption du monde sous les apparences se dit à travers un réseau métaphorique qui brasse les thèmes du masque, de l’habit-déguisement, de la théâtralité.

« le masque de la colère » (p. 130), « la hideuse comédie que tu joues », « fidèle spectateur », « que l’homme sorte de l’histrion », p. 131. « le rôle que tu joues est un rôle de boue et de lèpre », p. 132. P. 138 : « les masque de plâtre ». L’hypocrisie est également exprimée en termes bibliques à travers la figure de Judas, p. 141 : « avec un sourire plus vil que le baiser de Judas ». On retrouve le motif du déguisement p. 141 : « habits neufs de la grande confrérie du vice », « enfant de dix ans dans l’armure d’un géant de la fable », « tous les masques tombaient devant mon regard », « l’Humanité souleva sa robe et me montra (…) sa monstrueuse nudité ». P. 143 : « la main qui a soulevé une fois le voile de la vérité ne peut plus le laisser retomber », « le vice a été pour moi un vêtement, maintenant il est collé à ma peau ». L’humanité se révèle duplice et la vertu n’est qu’une apparence, un masque. Le récit de Lorenzo s’emploie à démasquer l’imposture. A force, cependant, le thème du masque s’inverse. Au début c’est la vertu qui est un masque. Mais bientôt, Lorenzo semble vouloir soulever le masque du vice pour apercevoir quelques « restes » d’une pureté originelle : « j’attendais toujours que l’humanité me laissât voir sur sa face quelque chose d’honnête ».

·         Le monde corrompu est comparé à un océan peuplé de monstres marins, où à une cité remplie de mauvais lieux.

P. 139, la métaphore de l’océan dans lequel Lorenzo plonge sous une « cloche de verre » et que Philippe contemple de loin, permet d’opposer l’idéalisme de Philippe à la connaissance désabusée de Lorenzo. P. 140, le monde est comme une cité emplies de « tripots » et de « mauvais quartiers ». Ainsi, le parcours de Lorenzo est symboliquement associé au récit de la chute originelle (« Suis-je Satan ? », « Songes-tu que je glisse depuis deux ans sur un rocher taillé à pic », prise entre la nostalgie d’un paradis perdu et la descente aux enfers : « tout ce que j’ai à voir, moi, c’est que je suis perdu ». Son récit a donc des connotations à la fois tragiques et religieuses.

· La corruption des hommes, leur caractère vile sont aussi exprimés à travers le réseau de métaphores animalières

Lorenzo est « traité de chien », p. 131 ; Le duc est comparé, pp. 138-139 à un « buffle sauvage », qui, « quand le bouvier l’abat sur l’herbe, n’est pas entouré de plus de filets ». L’homme est ravalé au rang de chien : il lèche la main avec fidélité après s’être roulé sur les cadavres. Lorenzo ne dénie pas aux hommes une certaine forme de vertu, mais ils montre que les frontières entre le bien et le mal sont brouillées : l’ami fidèle est aussi un être plein de bassesse.

· C’est aussi la métaphore animalière qui permet de dire l’amour paternel, quelque chose de l’ordre de l’instinct

Philippe séparé de ses fils est « comme le serpent », « les morceaux mutilés de Philippe se rejoindraient encore et se lèveraient pour la vengeance », p. 132. La métaphore du cheval permet de dire la vieillesse d’une existence passée au service de la cité : « j’ai trop tourné sur moi-même comme un cheval de pressoir », p. 133.

· Lorenzo dit l’hybris, la folie qu’il y a à avoir des rêves de liberté, comparée à un démon de la Bible

P. 180 : « c’est un démon plus beau que Gabriel (…). C’est le bruit des écailles d’argent de ses ailes flamboyantes. Les larmes de ses yeux fécondent la terre, et il tient à la main la palme des martyrs. Ses paroles épurent l’air autour de ses lèvres ; son vol est si rapide que nul ne peut dire où il va ». Lorenzo ne se présente-t-il pas lui-même comme un ange justicier : « l’Humanité gardera sur sa joue le soufflet de mon épée marqué en traits de sang », « les hommes comparaîtront devant le tribunal de ma volonté ». C’est aussi en termes bibliques, inspirés du Cantique des cantiques que Lorenzo exprime son observation du monde : « j’observais comme un amant sa fiancée en attendant le jour des noces ».

· La dualité de Lorenzo.

Cette dualité est exprimée à travers la métaphore du flacon. P. 135 : « Toi qui m’as parlé d’une liqueur précieuse dont tu étais la flacon, est-ce là ce que tu renfermes ». La vice est comme un emplâtre que l’on ne peut plus enlever, p. 138 : « il y a des blessures dont on ne lève pas l’appareil impunément ».  La corruption est ainsi associée à l’image de la flétrissure : « je croyais que la corruption était un stigmate et que les monstres seuls le portaient au front ». Par cette image, l’idéalisme manichéen est dénoncé : le mal n’est pas la particularité de quelques monstres ; le mal est associé à la normalité ! Cette dualité s’exprime aussi dans la tirade finale par la métaphore du fil qui relie le cœur présent au cœur d’autrefois, la métaphore du précipice. Cette dualité s’alimente de la nostalgie d’une pureté perdue. Lorenzo révèle sa sensibilité, et à l’image de son auteur, une quête de fusion amoureuse qui a sombré dans la désillusion : « j’aurai pleuré avec la première fille que j’ai séduite ». Cette scène explicite un lien chez Musset entre naïveté et rouerie. La frontière entre la vertu et le vice est ainsi floue : Lorenzo essuie sur les joues des femmes qu’il séduit des « larmes vertueuses ». Le libertinage est ainsi associé à l’incandescence romantique. Lorenzo a en lui à la fois la nostalgie d’un amour idéalisé et une curiosité pour le mal. Cf. sur le libertinage et la nostalgie de la pureté, l’article d’Anne Quentin, « Musset, un libertin mélancolique », dans les Nouveaux Cahiers de la Comédie-Française.

 

III – Le rôle de la parole dans la tirade finale

 

  • La tirade se situe à la fin d’une scène qui a vu :

- l’énoncé d’un projet, celui du meurtre

- l’histoire de sa mise en œuvre

- la certitude d’un succès imminent.

  • En même temps, Lorenzo a affirmé l’inutilité de son acte pour l’humanité qui ne saura pas en profiter et pour lui-même : il sait déjà que la restauration, la régénération qu’il en attend est impossible. Ce double constat vide son geste de tout sens.
  • D’où la question de Philippe : « Si tu crois que c’est un meurtre inutile à ta patrie, pourquoi le commets-tu ? ». Philippe pose la question du sens de l’acte dans la perspective de son double échec.
  • La justification qu’apporte Lorenzo à son acte est triple : c’est une justification par rapport à lui-même, une justification par rapport à Philippe et aux républicains, une justification par rapport à l’humanité toute entière. La tirade se décompose ainsi en trois temps, un premier temps marqué par la forte présence du pronom personnel de première personne (l.475-494), un deuxième temps centré sur les réactions des « républicains » (l. 494-507) et un troisième temps où Lorenzo invoque « les hommes », « l’Humanité » (l.507-519). La composition de la tirade est donc soutenue par un mouvement d’amplification de la pensée et de la vision.

 

On peut se demander quel est le rôle de la parole pour Lorenzo. Est-ce un bavardage oiseux ou une parole possédant la vertu du salut ?

 

A – Une parole salvatrice ou vaine ?

 

·         La parole de Lorenzo affirme un triple vide : vis-à-vis de soi-même, vis-à-vis des républicains et vis-à-vis de l’humanité.

·         Pour soi-même, Lorenzo présente sa vie comme entièrement vaine et conduisant dans son non-sens au suicide : « veux-tu donc que je m’empoisonne, ou que je saute dans l’Arno ? ». L’être lui-même a perdu son épaisseur et comme ses principes de vie, rendu au « spectre » (dans une inversion de II, 4, Lorenzo devient le spectre de son spectre) ou au « squelette ». C’est un être déchiré, séparé de son identité (métaphore du fil qui relie le « cœur » d’aujourd’hui à celui d’autrefois). La métaphore du précipice permet de dire la chute morale du personnage. La suite de la tirade creuse le pourrissement de soi-même : l’orgueil, le vice, le vin, le jeu, les filles.

·         Les républicains sont eux aussi du côté du vide, de l’incapacité, du non-sens. Ce sont des « lâches » qui parlent beaucoup pour se dispenser d’agir : « lâches sans nom, qui m’accablent d’injures pour se dispenser de m’assommer, comme ils le devraient », « pourront satisfaire leur gosier, et vider leur sac à parole ».

·         L’humanité est une coupable qu’il faut corriger et qu’il faut faire comparaître pour la juger : « l’Humanité gardera sur sa joue le soufflet de mon épée », « les hommes comparaîtront devant la tribunal de ma volonté ».

·         La parole prend des accents à la fois lyriques et polémiques (anaphore des « veux-tu donc », « songes-tu », « voilà assez longtemps », questions rhétoriques…). L’effort de grandissement verbal est à la hauteur de l’inanité du geste.

·         Pourtant, cette parole dit la nécessité de l’action et l’inanité de la parole (« j’en ai assez d’entendre brailler en plein vent le bavardage humain »). Au milieu du plein verbal est dénoncée une parole comme vide.

·         La pierre de touche de la dignité vraie, c’est l’action (« de m’assommer, comme ils le devraient »). La parole est dépréciée dans le même temps qu’elle construit l’acte futur.

·         La parole en ce sens est le point d’aboutissement d’une aventure qui est celle d’un comédien (Lorenzo a joué le rôle du lâche et du débauché). A ce moment-là de la pièce, Lorenzo a une dernière fois besoin d’un spectateur, Philippe. C’est une parole qui porte au comble la théâtralité de Lorenzo tout en dénonçant en même temps la théâtralité d’un monde de faux-semblant.

 

B – L’expression d’une fatalité ?

 

  • L’acte futur du meurtre est présenté au présent au début de la tirade. L’acte est posé comme une sorte d’absolu.
  • Le meurtre est aussi une nécessité : il est le seul terme d’une alternative dont l’autre terme est le néant : « le seul fil », « tout ce qui me reste de ma vertu », « le seul brin d’herbe ».
  • C’est une nécessité pour soi et une fatalité pour l’humanité. Il s’agit d’assigner les hommes à comparaître, à reconnaître la vérité de leur être : « j’aurai dit tout ce que j’ai à dire », d’apporter la preuve de leur ignominie et d’obliger l’humanité à s’en souvenir : ‘il ne me plaît pas qu’ils m’oublient », « dans deux jours les hommes comparaîtront au tribunal de ma volonté ».
  • L’acte du meurtre est donc lui aussi un langage, qui jette à la face du monde son impureté, une « parole » en acte qui serait réellement salvatrice : Lorenzo déclare « j’aurai dit tout ce que j’ai à dire ». L’acte porte en lui le rêve d’une révélation faite à l’humanité. Pourtant, on sait déjà que cette révélation sera sans effet. Le nihilisme de Musset frappe donc la parole comme l’action, toutes deux vouées à l’échec.

 

 

La parole dit l’action à venir et demeure pour une part sans effet sur Philippe, comme le sera sur les autres familles républicaines. Le nihilisme de Musset s’étend donc à la parole comme à l’action. Toutes deux échouent à faire advenir la vérité, la liberté dont les hommes ne veulent guère, à réconcilier l’homme avec les autres et avec lui-même.

Partager cet article
Repost0
26 septembre 2012 3 26 /09 /septembre /2012 14:55

De Shakespeare à Musset : de l’audace dramatique à la conciliation du romantisme et du classicisme

Hamlet

Shakespeare

Laurence Olivier

Comparaison avec Lorenzaccio de Musset

 

→ Lecture de l’article « Fortune de Musset » de Sylvain Ledda.

 

→ Commentaire : Musset a découvert en même temps que la génération romantique le théâtre de Shakespeare, par de nouvelles traductions qui ne cherchent plus à plier Shakespeare aux règles de la tragédie classique comme au XVIIe siècle, puis sur la scène puisqu’en 1822 les comédiens anglais viennent jouer Othello au théâtre de la Porte-Saint-Martin cf. Stendhal, Racine et Shakespeare, les attaques contre les représentations de Shakespeare. Faire le parallèle avec la bataille d’Hernani. En 1828, l’accueil sera beaucoup plus enthousiaste. Le drame shakespearien a un impact direct sur la production théâtrale romantique française : Vigny adapte Othello sous le titre du More de Venise. Hugo, Cromwell, 1827, Marie Tudor, 1833. Vigny, Chatterton, 1834. Shakespeare est également découvert par les auteurs allemands qui à leur tour vont inspirer les dramaturges français, ce qui explique le souhait de Musset d’être « Shakespeare ou Schiller » indifféremment. Lorenzaccio est ainsi très proche de La conjuration de Fiesque de Schiller (1782) : contexte géographique et historique (1547 à Gênes), la question politique (la révolte des républicains menée par Fiesque contre l’autorité du doge)…

 

I – La dramaturgie shakespearienne : une source d’inspiration pour les romantiques

 

1.1 ) Une scénographie de l’action

 

Ø  La pièce Hamlet fut représentée au théâtre du Globe, construit au sud de Londres en 1599, durant l’hiver 1600-1601, par la troupe des « Chamberlain’s men ». Le Globe est un théâtre public, au sud de la cité et côtoyant toutes sortes de mauvais lieux. Le théâtre est construit en bois, et est de forme circulaire ou polygonal, ouvert au milieu. La scène qui s’adosse à un mur, avance jusqu’au milieu du parterre et est donc entourée sur trois côtés. Grâce au mur, elle comporte deux ou trois étages. Le parterre est à ciel ouvert et c’est là que sont les spectateurs ordinaires. Le public aisé se tient dans des galeries superposées tout autour. Cf. dessins du « Globe ».

 

Ø  La scène est donc vaste, propice à un grand nombre de personnages, et aux actions même de groupe et violentes. C’est un théâtre spectaculaire. Voir l’opposition entre le théâtre français qui est un théâtre de la parole et un théâtre anglais de l’action (cf. les Monthy Python et Caamelot).

 

Ø  Ce théâtre, si opposé au théâtre classique joué ou plutôt parlé dans une salle de jeu de paume, plaît aux romantiques qui feront leur la volonté de représenter tout un monde, même violent sur scène. L’apparition du théâtre à l’italienne à partir du XVIIIe siècle, la multiplication des théâtres au XIXe siècle et la censure provisoirement abolie en 1830 favorise un jeu qui veut représenter la totalité du monde et de l’existence. C’est un théâtre libre qui plaît aux romantiques. Cf. V. Hugo, préface de Cromwell, « pour un drame total ».

 

Ø  Toutes les catégories sociales se rencontrent dans les pièces de Shakespeare et le dramaturge alterne des passages en prose pour les personnages du peuple et des passages en vers pour la noblesse. On retrouve ce même mélange social chez Musset comme à la scène 5 de l’acte I ou des dames de la Cour voisinent avec des bourgeois, marchand et orfèvre, des cavaliers, le Prieur et un officier allemand.

 

Ø  La dramaturgie est complexe : elle comporte de multiples intrigues et des rebondissements. Musset reprendra cette complexité et cette ampleur du drame.

 

Ø  C’est aussi un théâtre historique qui montre un devenir national : pour parler de l’époque élisabéthaine, Shakespeare a choisi comme miroir l’Italie de la Renaissance dans Roméo et Juliette.

 

Ø  Musset est particulièrement réceptif à ce théâtre lui qui veut écrire sans contrainte, multiplie les personnages et les tableaux, et les scènes violentes (mort de Louise Strozzi, mort du duc, scène de combat avec Lorenzo). On retrouve l’art du tableau shakespearien dans l’art de Musset de la scène de foule (I, 2, 5 ; III, 3, 7 ; V, 1, 5, 7).

 

1.2 ) Une dramaturgie du naturel

 

Shakespeare, pour le jeu des acteurs, condamne l’emphase, l’excès dans le geste et le ton et prêche pour le naturel (« toute exagération s’écarte du but du théâtre qui, dès l’origine comme aujourd’hui, a eu et a encore pour objet d’être le miroir de la nature »). Cf. V. Hugo, préface de Cromwell, « la nature et l’art ». On est aux antipodes de la déclamation à la française.

 Il n’est pas question comme en France de séparer le comique et le tragique : c’est un théâtre hybride.

 1.3 ) Un langage libre et varié

 

Le langage shakespearien est vaste et riche : il touche à des domaines variés (jargon militaire, des métiers, de la navigation, de la jurisprudence, de la théologie ; langage des courtisans, de l’homme du peuple…). Le dramaturge multiplie aussi les registres : familier voire grossier, style noble, registres intermédiaires. Cette langue est remarquable par l’abondance des métaphores. Cf. A. de Vigny, Lettre à Lord***, « Contre la « Muse de la politesse », pour le caractère et le mot propre, et « Le scandaleux mot de « mouchoir ». Choix d’une prose poétique chez Musset.

 

II – Présentation de la pièce Hamlet

 Hamlet de Shakespeare a été vraisemblablement représenté durant l’hiver 1600-1601.

 → Laurence Olivier, après une longue carrière au théâtre, produit, réalise et joue Hamlet qui sort en 1948.

 → Résumé :

 Hamlet, frappé douloureusement par la mort de son père, le roi du Danemark , reçoit de l’au-delà un message lui ordonnant la vengeance : sa mère, la reine Gertrude, s’est remariée avec le frère et meurtrier de son défunt époux, Claudius ! Mais il n’est pas l’homme de la situation et ne se sent pas une âme de vengeur à l’opposé de bien des héros tragiques. Hamlet doit affronter le mal, traquer sa propre vérité et soulever le voile des apparences. Le mystère du personnage s’épaissit lorsqu’il se fait acteur et simule la folie. Croyant tuer Claudius, Hamlet tue Polonius le père d’Ophélie. De désespoir, Ophélie devient folle et se noie dans la rivière. Gertrude meurt empoisonnée et Hamlet force le roi à boire à la même coupe, avant de mourir à son tour.

 

III – Un théâtre politique et métaphysique

 

Le théâtre shakespearien est un théâtre politique car il pose la question de la gouvernance d’une cité dans un système où les actes du microcosme sont associés à ceux du macrocosme. Il est donc en même temps métaphysique, ouvrant sur l’existence et la marche du monde.

 

Idées communes à Hamlet et à Lorenzaccio :

 

Ø  Le mal n’est plus à l’extérieur comme dans les pièces précédentes, mais au cœur de l’homme ; il empoisonne tout. Les monologues des différents personnages donnent tous l’idée d’un mal contagieux au monde entier.

 ·         Le roi lui-même en revenant sur le meurtre de son frère, met en avant l’immoralité du monde et l’impossibilité d’une quelconque rédemption (III, 3, monologue du roi l.42-66).

 ·         Dans les deux pièces, le drame n’est pas seulement personnel, il est le drame collectif d’un monde « détraqué ». cf. III, 4, l.58-67 sur le forfait de la mère. Cf. L, III, 3, dialogue entre Lorenzo et Philippe Strozzi, l. 299-307, 327-330, 353-379.

  

Ø  La cruauté est la seule réponse possible au monde dégénéré et le mal n’a pour seule issue que la mort. Cf. III, 4, l.43-45 et 145-147, 193-194. Cf. référence à Brutus, III, 3, l. 356.

 

Ø  Le personnage exprime sa désillusion et dans un monde « hors de ses gonds », il ne peut agir pour le faire rentrer dans l’ordre. Cf. III, 3, l.383-387.

 

Ø  La pièce explore le thème de la folie du personnage, folie qui a sa logique propre, et qui permet de répondre au spectre du père mort qui réclame vengeance. On entend l’intériorité d’Hamlet grâce aux monologues. Cf. III, 3, l. 408-413.

  Dans le film de Laurence Olivier, à la psychologie des personnages fait écho un espace torturé traité volontairement sur le mode d’un dédale désespérant de couloirs, de tours, d’escaliers, et de salles immenses. Cf. S.14-16.

 → Le film, volontairement tourné en noir et blanc permet un effet de tableau où les visages tourmentés ressortent sur la technique du clair-obscur cf. le visage effaré d’Hamlet à la séquence 14, et la figure de style « mentale » où la caméra entre dans le crâne d’Hamlet (cf. Orson Welles, Citizen Kane). Il s’agit d’évoquer une série de gravures et de plonger le spectateur dans un monde barbare et sombre.

 → Le film respecte cependant un certain académisme dans les postures et la confrontation des personnages pour rendre la tension des scènes.

 → Laurence Olivier a voulu rendre la torture intérieure des personnages par des références freudiennes : ainsi de la scène œdipienne entre Hamlet et sa mère (S.16).

 

 

Ø  Mais l’indécision du personnage d’Hamlet (mise en valeur par le film de Laurence Olivier, cf. le prologue et III, 4, l. 123-126) fait qu’il accomplit finalement un meurtre secondaire, au lieu de tuer sa mère et son beau-père, celui de Polonius. C’est un meurtre inutile et cruel puisque Polonius est le père de celle qu’il aime, Ophélie ! Il a pourtant eu la tentation de tuer son beau-père (III, 3) et sa mère (III, 4).

 

Ø  En ce sens, Shakespeare et Musset s’écartent de la tragédie antique et du drame médiéval qui présentaient un enchaînement logique du crime au châtiment. La vengeance s’accomplit dans les deux cas de façon imprévisible.

  

Les différences :

Ø  Hamlet se termine par un bain de sang purificateur et Hamlet meurt réconcilié avec lui-même après avoir vengé son père et donné sa voix de roi à Fortimbras qui lui succèdera. L’acte de meurtre a donc servi à purifier les consciences et le pouvoir royal. Mais la vision de Musset est plus pessimiste et marquée par l’idée du caractère vain de toute action héroïque dans l’histoire : le meurtre du duc ne change rien à la situation de Florence et ne délivre pas Lorenzo de lui-même. Il y a désormais une rupture entre l’action du héros et le monde, pris d’immobilisme, qui l’entoure.

 

Conclusion :

Il faut toutefois relativiser l’influence shakespearienne et romantique sur Musset qui est aussi un disciple des classiques (cf. ses relations difficiles avec le cénacle romantique). On peut aussi déceler des influences classiques : Lorenzo a la noirceur d’un Néron dans Britannicus, la scène 5 de l’acte V, est une référence à Molière, et Lorenzo a aussi les traits d’Alceste, le misanthrope intransigeant, de Dom Juan et même de Tartuffe.

 

 

Partager cet article
Repost0
2 juin 2012 6 02 /06 /juin /2012 16:09

FICHE  DE  CITATIONS

RABELAIS     GARGANTUA

 

 

 

 


Toute fiche de citations suppose des choix, forcément un projet de lecture, des renoncements et des deuils. Ces fiches ne proposent donc qu'une lecture partielle et orientée des oeuvres au programme.

 

         « par une lecture attentive et une réflexion assidue, rompre l’os et sucer la substantifique moelle » (Prologue).

         « En dépit de ces remontrances, elle en mangea seize muids, deux baquets et six pots » (chap. 4 Comment Gargamelle étant grosse de Gargantua mangea profusion de tripes).

         « en la tâtant par en dessous elles trouvèrent quelques membranes de goût assez désagréable et elles pensaient que c’était l’enfant. mais c’était le fondement qui lui échappait » (chap. 6 Comment Gargantua naquit de façon bien étrange).

         « Pour médaillon, il avait, sur une plaque d’or pesant soixante-huit marcs, une figurine d’un émail approprié […] et autour il y avait écrit en caractères grecs : LA CHARITE NE CHERCHE PAS SON PROPRE AVANTAGE » (chap. 8 Comment on vêtit Gargantua).

         « que tu es plein de bon sens, mon petit bonhomme ; un de ces jours je te ferai passer docteur en gai savoir » (chap. 13 Comment Grandgousier reconnut à l’invention d’un torche-cul la merveilleuse intelligence de Gargantua).

         « on lui recommanda un grand docteur sophiste, nommé Thubal Holoferne, qui lui apprit si bien son abécédaire qu’il le récitait par cœur, à l’envers, ce qui lui prit cinq ans et trois mois » (chap. 14 Comment Gargantua fut instruit par un sophiste en lettres latines).

         « Pendant qu’on le frictionnait, on lui lisait quelque page des saintes Ecritures, à voix haute et claire, avec la prononciation requise […]. Suivant le thème et le sujet du passage, bien souvent, il s’appliquait à révérer, adorer, prier et supplier le bon Dieu dont la majesté et les merveilleux jugements apparaissaient à la lecture » (chap. 23 Comment Gargantua fut éduqué par Ponocrates selon une méthode telle qu’il ne perdait pas une heure de la journée).

         « Alors, sans ordre ni organisation, ils es mirent en campagne pêle-mêle, dévastant et détruisant tout sur leur passage, n’épargnant pauvre ni riche, lieu saint ni profane » (chap. 26 Comment les habitants de Lerné, sur ordre de Picrochole, leur roi, attaquèrent par surprise les bergers de Gargantua).

         « Les pauvres diables de moines ne savaient auquel de leurs saints se vouer. A tout hasard, ils firent sonner au chapitre les capitulants » (chap. 27 Comment un moine de Seuilly sauva le clos de l’abbaye du sac des ennemis).

         « il disloquait les reins, effondrait le nez, pochait les yeux, fendait les mâchoires, enfonçait les dents dans la gueule… » (chap. 27).

         « Je me suis mis en devoir de modérer sa rage tyrannique, de lui offrir tout ce que je pensais susceptible de le contenter » (chap. 29 La teneur de la lettre que Grandgousier écrivait à Gargantua).

         « Là, ils ont retrouvé vos garnisons, de retour des conquêtes navales en Méditerranée et se sont rassemblés en Bohême après avoir mis à sac la Souabe » (chap. 33, Comment certains gouverneurs de Picrochole, par leur précipitation, le mirent au dernier péril).

         « La raison indiscutable en est qu’ils mangent la merde du monde, c’est-à-dire les péchés, et qu’en tant que mange-merde on les rejette dans leurs latrines » (chap. 40, Pourquoi les moines sont retirés du monde et pourquoi les uns ont le nez plus grand que les autres).

         « Et toute leur règle tenait en cette clause : FAIS CE QUE VOUDRAS. Parce que les gens libres, bien nés, bien éduqués, vivant en bonne société, ont naturellement un instinct, un aiguillon qu’ils appellent honneur et qui les pousse toujours à agir vertueusement et les éloigne du vice ». (chap. 57 Comment était réglé le mode de vie des Thélémites).

 

 

FICHE DE CITATIONS

PHILIPPE JACCOTTET A LA LUMIERE D’HIVER

 


Leçons :

 

         « Autrefois, / Moi l’effrayé, l’ignorant, vivant à peine, / me couvrant d’images les yeux, / j’ai prétendu guider mourants et morts » (p. 11).

         « La terre qui nous portait tremble » (p. 15).

         « Entre la plus lointaine étoile et nous, / la distance, inimaginable, reste encore / comme une ligne, un lien, comme un chemin. / S’il est un lieu hors de toute distance » (p. 17).

         « C’est sur nous maintenant / comme une montagne en surplomb. » (p. 21).

         « On le déchire, on l’arrache, / cette chambre où nous nous serrons est déchirée, / notre fibre crie. » (p. 25).

         « demeure en modèle de patience et de sourire, / tel le soleil dans notre dos encore / qui éclaire la table, et la page, et les raisins » (p. 33).

 

Chants d’en bas :

 

         « Je l’ai vue droite et parée de dentelles / comme un cierge espagnol. / Elle est déjà comme son propre cierge » (p. 37).

« Parler » :

         « Parler est facile, et tracer des mots sur la page, / en règle générale, est risquer peu de chose : / un ouvrage de dentellière, calfeutré, / paisible » (p. 41).

         « Y aurait-il des choses qui habitent les mots / Plus volontiers, et qui s’accordent avec eux » (p. 47).

         « habille-toi d’une fourrure de soleil et sors / comme un chasseur contre le vent, franchis / comme une eau fraîche et rapide ta vie » (p. 51).

« Autres chants » :

         « j’essaie encore de ne pas me retourner sur mes traces » (p. 58).

         « Si je me couche contre la terre, entendrai-je / Les pleurs de celle qui est dessous » (p. 61).

         « Ecris vite ce livre, achève vite aujourd’hui ce poème / avant que le doute de toi ne te rattrape » (p. 64).

 

A la lumière d’hiver :

 

I :

         « Un homme qui vieillit est un homme plein d’images / […] Autrefois la lumière nourrissait sa bouche, / maintenant il raisonne et se contraint » (p. 81).

II :

         « découvre la femme d’ébène / et de cristal, la grande femme de soie noire » (p.85).

         « Le noir n’est plus ce mur/ encrassé par la suie du jour éteint, / je le franchis, c’est l’air limpide, taciturne, / j’avance enfin parmi les feuilles apaisées » (p. 86).

         « La seule grâce à demander aux dieux lointains, / aux dieux muets, aveugles, détournés, / à ces fuyards » (p. 93).

         «  et ne descend-il pas aussi de plus loin que le ciel / à leur rencontre d’autres vols, plus blancs […] / à la manière / des rencontres d’amour ? » (p. 95).

 

 

  

Partager cet article
Repost0
30 mai 2012 3 30 /05 /mai /2012 14:35

Voici le programme de littérature en TL 2012-2013 d'après les Instructions officielles parues au B.O. :

A. Domaine d'étude « Littérature et langages de l'image »
Œuvres
- Zazie dans le métro, de Raymond Queneau (édition au choix du professeur) 
- Zazie dans le métro, de Louis Malle.

Quelques ressources pour les professeurs
- Raymond Queneau, Œuvres complètes, tome III - Romans, tome II, Gallimard, collection « Pléiade », sous la direction d'Henri Godard : notice de Zazie dans le métro
- Roland Barthes, « Zazie et la littérature », Critique, août-septembre 1959, n° 147-148, p. 675-681 ; repris dans le recueil Essais critiques, Éditions du Seuil, collection « Points-Essais »
- Michel Bigot, Zazie dans le métro de Raymond Queneau, Gallimard, collection « Foliothèque »
- Anne-Marie Jaton, Queneau : le pouvoir incendiaire du rire, Infolio
- Philip French, Conversation avec Louis Malle, Denoël
- Pierre Billard, Louis Malle, le rebelle solitaire, Plon

B. Domaine d'étude « Lire-écrire-publier »
Œuvre
- Lorenzaccio, de Musset.

Quelques ressources pour les professeurs
- concernant la question de la représentation et de la publication : Florence Naugrette, Le Théâtre romantique - Histoire, écriture, mise en scène, Éditions du Seuil, collection « Points-Essais »
- concernant le problème historique et politique : Paul Bénichou, L'École du désenchantement, Gallimard, chapitre « Musset » ;
- l'édition « Pléiade » Gallimard du Théâtre complet de Musset établie par Simon Jeune offre dans les annexes et notices des études et des documents utiles
- une page « Sitographie pour Lorenzaccio de Musset », renvoyant à des sites choisis, des bibliographies, des articles critiques et des archives théâtrales, est disponible sur Éduscol-Théâtre
- la mise au programme de Lorenzaccio fera l'objet d'un accompagnement en ligne (extraits comparés de différentes mises en scène et autres documents) pour une utilisation en classe sur le site Antigone-enligne (http://www.cndp.fr/antigone/)


Ce texte est extrait des Instructions officielles, signées pour le ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et de la vie associative et par délégation, par le directeur général de l'enseignement scolaire, Jean-Michel Blanquer.
Partager cet article
Repost0
5 juillet 2011 2 05 /07 /juillet /2011 20:27

95 % de réussite au premier groupe avec une mention TB, 5 mentions Bien, 9 mentions Assez Bien, 3 admis ! C'est du jamais vu ! Bon courage à celle qui passe les oraux et qui va (doit) réussir ! Et bravo encore à tous !

Bonnes vacances.

 

Et voilà, 100% de réussite au second groupe !

Bonnes vacances

Partager cet article
Repost0
27 octobre 2010 3 27 /10 /octobre /2010 18:39

Correction du DS


 

 

 Question 1 (8 points) : Quelles significations peut-on attribuer à l’épisode des cyclopes dans les chants au programme de l’Odyssée ?

 

 

Les difficultés de ce sujet :

F     Le problème de maîtrise littérale de l’œuvre : il s’agit bien d’étudier le chant IX de l’Odyssée !

F     L’erreur majeure relevée dans vos copies a été celle de la paraphrase essentiellement en première partie de devoir : beaucoup d’entre vous ont choisi de décrire les cyclopes sans lier cette description à des effets de sens. Vous êtes donc restés en deçà de la signification pour décrire et raconter le texte ! Cela a donné lieu ensuite à une seconde partie fourre-tout avec cette fois, toutes les idées, mais sans justification ! Ne racontez pas le texte : il faut l’étudier dans un propos argumentatif, analytique et justifié.

F     Il faut une fois de plus (comme dans le DS précédent !) distinguer le sens littéral de la lecture symbolique que l’on peut faire du passage. N’affirmez pas ainsi de but en blanc qu’Ulysse n’est plus un homme ! Montrez qu’il s’éloigne peu à peu des valeurs qui sont celles de l’humanité dans cet univers !

F     Il faut vraiment maîtriser les concepts et leur clivage : la perte du statut guerrier d’Ulysse est ainsi différente de la perte de l’identité.

 

 

Au chant IX, vers 105 à 566, après avoir été confrontés aux Cicones et aux Lotophages, Ulysse et ses compagnons croisent les îles des Cyclopes. Cette rencontre est particulièrement détaillée à travers le cas du cyclope Polyphème. Il semble que cet épisode ait particulièrement marqué les Grecs puisque c’est celui qui a donné lieu aux représentations artistiques les plus anciennes. Par ailleurs son interprétation faisait l’objet de débats. Héraclite, dans les Allégories d’Homère, y voyait un passage moral fustigeant l’emportement sauvage, tandis que Sophocle et Euripide voyaient dans l’attitude d’Ulysse une glorification de la cruauté et de la fourberie. Aussi pourra-t-on se demander quelles significations on peut attribuer à l’épisode des cyclopes. Nous verrons dans un premier temps que l’on peut lire le passage comme un conte moral. Puis, nous nous demanderons quelles significations l’extrait peut revêtir à l’égard du parcours initiatique d’Ulysse. Enfin, nous verrons en quoi ce passage explore le questionnement grec sur la notion d’humanité.

 

Il semble que l’on puisse lire l’épisode des cyclopes comme un conte à visée morale.

Le récit comporte en effet une dimension étiologique. Si « cyclope » veut dire « œil rond » en grec, il s’agit alors d’une représentation mythifiée et narrativisée de la force des volcans, d’où la comparaison de la tête des cyclopes avec le « sommet boisé d’une haute montagne », leur habitat au sommet d’une montagne, et le fait qu’ils jettent des pierres. On peut les rapprocher en ce sens des Lestrygons qu’Ulysse croise au chant X. Dans toutes les mythologies, les volcans sont d’ailleurs considérés comme des lieux de passage mystérieux et particulièrement imposants vers le monde surnaturel.

Nous sommes ainsi clairement avec les cyclopes dans le monde merveilleux : la navigation par laquelle Ulysse et ses compagnons sont arrivés dans le pays cyclopéen n’en est pas vraiment une ; c’est une dérive au hasard dans un monde sans géographie précise et réelle et sans repère : « Nous reprîmes la mer avec tristesse. / Nous atteignîmes un pays de hors-la-loi » (v.105-106). Le passage du pays des Lotophages à celui des cyclopes est significatif puisqu’aucun direction n’est donnée et les circonstances de la traversée ne sont pas précisées. En outre, les cyclopes sont dits proches des dieux (ils étaient les anciens voisins des Phéaciens, aux aussi distingués par les dieux) et en particulier de Poséidon, dont Polyphème est le descendant. C’est ainsi Poséidon que Polyphème, rendu aveugle, invoque à la fin du chant IX, et qui exhaussera son vœu. Le personnage est en lui-même un personnage de conte, par sa grandeur, son aspect rustre et primitif, son mode de vie et sa faim cannibale : qu’on songe par exemple aux personnages d’ogres qui peuplent les récits folkloriques[1] !

Ce conte semble de plus avoir une signification morale. C’est en tout cas la lecture qu’en propose Héraclite dans les Allégories d’Homère, puisqu’il voit dans le personnage de Polyphème le portrait de l’emportement sauvage, de la bestialité et de l’ignorance : Polyphème, qui n’a écouté que son ventre et a mangé les compagnons d’Ulysse en dépit des exhortations à la sagesse de ce dernier, se moquant ainsi des dieux et de l’hospitalité, est puni par la ruse d’Ulysse. Cependant, comme dans de nombreux contes, ce n’est pas la morale qui triomphe, mais bien la ruse, la fourberie même, ainsi que le soulignait Sophocle dans Philoctète. Ce conte merveilleux est donc à la fois moral en ce qu’il triomphe de la bêtise et des bas instincts du cyclope, et immoral en ce qu’il glorifie le mensonge et la ruse.

 

Cependant, le passage des Cyclopes revêt également une signification précise dans le parcours initiatique d’Ulysse.

Face à Polyphème, Ulysse se rend coupable de transgressions qui l’éloignent un peu plus des dieux et des valeurs de l’humanité. Ulysse invoquait pourtant la piété à l’égard de Zeus pour recevoir de la part de Polyphème hospitalité et cadeaux. On est frappé par le fait que les premiers instants de la rencontre ne sont pas sous le signe de la menace : Polyphème s’occupe de ses troupeaux et de ses fromages et apercevant les grecs leur demande leur nom et s’ils sont marchands ou pirates. Il n’y a à proprement parler que sa voix qui est effrayante. C’est au contraire Ulysse qui se montre orgueilleux et agressif en exigeant accueil et dons, à l’opposé de l’attitude de l’étranger suppliant l’hôte qu’il aura au chant VII, face aux Phéaciens. Cette hybris s’accompagne ensuite de la crevaison de l’œil unique de Polyphème, qui renouvelle la transgression initiale d’Ulysse sur les rives de Troie, qui n’a pas rendu hommage aux dieux, et la colère de Poséidon. Ainsi, Ulysse s’éloigne de plus en plus des valeurs de l’humanité, à l’image des véritables monstres (les premiers puisque les Lotophages avaient l’aspect humain) qu’il croise ici.

De plus, il n’est plus question de bravoure guerrière et Ulysse est amené à perdre son statut de héros de la guerre de Troie. En invoquant cette identité, Ulysse ne reçoit en effet de la part de Polyphème que sarcasmes, et le cyclope se moque bien de la guerre et de ses héros. Etre un héros de la guerre de Troie ne veut rien dire dans ce monde merveilleux dans lequel Ulysse est plongé depuis le passage du cap Malé. De fait, Ulysse fait l’expérience amère de son impuissance : face à Polyphème qui dévore ses compagnons, Ulysse et les survivants qui l’accompagnent sont réduits à pleurer les morts en levant les bras au ciel. Le ventre d’un berger, sa gloutonnerie ont réduit les héros guerrier à une impuissance pathétique. De plus, il n’est pas question d’héroïsme dans la suite du passage : Ulysse triomphe de Polyphème non par bravoure et force guerrière mais bien par la traîtrise (il fait boire du vin à Polyphème et attend que celui-ci soit endormi pour attaquer) et la ruse : il ne tue pas Polyphème pour que celui-ci déplace le bloc qui ferme la grotte, met crève son œil à l’aide d’un pieu passé dans le feu. L’épisode offre même des variantes grotesques par rapport à des scènes types d’affrontement guerrier. Ainsi, il n’est pas question d’ennemi glorieux et héroïque qui ainsi donnerait encore plus de lustre et de gloire au héros, mais d’un berger qui se distingue par ses bas instincts (il mange des compagnons et va dormir ensuite en rotant, laissant ainsi échapper des morceaux de corps humains !) et sa bêtise (il boit le vin d’Ulysse sans se poser de question, et laisse les boucs sortir de son antre à la fin du passage). L’épisode se termine ainsi sur un calembour où Polyphème est attrapé par la ruse d’Ulysse : « Par ruse, et non par force, amis ! Mais qui me tue ? Personne ! » (v.408). Le choix même du pieu, un gourdin taillé et passé au feu, instrument particulièrement primitif, contraste avec l’insistance sur les armes guerrières que l’on peut trouver lors de scène des combats dans l’Iliade. Les réflexions de Polyphème à la suite de son malheur sont de ce point de vue significative de la perte de toute valeur héroïque dans ce passage : « Mais moi je m’attendais à voir venir ici / un grand et beau guerrier, doué d’uen extrême vigueur : / et c’est un petit homme, un lâche, un rien du tout / qui vient me crever l’œil en me noyant de vin ! » (v.513-516). Ce passage est donc fondamentalement, pour reprendre un terme de Philippe Jaccottet, a-kleos, sans gloire.

Enfin, Ulysse amorce plus profondément la perte de son identité. En effet, si l’être humain se conçoit essentiellement par le langage, et l’acte de mémoire que le langage suppose, ici, Ulysse fait avant tout l’expérience de l’impuissance du logos face au monstre. Perdant peu à peu de son identité – il se fait significativement appelé « Personne » -, Ulysse ne pourra recouvrer son identité et son nom qu’à partir du moment où il entendra le récit de ses aventures dans la bouche de Démodocos chez les Phéaciens et où il deviendra la narrateur de ses propres aventures. Certes, Ulysse donne à Polyphème son nom à la fin du passage, mais c’est essentiellement pour présenter son acte comme l’accomplissement de la volonté divine (il aurait été prévu par le devin Télémos) dans une volonté d’autopromotion qui appartient essentiellement au récit qu’il fait devant les Phéaciens[2].

Aussi Ulysse est-il amené à perdre peu à peu, au cours de cet épisode, des valeurs de l’humanité, en s’enfonçant toujours plus dans la transgression à l’égard de Poséidon, son statut de héros guerrier et son identité toute entière.

 

Cependant, ce passage a aussi une signification plus large, indépendamment du parcours initiatique d’Ulysse. Il interroge en effet la notion d’humanité dont on semble s’éloigner à ce moment-là.

En réalité, les cyclopes représentent l’exacte opposé de l’humanité : Polyphème refuse le devoir d’hospitalité et ainsi, la piété à l’égard de Zeus hospitalier. Il va même jusqu’à offrir un don ironique à Ulysse, le droit de mourir en dernier après avoir vu dévorer tous ses compagnons ! L’arrivée au pays des cyclopes s’annonçait de fait sous les pires hospices : considérant la nature autour de lui, Ulysse note que les cyclopes ne connaissent ni l’agriculture – dans l’Odyssée, le propre de l’humanité des « mangeurs de pain » -, ni la navigation, ni l’ordre sociale de la civilisation : ils vivent chacun pour soi, séparés les uns des autres, entourés par une nature d’âge d’or qui produit d’elle-même, mais dont Ulysse regrette la jachère. Leur habitat même laisse supposer qu’ils sont des êtres primitifs : ils vivent au fond de cavernes, au sommet des montagnes. Enfin, leur aspect monstrueux (géant à tête de montagne, à la voix effrayante (signe distinctif des monstres dans l’épopée), à l’œil unique) les oppose également à l’humanité. Ces êtres, enfin, n’ont pas la tempérance ni les valeurs des hommes (Polyphème ne dévore ainsi pas les compagnons d’Ulysse par haine !) mais n’écoutent que leur ventre.

Par contraste, Polyphème met en valeur l’humanité d’Ulysse. Ce n’est cependant pas l’humanité des valeurs sociales, comme nous avons pu le voir dans la deuxième partie, mais une humanité bien plus démunie, à l’image du héros pathétique qu’Ulysse sera devenu chez Calypso, au chant V. Confronté à la mort de ses compagnons et à ses propres limites, Ulysse est présenté dans une attitude de souffrance et de supplication, pleurant ses compagnons, et attendant en gémissant l’aube divine. Cette souffrance fait de lui de façon inédite un héros pathétique, présenté dans son dénuement et sa faiblesse d’homme. C’est d’ailleurs en faisant preuve d’une qualité proprement humaine, la ruse, la Métis, qu’il parvient à remporter la victoire sur Polyphème. Même ambiguë moralement, la metis est dans l’Odyssée l’un des clivages qui distingue l’humanité. Enfin, ce passage est aussi la récit qu’Ulysse fait devant les Phéaciens : par ce travail de la parole et de la mémoire, Ulysse apprivoise peu à peu une nouvelle identité, celle d’un homme qui a vécu et beaucoup souffert et dont le destin, rappelé par Polyphème lui-même à la fin du chant, est de rentrer cher lui.

C’est pourquoi ce passage par l’altérité radicale est essentiel pour se connaître soi-même, connaître sa part de monstruosité et ses faiblesses, et comprendre ce qu’est être un homme et rester en vie.

 

 

L’épisode des cyclopes est essentiel à plus d’un titre, par la dimension morale qu’il semble comporter mais aussi parce qu’il signe la fin de l’héroïsme guerrier, d’une première identité, conduisant à Ulysse à se chercher lui-même dans ce parcours initiatique : Ulysse n’est à ce moment-là plus « personne » et devra conquérir une nouvelle identité, plus humaine. Or, c’est précisément la confrontation avec l’altérité et la monstruosité qui permet par contraste de poser la question de l’humanité. Théocrite, dans « Le Cyclope » s’éloignera de cette signification première en faisant du monstre brutal et sanguinaire un amoureux et un musicien, regrettant sa passion pour Galatée.

 

  

 


 

 


Question 2 : Pensez-vous que les chants V à XIII de l’Odyssée comportent une dimension morale ?

 

 

Comme tout récit mythique et fondateur, l’Odyssée porte les grandes conceptions de l’homme et du monde, telles que pouvait les concevoir la Grèce archaïque. En ce sens, on peut se demander si les chants V à XIII de l’épopée ne comportent pas aussi une dimension morale. Il est vrai que le souci de la morale semble plus important dans l’Odyssée que dans son hypotexte, l’Iliade. Cependant, l’appréciation de cette dimension morale a fait l’objet de débats même au sein de l’Antiquité. L’œuvre d’Homère est ainsi en procès dès le VIe siècle, avec les premiers philosophes. Xénophane de Colophon, puis Platon, dans la République, critiquent Homère. Epicure y emprunte une partie de sa doctrine tout en critiquant Homère. Prenant la défense du poète dans ses Allégories d’Homère, Héraclite débute son commentaire des deux épopées en rappelant les termes du débat, et en rapprochant le problème de la morale de celui de la religion[3]. On pourra ainsi se demander si les chants V à XIII comportent une dimension morale ou au contraire une dimension immorale. Puis nous verrons les valeurs nouvelles qui se font jour dans l’Odyssée, et enfin, la glorification de l’humanité et de ses valeurs.

 

Tout d’abord, il semble que l’interprétation morale de l’Odyssée ait fait débat même au cours de l’Antiquité. Certains, comme Héraclite, en ont proposé une lecture moralisante, par le recours à l’allégorie : il s’agit de voir dans le voyage d’Ulysse et les différentes scènes auxquelles il donne lieu l’expression symbolique de valeurs morales. Dans cette défense d’Homère – Héraclite affirme ainsi : « les vers d’Homère ne sont ni parsemés ni entachés d’une récit immoral » (2,1), Héraclite use d’allégories soit physiques (les passages de l’épopée constituent la mise en scène de force naturelles comme la mer, le feu, etc.), soit morales (les personnages représentent des vices ou des vertus). Ainsi, Héraclite voit à plusieurs reprises dans l’Odyssée la critique de l’intempérance. Les compagnons d’Ulysse ne suivent ainsi que leur ventre, en tuant les vaches du soleil, et appellent pour cette faute l’ire du dieu Soleil. De même, ils se précipitent sur les breuvages offerts par Circé au chant X, et se livrent à leurs bas instincts : esclaves de leur nature, ils se voient finalement ravalés au rang des animaux et des monstres ; mangeant comme des cochons, ils sont transformés en cochons. Héraclite voit dans le « kykéon » de Circé la « coupe de la volupté », dans l’intervention d’Hermès, le discours de la tempérance humaine, de la liberté de l’homme par rapport à ses instincts et dans la racine de Moly une plante symbolisant la sagesse : « les intempérants s’y abreuvent et pour le fugitif plaisir de se gorger, ils se condamnent à une vie plus misérable que celle des porcs. Ainsi les compagnons d’Ulysse, troupe imbécile, cèdent à la goinfrerie, mais la sagesse d’Ulysse sort victorieuse de cette vie sensuelle près de Circé » (72,2). De la même façon, Polyphème symbolise les sauvages emportements du thymos, dans un classement des trois parties de l’âme humaine qui est celui de Platon : la raison qui siège dans la tête, le thymos à l’entour du cœur, et l’epithymia dans le foie. Les Lotophages représentent les plaisirs exotiques auxquels la sagesse d’Ulysse permet de résister, Charybde, la débauche et Scylla, avec sa voix de petit chien, l’impudence. 3Ainsi, Homère, tel un peintre des passions humaines, donne des noms allégoriques de divinités à ce que nous éprouvons » (37, 6).

De même, il semble que l’Odyssée montre aussi des vertus ou des vices politiques. C’est l’envie de n’obéir qu’à soi-même et à son bon plaisir qui est critiquée au début du chant X, quand les compagnons d’Ulysse, jaloux de ses cadeaux et las de ses ordres, ouvrent l’outre d’Eole et provoquent une terrible tempête qui les éloigne durablement d’Ithaque. Le dieu les punit de cette transgression en les chassant de son île. Contre ces exemples d’égoïsme qui n’aboutissent qu’à l’anarchie et aux malheurs de tous, l’Odyssée met en valeur l’harmonie familiale et politique des Phéaciens, symbolisée par les banquets autour du roi Alcinoos, où l’on écoute la poésie, la parole de l’aède.

Cependant, d’autres auteurs voient au contraire dans l’Odyssée une œuvre immorale[4]. En effet, comme le souligne Euripide dans Hécube, même si Ulysse, en dépit de la sottise de ses compagnons, parvient à rentrer chez lui, et même si les monstres sont vaincus, ce n’est pas la morale qui triomphe, mais bien des valeurs plus ambiguës, comme la cruauté et la fourberie. Ulysse va à la rencontre des monstres principalement par curiosité et cupidité. Or, il s’agit souvent d’un acte imprudent qui entraîne la mort des compagnons, comme chez Polyphème, ou encore, pour ce qui est de la curiosité, face à Charybde et Scylla. De même, s’il triomphe, c’est surtout à cause de sa ruse, sa metis, valeur certes positive dans la Grèce archaïque, mais qui peut prendre aussi l’image de la fourberie, quand il enivre Polyphème, ou même lorsqu’il fait servir le récit de ses aventures à sa propre gloire, dans l’espoir de recevoir davantage de cadeaux des Phéaciens. Le caractère immoral du récit est encore renforcé au chant XI : on y voit les morts souffrir et regretter la vie, les êtres aimés comme Anticlée comme les héros, comme Agamemnon ou Achille, et les suppliciés. Mais des trois suppliciés, la narration ne donne le crime que de l’un d’eux, Tityos, et encore sans s’y attarder. On ne retient que les supplices, ce qui ne s’accorde guère avec la volonté moralisante que l’on a parfois voulu voir dans le chant XI.

Ainsi, la morale de l’Odyssée semble bien particulière, et constituer non un éloge des actions morales mais bien une glorification de l’humanité dans toutes ses dimensions.

 

Cependant, malgré cette ambiguïté de l’interprétation du texte, il semble néanmoins qu’il y ait dans l’Odyssée des valeurs morales nouvelles, absentes en partie de l’Iliade.

Ainsi, dans l’Odyssée se fait jour la valeur nouvelle de la compassion. Déjà, néanmoins, dans l’Iliade, les combats entre ennemis laissaient place à une scène finale où les survivants pleuraient ensemble leurs compagnons morts, dans une solidarité humaine, qui transcende les conflits. Mais la compassion devient dans l’Odyssée une valeur, toujours présente, prise en charge en premier lieu par les dieux. Lors de l’assemblée des dieux, au chant V, Athéna veut susciter la compassion des dieux à l’égard d’Ulysse, retenu depuis sept ans sur l’île de Calypso, en invoquant la nécessité pour les dieux de ne pas être en dessous de la compassion des rois qui protègent leur peuple. Par compassion, Ino-Leucothée donne à Ulysse un voile magique lors de la tempête au chant V, et le fleuve des Phéaciens accède à la prière d’Ulysse en retirant ses eaux pour lui permettre d’accoster. C’est encore la compassion qu’invoquait Calypso face à un Ulysse pleurant le retour impossible, seul sur son promontoire – ici, de façon inédite, Ulysse devenait un héros nostalgique et pathétique – en disant : « le cœur dans cette poitrine n’est pas de fer ». C’est aussi pour une part la compassion qui pousse Nausicaa, au chant VI, à secourir l’inconnu. La compassion, on le voit, est essentiellement une valeur féminine.

Les dieux semblent également soucieux de la justice. Alors que dans l’Iliade, ils sèment la guerre entre les hommes, qui ne sont entre leurs mains que des jouets, ils prévoient, dans l’Odyssée le destin d’Ulysse pour le plus grand bien. On a ainsi reproché à Homère, à propos de l’Iliade sa vision des dieux et de la guerre, que même Héraclite est obligé de concéder : « il ne s’agit plus chez notre poète de déchaîner « l’atroce mêlée » entre « Troyens et Achéens » (Il., VI, 1) : troubles et dissensions éclatent au ciel même et font leur proie de la divinité […]. Homère a organisé la grande guerre du ciel et il n’arrête pas la bataille au moment où le fléau va se déchaîner, il met les dieux aux prises et les jette les uns contre les autres » (52, 2 et 4). Héraclite, pour défendre Homère, propose tout d’abord une interprétation astrologique (53,3), puis comme si il sentait que celle-ci est insuffisante, une interprétation morale, celle du combat des vices et des vertus, au prix d’assimilations parfois tortueuses ! La moralité des dieux n’y est guère convaincante. En revanche, dans l’Odyssée, la longue attente d’Ulysse chez Calypso a été voulue par Athéna pour que son retour puisse coïncider avec le passage de Télémaque à l’âge adulte et Zeus annonce au début du chant V qu’Ulysse rentrera à Ithaque plus chargé de cadeaux qu’il n’en eût ramenés de Troie s’il était rentré directement. Le changement de perspective que donne la narration omnisciente montre ainsi que ce que l’homme éprouve comme des souffrances est en fait un destin voulu à l’avance par les dieux pour le meilleur bien.

Enfin, il faut aussi relier la notion de morale à celle de la religion, tant les deux sont inséparables dans l’univers de l’Odyssée. En effet, que met en scène l’épopée : la transgression initiale d’Ulysse, refusant de rendre hommage aux dieux sur les rives de Troie, renouvelée ensuite à plusieurs reprises (chez Polyphème, à propos de l’outre d’Eole, ou encore sur l’île du Trident), et qui entraîne la haine et les souffrance envoyées par Poséidon, dans un monde merveilleux dont Ulysse peine à sortir. Il est question, ainsi, d’une faute envers la divinité, d’une transgression, qu’Ulysse et ses compagnons doivent payer, et dont Ulysse ne pourra se racheter qu’après être rentré chez lui, et avoir entamé un autre voyage, prédit par Tirésias au chant XI, cette fois sur terre, jusqu’ à temps que les passants ne reconnaissent plus l’instrument de la rame et qu’il soit enfin temps d’offrir un ultime sacrifice à Poséidon, par des offrandes et en abandonnant la rame et le monde de la mer.

Ainsi, l’Odyssée offre de nouvelles valeurs, morales et religieuses, qui n’étaient guère présentes dans l’Iliade.

 

Cependant, en dépit de ce souci nouveau de compassion et de justice de la part des dieux, ce sont surtout des valeurs humaines qui sont célébrées.

L’Odyssée propose, à plusieurs reprises, l’éloge des valeurs qui différencient l’humanité du monde archaïque des monstres : l’hospitalité, devoir auquel se conforment Nausicaa, Arété et Alcinoos, qui n’est pas un piège comme chez Circé ou chez les Lotophages, mais, qui laisse à Ulysse le choix de rentrer chez lui. Nausicaa rappelle aussi à Ulysse, alors qu’il est sur le point d’être réintégré dans la communauté humaine, au chant VI, que l’homme doit se distinguer par son endurance face aux épreuves envoyées par les dieux, par sa piété, et par le respect du roi. Elle-même se distingue par son courage, valeur traditionnellement plus masculine dans l’univers de l’épopée, par sa sagesse, et pour une part par sa ruse, demandant à l’étranger d’attendre qu’elle soit rentrée au palais pour pénétrer dans la ville, afin d’éviter les rumeurs. En ce sens, Nausicaa apparaît comme le double d’Ulysse.

L’épopée apparaît essentiellement, de fait, comme un éloge de la sagesse humaine, qui passe par le logos. C’est ainsi qu’Hermès, ailé comme l’est la parole, intervient à deux reprises pour sauver Ulysse, une première fois en mettant en garde le héros contre la coupe de volupté de Circé, au chant X, et une deuxième fois, en persuadant Calypso, au chant V, de laisser repartir Ulysse. Dans les deux cas, la sagesse se double d’une éloquence persuasive qui vient à bout de l’intempérance, ou de la passion dévoratrice. C’est aussi pourquoi l’épopée insiste aussi sur le rôle d’Athéna dont les conseils sont ceux de la sagesse, face à Nausicaa, ou plus tard, face aux prétendants, alors qu’Ulysse se dissimule sous une fausse identité. Cet idéal de maîtrise de soi, et de victoire, en toute occasion, de la sagesse humaine, a fait que les cyniques, les stoïciens et les platoniciens ont fait d’Ulysse leur idéal. Maxime de Tyr voyait dans Ulysse « l’image d’une vie parfaite, d’une vertu accomplie » (Orat., XXVI, 5-6, éd. Hobein). C’est aussi le sens retenu par Sophocle qui pourtant le condamne : face à Néoptolème qui refuse d’utiliser la ruse pour s’emparer de Philoctète, Ulysse répond : « Digne fils d’un vaillant père ! Moi aussi, dans ma jeunesse, j’avais moins d’entrain pour débattre que pour me battre. Depuis lors, la vie m’a enseigné que c’est la langue plus que la prouesse qui mène le monde » (Philoctète, 61-102[5]).

Néanmoins, la réussite de l’Odyssée est d’avoir renversé des valeurs traditionnellement présentes dans l’épopée. Ainsi, la bravoure guerrière et les rêves de gloire sont récusés par Achille, au chant XI de l’Odyssée. Celui qui dans l’Iliade avait sacrifié sa vie au la victoire sur son ennemi, souhaite désormais être le dernier des vivants, plutôt que de souffrir aux enfers parmi les morts. S’il y a une morale à l’Odyssée, c’est bien dans la leçon faite à Ulysse que la seule valeur qui tienne est la vie, et que le héros est celui qui rentre vivant parmi les siens, après avoir beaucoup vécu. Rien ne vaut en effet la douceur de la vie, et la compagnie des hommes avec qui partager « le frisson des larmes » (chant XI).

 

 

A l’image de nombreux contes, l’Odyssée est d’une morale ambiguë, donnant raison au rusé, au fourbe et au cupide. Même si le souci de justice et de pitié se fait jour, ce sont surtout des valeurs humaines qui sont célébrées, au premier rang desquelles, la vie elle-même, plus importante que tous les rêves de prouesse guerrière et de gloire. Mais comme bien des contes, l’épopée n’offre pas tant une morale, qu’une leçon de vie, mettant en valeur la ruse, l’inventivité quels que soient leurs moyens. N’est-ce pas le propre des contes, qui pour donner un sens à l’existence humaine, et une aide à vivre, sont obligés de passer par des actes et des personnages à première vue immoraux ?

 

 

Quelques commentaires sur vos productions :

    Ne pas confondre la morale (le message, l’enseignement que veut faire passer l’auteur) et la moralité (la partie de texte qui contient cette morale).

    Ne pas confondre la morale (l’adéquation aux conceptions du bien et du mal) et la leçon de vie (finalité réelle de la plupart des contes et des fables : c’est par la ruse que le petit poucet s’en sort, et le conte n’est guère « moral » !)

    Ce sujet vous demandait de travailler autant sur le texte que sur sa réception possible par le lecteur ! Les appréciations peuvent donc varier, en fonction de la culture propre de chaque lecteur. Attention ainsi à ne pas plaquer sur le texte des concepts judéo-chrétiens (sur les infidélités d’Ulysse en particulier !). Même la vision d’Héraclite est biaisée : elle appartient au premier siècle après J.-C. !

 

Les copies relèvent quasiment toutes d’un travail sérieux et légitime. Et il y a de très belles réussites. Terminez la lecture du dossier pendant ces vacances et lisez Tous les matins du monde que nous prenons à la rentrée. Et parce que même Pascal reconnaissait à l’homme la nécessité du divertissement, détendez-vous, pendant ces quelques jours. Oh ! si peu !



[1] Dans les mythes et les contes, quel que soit le folklore, les géants apparaissent souvent comme des êtres mal intentionnés, qui finissent par être vaincus grâce à la ruse et au courage du héros. La ruse déployée par le héros prend alors, dans la tradition populaire, une caractère de bouffonnerie (cf. la deuxième partie).

[2] Il faut distinguer de ce point de vue le récit omniscient qui tend toujours à présenter l’action dans la possibilité d’une explication naturelle et vraisemblable et le récit d’Ulysse qui insiste volontiers sur le merveilleux et les interventions divines !

[3] cf. Allégories d’Homère, 1, 1-2 : « On fait à Homère un procès colossal, acharné, par son irrévérence envers la divinité. Tout chez lui n’est qu’impiété si rien n’est allégorique. Des contes sacrilèges, un tissu de folies blasphématoires étalent leur délire à travers les deux poèmes ». La traduction citée est celle de Félix Buffière, dans l’édition des Belles Lettres, 2003.

[4] L’objet du plus grand scandale est le récit des amours d’Arès et d’Aphrodite, critiqué en particulier par Platon, dans la République, 390. Même Héraclite ne sait quelle justification en donner : « Homère donne à la débauche droit de cité dans le ciel, et n’a pas honte de mettre au compte des dieux une faute qui, chez les hommes, quand elle se produit, est punie de mort, l’adultère » (69, 3). On peut noter dans la suite du commentaire la pauvreté de la justification : Homère mettrait en scène l’Amour et la Discorde dont l’union mènerait à l’harmonie (d’où le rire des dieux !) ou encore une allégorie sur le travail de la forge !

[5] Trad. de Robert Pignarre, GF Flammarion, 1964.

Partager cet article
Repost0
2 octobre 2010 6 02 /10 /octobre /2010 16:59

Quel rôle jouent l’arrivée et le séjour au pays des Phéaciens dans le parcours initiatique d’Ulysse ?

 

Bonjour à toutes et à tous. Voici la proposition de correction. Attention : il ne s’agit que d’un horizon, et non de ce que j’attendais en une heure (il m’en a fallu deux et ce n’est qu’une version provisoire). Cette page est donc destinée à faire un point définitif sur l’ensemble de la question. Par ailleurs, les notes sont sur Pronote depuis ce soir.

 

Quelques difficultés que j’ai pu relever dans les copies (tout à fait honorables de façon générale) :

- la difficulté à distinguer le sens littéral d’une scène (en particulier celle du bain au chant VI) et la lecture symbolique que l’on peut en faire 

- le côté allusif de beaucoup de vos copies (il faut expliquer, expliciter, justifier son propos) !

- un problème dans la chronologie : la Schérie intervient à la fin du voyage et non au début !

 

Restez serein. Si vous avez des questions, voir la fonction commentaire de ce blog. Bon week-end à tous et à lundi ! Et profitez un peu du beau temps !

 

 

Les difficultés mythologiques du sujet :

- Traiter le sujet de façon trop large : on ne vous demande une étude des Phéaciens en eux-mêmes ni d’Ulysse ou même de son parcours initiatique. Mais bien le rôle des premiers sur le second ! Quel effet a ce séjour sur l’évolution, le cheminement, le parcours d’Ulysse ? Que permet-il ? Quels changements en advient-il ?

- Faire de la paraphrase : le risque est en effet de raconter le texte de la fin du chant V au chant XIII ! Vous devez au contraire offrir un discours argumentatif et des entrées analytiques à la réflexion.

 

 

 

 

Ulysse arrive sur les côtes de la Schérie à la fin du chant V et repart du pays des Phéaciens au chant XIII. Son séjour chez les Phéaciens occupe ainsi la totalité des chants au programme mais du chant IX au chant XII inclus, ce séjour est occupé par le long récit des aventures d’Ulysse, dans une analepse qui revient sur l’ensemble de ses errances depuis le départ de Troie jusqu’à l’arrivée sur l’île de Calypso et jusqu’à la tempête en mer, au chant V, racontée à Arété au chant VI. On pourra ainsi se demander quel rôle jouent l’arrivée et le séjour au pays des Phéaciens dans le parcours initiatique d’Ulysse. Quel effet ont-ils sur l’évolution, le cheminement, le parcours d’Ulysse ? Que permettent-ils ? Quels changements en advient-il ? On pourra tout d’abord considérer que l’arrivée chez les Phéaciens permet à Ulysse de quitter enfin le monde archaïque et merveilleux des monstres. En ce sens, on verra qu’il s’agit aussi d’une étape indispensable pour être réintégré dans la communauté humaine. Enfin, il faudra aussi analyser le changement de statut d’Ulysse : de personnage il devient le narrateur de ses aventures, en acquiert ainsi une nouvelle identité.

 

 

L’arrivée et le séjour en Chérie permettent tout d’abord à Ulysse de passer du monde merveilleux au monde réel.

Les Phéaciens, dans le parcours d’Ulysse ont le statut d’une transition entre le merveilleux et le réel, entre le monde merveilleux et archaïque des monstres, et le monde réel des hommes. Or, c’est bien à ce monde réel qu’Ulysse doit revenir après avoir été plongé dans le monde merveilleux, au chant IX, après le passage du cap Malée. La position isolée de la Schérie (il faut dix-huit jours de navigation pour qu’Ulysse y parvienne) l’assimile à une terre lointaine et coupée du reste du monde, à une utopie. Il s’agit bien encore d’une terre mythique puisqu’Alcinoos passe pour avoir accueilli les argonautes et permis le mariage de Jason avec Médée. D’ailleurs, les Phéaciens ont jadis habité l’Hypérie (le « haut-Pays » ou le « Haut-Lieu ») où ils ont été voisins des Cyclopes, et comme eux, ils demeurent proches des dieux, qui s’invitent à leurs tables. Cependant, dès le chant VI, la Schérie est une terre où tout indique la communauté humaine : une ville, l’agriculture, le culte des dieux. Au chant XIII, les Phéaciens accomplissent cette transition entre le monde merveilleux et le monde réel, en permettant à Ulysse de rentrer à Ithaque en une nuit, lors d’une traversée qui n’a rien de réel (les bateaux des Phéaciens se dirigent à la pensée et sont capables d’aller jusqu’au-delà du monde) mais qui est bien un passage symbolique puisqu’Ulysse est endormi d’un sommeil magique et ne se rend compte de rien[1].

De fait, les Phéaciens sont une étape décisive dans le parcours d’Ulysse, étape nécessaire avant son retour au monde réel, et au combien corrompu d’Ithaque. De fait, le pays des Phéaciens offre à l’avance au héros, une image d’Ithaque. Cependant, on est là dans un miroir inversé d’Ithaque, une image de ce que devra être Ithaque une fois débarrassée des prétendants. Ainsi, toujours, le récit mythique progresse-t-il en proposant des situations analogues avec des variations qui offrent autant de significations nouvelles à la réflexion sur la condition humaine. La société des Phéaciens se caractérise par l’harmonie qui y règne, harmonie familiale fondée sur le couple d’Alcinoos et d’Arété, et harmonie politique, à l’image de cette harmonie familiale. Ainsi, Ulysse vente devant Nausicaa, au chant VI, les mérites des l’harmonie entre l’homme et la femme, et la vie politique des Phéaciens est faite de banquets donnés dans le palais d’Alcinoos, en présence des seigneurs ( les basileis) qui gouvernent en accord avec le roi. Cette harmonie est à la fois le contraire de la situation à Ithaque, où les banquets donnés par les prétendants sont le signe de la discorde politique et du désordre, et sa préfiguration quand Ulysse se sera débarrassé des prétendants.

Enfin, dans ce parcours d’Ulysse, les Phéaciens referment le passage entre le monde merveilleux et le monde réel. Ainsi, les prédictions ont annoncé que Poséidon se vengerait de ce que les Phéaciens aideraient Ulysse et la malédiction s’accomplit : Poséidon fige les bateaux phéaciens de retour chez eux en un énorme rocher à l’entrée du port, et entoure la Schérie de hautes murailles. Désormais, le passage du monde merveilleux au monde réel n’est donc plus possible, et Ulysse, rentré à Ithaque, appartient définitivement au réel, où il va devoir reconquérir sa famille et son pouvoir. Il doit ainsi quitter définitivement le monde aventureux de la mer pour s’enraciner dans ses terres, dans un ultime voyage jusqu’à temps que les passants ne reconnaissent plus la rame qu’il transporte.

 

Les Phéaciens permettent ainsi à Ulysse de quitter le monde merveilleux et de retourner dans le monde réel. La Schérie est ainsi une étape transitoire, qui offre à l’avance l’image de ce que devra être Ithaque après la victoire sur les prétendants. Ils sont la seule ressource du merveilleux, offerte à Ulysse après la perte de l’outre d’Eole, pour regagner définitivement le réel. Mais transition entre les deux mondes, il permette aussi à Ulysse de redécouvrir le monde des hommes.

 

La redécouverte du monde des hommes est indispensable pour un héros, qui au contact des monstres a perdu peu à peu de son humanité.

C’est pourquoi l’arrivée en Schérie intervient après un long temps de mûrissement, passé sur l’île de Calypso au chant V. L’épisode de la tempête est ainsi rythmé par cinq images homériques dont l’organisation dit de façon symbolique ce mûrissement : toutes appartiennent à l’automne, la saison des fruits et la série se termine par l’image d’Ulysse se reposant sous les feuilles comme un tison sous la cendre. Après le long temps passé sur l’île de Calypso, et après la navigation solitaire et la tempête, le héros est à nouveau prêt à naître, non plus comme héros de la guerre de Troie, mais comme homme : c’est pourquoi il est significativement représenté dans sa solitude – sa première apparition, au chant V, est de ce point de vue significative puisqu’il est présenté de façon inédite dans une posture solitaire et mélancolique, pleurant sur un promontoire, les yeux rivé vers l’ailleurs de la mer. La narration insiste ainsi particulièrement au chant V sur la souffrance et le dénuement d’Ulysse, comme dans la comparaison avec le poulpe, mais Ulysse, moindre que le poulpe, laisse une partie de son corps sur les rochers. Il nous est présenté enfin comme le jouet des éléments, des vents qui se renvoient son navire et jouet des volontés contradictoires des dieux. Ces épreuves ont fait de cet ancien héros de la guerre de Troie un homme qui a mûri dans les souffrances, la solitude et le recueillement forcé sur l’île d’Ogygie. En cela, la Schérie est l’aboutissement de ce mûrissement.

C’est pourquoi Ulysse, en Chérie, est réintroduit aux rites de la collectivité humaine. C’est Nausicaa, relais d’Athéna auprès d’Ulysse – proche d’Athena, elle est pour Ulysse aussi une figure tutélaire -, qui dans son discours à l’inconnu, au chant VI, rappelle les règles de la condition humaine et de la collectivité : la piété et l’endurance face aux maux envoyés par les dieux, l’hospitalité, le respect du roi. C’est elle qui enjoint aussi à Ulysse de se méfier des autres hommes, les habitants méfiants de la Schérie, et du qu’en dira-t-on. En cela, elle rappelle au seuil de sa réintroduction dans le monde des hommes les règles qu’Ulysse aussi devra suivre. C’est son discours qui permettra à ce dernier d’être accueilli dans le palais d’Alcinoos au chant VII.

Cependant, cette redécouverte si précieuse du monde des hommes reste partielle. En effet, le pays des Phéaciens est avant tout une utopie : rien de malheureux ne peut y arriver, la vie y est heureuse et harmonieuse au sein d’une nature qui dans le jardin d’Alcinoos, au chant VII, a tout d’une nature de l’âge d’or. Le palais lui-même est un palais à la richesse hyperbolique, rappelant peut-être les temps immémoriaux de la splendeur des palais mycéniens. Aussi, n’est-ce qu’une étape dans le retour à Ithaque, étape dont il faut partir. A la différence de l’accueil dans le monde merveilleux, les Phéaciens offrent immédiatement à Ulysse la possibilité du retour. Cependant, cette hospitalité est ambivalente par rapport au parcours initiatique d’Ulysse : en effet, si elle est globalement très positive, elle représente un danger, celui de l’oubli de la patrie et donc l’oubli de soi, en privant le héros de son destin qui est de rentrer chez lui. Ainsi, la rencontre avec Nausicca, dont Alcinoos propose la main, est la dernière épreuve, et la dernière tentation, cette fois humaine, après celles de Circé et de Calypso, de ne pas rentrer chez soi.

 

Ainsi, si les Phéaciens réintroduisent Ulysse aux rites de la collectivité humaine, c’est de façon partielle, et à travers le prisme de l’utopie. Cette dernière initiation est aussi la dernière tentation de ne pas rentrer et de ne pas accomplir son destin, et la dernière épreuve pour Ulysse avant le retour à Ithaque. Cependant, ce passage permet surtout au héros de faire un pas décisif dans son parcours initiatique, en lui permettant d’acquérir une nouvelle identité.

 

L’arrivée en Schérie et le séjour d’Ulysse chez Alcinoos sont ainsi une étape décisive dans ce qui constitue le parcours initiatique d’Ulysse, c’est-à-dire dans l’acquisition d’une nouvelle identité.

La scène du bain au chant VI est significative de la réintégration d’Ulysse dans le monde des hommes. Après la transgression première sur les rivages de Troie, par Ulysse qui n’a pas honoré les dieux, Ulysse est plongé dans un monde merveilleux et archaïque et privé de toute chance de retour. Dans ce monde, Ulysse a perdu son statut de héros de la guerre de Troie (être un héros ne sert à rien face à Polyphème qui se moque bien des héros et qui a surtout faim – l’héroïsme est battu en brèche par le ventre d’un berger), ses compagnons, morts, et a souvent encouru le risque d’oublier sa patrie et soi-même. Le temps passé sur l’île d’Ogygie à pleurer est donc comme un temps d’expiation avant la renaissance au pays des Phéaciens. A la fin du chant V, il est, dans la dernière image utilisée, mi-homme, mi-poulpe, monstre donc, à l’image des monstres qu’il a croisés. Dans le chant VI, il est comparé à un lion au milieu d’un troupeau de vaches. Cette image fortement négative est suivie par la scène du bain où Ulysse montre une pudeur inattendue, au regard de la scène de bain de Télémaque au chant IV. Cette scène du bain est à comprendre en son sens symbolique : si Ulysse doit se baigner seul, c’est qu’il est l’intouchable, celui qui a été souillé par sa longue fréquentation des monstres dans le monde merveilleux, par ses transgressions renouvelées, et par son séjour sur l’île d’Ogygie, « nombril du monde », véritable matrice dont il doit à nouveau sortir, pour renaître homme. La scène du bain correspond ainsi à un rituel de purification, qui permet la renaissance du héros.

Cette renaissance s’accompagne aussi pour Ulysse d’une récupération, grâce aux Phéaciens, de son histoire. Ainsi, lorsqu’il arrive en Schérie, Ulysse n’est proprement plus Personne : c’est en effet ainsi qu’il s’est significativement présenté à Polyphème, alors même que celui-ci venait de prouver qu’il ne sert à rien d’être un héros de la guerre de Troie dans le monde merveilleux et archaïque des monstres. Or, c’est aussi par cette perte d’identité que l’on peut interpréter le silence d’Ulysse, dans un premier temps, sur son identité : à la question d’Arété, à la fin du chant VI, il ne répond pas, préférant parler longuement de son naufrage et de la rencontre avec Nausicaa, façon de ne pas répondre à la maîtresse du palais. Or, ce n’est qu’après les chants de Démodocos qu’Ulysse, au début du chant IX, décline enfin son identité. Les chants de Démodocos, sur la querelle d’Achille et d’Ulysse et sur l’épisode du cheval de Troie (chant VIII), ont ainsi permis à Ulysse de recouvrer sa mémoire de héros. Il peutr désormais non plus s’appeler Personne mais à nouveau Ulysse.

Désormais, aède de ses propres aventures, il pourra enfin revenir sur son parcours en racontant ses longues errances. Ce récit enchâssé permet au héros de faire sienne ses aventures, et d’acquérir une nouvelle identité, non plus celle de héros guerrier, mais de héros de la vie, dans ses épreuves et ses souffrances, d’homme au plein sens du terme, qui a vécu et finit par rentrer chez soi. De fait, la façon dont il se présente au début du chant IX aux Phéaciens est significative. S’il dit son nom, il se définit d’emblée non pas par rapport à la guerre de Troie, mais par rapport à Ithaque qu’il décrit comme le lieu d’où il vient et comme le lieu du retour. Chez les Phéaciens, Ulysse devient le héros solitaire de ses propres errances, mettant en valeur dans son récit, des qualités proprement humaines, comme la ruse, la curiosité et pour une part aussi la cupidité. C’est pourquoi, cette étape chez les Phéaciens est décisive dans le parcours initiatique pour redevenir un homme, et pour perdre une identité première de héros guerrier que le chant Xi présente comme illusoire, et acquérir une nouvelle identité, celle de l’homme éprouvé qui rentre chez lui. Cette nouvelle identité fait proprement l’éloge de l’humanité.

 

L’arrivée en Schérie et le séjour dans le palais d’Alcinoos ont permis à Ulysse de retourner au monde réel, avant d’être ramené à Ithaque, et de réintégrer la communauté des hommes après de longues errances dans le monde archaïque et merveilleux des monstres. Il ont surtout permis à Ulysse de se dépouiller de son ancienne identité de héros guerrier et des illusions qui y sont attachées, pour mûrir et devenir pleinement un homme, en se faisant le narrateur de ses propres souffrances et en en devenant le héros solitaire. Cependant, ce passage et cette transition sont aussi pour Ulysse la dernière épreuve, avec le personnage de Nausicaa, et la dernière tentation de ne pas rentrer chez soi. Mais de cette épreuve, dérisoire, au regard des précédentes, bien plus dangereuses, ne sort véritablement vaincue que Nausicaa, laissée pour compte du récit et à qui Ulysse dit adieu avec émotion.



[1] Il faut voir l’importance de ce sommeil qu’Ulysse appelle de ses vœux puisque c’est la condition indispensable pour que le dernier voyage puisse avoir lieu. Ainsi, les aventures et les longues errances ne peuvent-elles pas être prises pour la plongée dans un autre monde, un état différent, à l’image de l’homme qui revient d’une longue maladie et retrouve ensuite ses enfants, comme dans la troisième comparaison homérique utilisée au chant V ?

Partager cet article
Repost0
19 juin 2010 6 19 /06 /juin /2010 17:38

L’oral de rattrapage

 

 

 

Bonjour à toutes et à tous. J'espère que les écrits se sont bien passés et que vous n'aurez pas besoin d'aller à l'oral. Pour celles et ceux qui auraient quand-même comme un doute, voici une présentation de l'oral de rattrapage. Bon courage à tous. N'hésitez pas si vous avez des questions. 

 


 

L’oral de rattrapage est réservé à ceux qui ont entre 08 et 10 de moyenne. Ces candidats doivent choisir deux matières pour le rattrapage. Il est préférable de choisir une matière avec un fort coefficient, ou une matière dans laquelle on a eu une très mauvaise note : dans ces deux cas, en effet, on peut rattraper beaucoup de points.

 

[ Conseil : commencer à réviser dès la fin des épreuves écrites. En effet, il y a très peu de temps entre la réception des résultats et les épreuves orales.

 

Ø      Temps de préparation : 20 min.

Ø      Temps de passage : 20 min.

 

Pour la littérature :

 

L’examinateur vous donne une question portant sur le programme de lettres. Cette question peut porter soit sur un aspect particulier de l’une des œuvres, soit sur l’ensemble d’une œuvre en relation avec l’objet d’étude, soit sur un point de comparaison entre plusieurs des œuvres au programme.

Sur cette question, le candidat doit construire, durant les 20 min de préparation, un exposé de façon organisée, argumentée et illustrée d’une étude précise de l’œuvre.

 

Cet exposé doit tenir à l’oral 10 min.

L’exposé de 10 min. est suivi d’un entretien de 10 min environ. Durant cet entretien, l’examinateur part de l’exposé, invite à préciser un propos, à approfondir la réflexion, à développer des perspectives.

 

La question des œuvres : en principe, en littérature, vous n’avez pas le droit aux œuvres. Cependant, comme dans les années passées, il y a parfois eu de divergences selon les académies, je vous conseille fortement d’amener avec vous les œuvres et de demander poliment à l’examinateur si vous y avez droit ou pas. Cependant, ne comptez pas trop sur ces œuvres, car même si vous y aviez droit, vous n’auriez pas le temps de les consulter et en tourner fébrilement les pages ne pourrait que vous retarder encore. Apprenez donc des citations qui peuvent servir pour plusieurs questions différentes !

 

[ Critères d’évaluation :

 

Ø      Connaissance des œuvres et des objets d’étude

Ø      Aptitude à prendre en compte une problématique

Ø      Clarté, pertinence et cohérence du propos

Ø      Utilisation de notes personnelles

Ø      Personnalité de l’interprétation et du jugement critique

Ø      Aptitude au dialogue, à l’échange

Ø      Justesse et correction de l’expression orale

 

[ Conseils :

v     Il faut apprendre à gérer son temps de parole : prenez une montre (les portables sont bien sûr interdits) et mettez la à côté de vous sur la table. Vous pourrez ainsi la consulter et adapter votre débit et votre propos au temps restant.

v     A partir de la question, analysez-la et proposez une problématique. Vérifiez que cette problématique n’est pas hors-sujet par rapport à la question.

v     En 20 min., vous n’avez pas le temps de rédiger vos notes : faites un plan détaillé.

v     Votre exposé doit comporter une introduction (même méthode qu’à l’écrit), un développement en deux ou trois parties distinctes avec des entrées analytiques, et une conclusion (même méthode qu’à l’écrit).

v     Durant l’exposé, pensez à regarder votre examinateur, car vous êtes aussi jugé sur votre capacité au dialogue et à l’échange.

v     Durant l’entretien, soyez attentif aux questions et justifiez toujours votre propos : aucune question n’appelle une simple réponse oui ou non.

v     Soyez ouvert et capable durant l’entretien de remettre en question votre jugement, sans pour autant aller jusqu’à dire tout et son contraire.

Partager cet article
Repost0
14 juin 2010 1 14 /06 /juin /2010 20:53

Bonsoir M. Voici un plan détaillé qui j'espère permettra de clarifier la question. Je n'ai pas trouvé l'intitulé exact de la question mais ce qui suit est une étude qui fait à peu près le tour du thème. Bonne lecture (et un peu de repos aussi, à l'image d'Ulysse dans ce long voyage : il faut parfois savoir aborder un rivage !).

 

 

Le sommeil dans les chants V à XIII de l’Odyssée d’Homère

 

 


Ø      Si une telle question vous arrive, c’est-à-dire très précise, je conseille vivement de partir d’un inventaire du texte : qui dort ? qui rêve ? où ? quelles conséquences ? quel sens peut-on donner à chaque fois au sommeil ? Et de construire, à partir de la liste obtenue, ensuite un plan cohérent et analytique.

Ø      Néanmoins, voici un plan détaillé de la question.

 

On peut rappeler en introduction la perception que les Grecs de l’Antiquité avaient du sommeil et des rêves : les rêves viennent des dieux et peuvent même permettre de passer d’un monde à l’autre. Cependant, cette perception se fonde essentiellement sur l’Iliade et l’Odyssée, et a été reprise par les grands tragiques grecs par la suite. Ce n’est qu’à l’époque moderne avec les découvertes de la psychanalyse que les hommes abandonnent cette perception religieuse des rêves pour y voir l’expression de l’inconscient et de pulsions ou désirs refoulés.

 

On pourra se demander s’il y a un seul type de sommeil ou au contraire des sommeils différents. S’agit-il ainsi d’un sommeil appartenant au rythme humain ou au contraire d’un sommeil magique relevant du merveilleux ?

 

I – La fonction narrative du sommeil

 

1.1 ) Rythmer la narration

 

Le sommeil permet de rythmer la narration, aussi bien à travers les faits racontés par l’aède narrateur omniscient que au sein du récit d’Ulysse. Les formules désignant le sommeil et le réveil sont ainsi récurrentes et marquent autant d’étape dans la narration et le voyage d’Ulysse. L’expression « lorsque parut la fille du matin, l’aube aux doigts roses » est particulièrement répétée. Le sommeil vient ainsi clore le chant VII et le premier jour d’Ulysse au palais des Phéaciens. Au chant IX, le sommeil rythme également les différentes étapes de la dérive des bateaux d’Ulysse à travers les îles sauvages fréquentées par les nymphes et les cyclopes. Il est de même au chant X puisque le sommeil marque la progression du voyage du pays des Lestrygons jusque chez Circé.

 

1.2 ) L’absence de sommeil : un élément déterminant pour l’appréciation de la durée des épisodes et le registre épique

 

Par opposition, l’absence de sommeil permet d’accentuer la notion de durée et la perception de l’effort consenti par le héros durant certains épisodes. Celui-ci apparaît ainsi comme un véritable héros dans des épisodes épiques où sa résistance va au-delà des normes humaines. Dans le chant V, au sortir de l’île de Calypso, Ulysse dérive pendant vingt jours seul sur son radeau puis au sein même de la mer. Aux chants IX et X, l’absence de sommeil dramatise l’angoisse devant un danger imminent : après le massacre des compagnons d’Ulysse par les Cicones (IX, v.74-75) et après le massacre des Lestrygons, lors de l’arrivée sur l’île d’Aiaté, île de Circé (X, v.142-143). Dans un effet de parallélisme, c’est aussi l’absence de sommeil qui est invoquée pour désigner la longue attente de Pénélope, au chant XIII, v.336-338.

 

1.3 ) Permettre l’action

 

Le sommeil, en représentant une perte de maîtrise, peut faire évoluer l’action. Ainsi, il n’est pas question de magie dans le sommeil de Polyphème le Cyclope. Celui-ci s’endort au chant IX parce qu’il est ivre du vin que lui a donné le rusé Ulysse : « Alors, tête en arrière, il tomba sur le dos ; / puis sa grosse nuque fléchit, le souverain dompteur, / le sommeil, le gagna ; de sa gorge du vin jaillit / et des morceaux de chair humaine ; il rôtait, lourd de vin » (v.371-375). Mais ce sommeil voulu par Ulysse va permettre à celui-ci de prendre le cyclope par surprise et de lui crever son œil. Il est dans les chants de L’odyssée un autre sommeil qui n’a rien de magique : celui d’Elpénor, le compagnon d’Ulysse qui cuve son vin et finit, mal réveillé par se tuer en tombant du toit du palais de Circé. C’est à lui qu’Ulysse rend ses devoirs funéraires au retour du pays des Cimmériens.

Dans tous ces cas, le sommeil paraît normal, une scansion de la vie et du voyage pour des héros dont il rappelle l’humanité. C’est un moteur puissant du voyage puisque c’est lui qui souvent oblige Ulysse et ses compagnons à faire halte et ouvre ainsi sur de nouvelles rencontres et d’autres aventures. Cependant, à ce sommeil normal s’ajoute un sommeil qui a l’air magique et qui ouvre sur le merveilleux.

 

II – Un sommeil magique

 

2.1 ) Un sommeil voulu par des dieux hostiles

 

Le sommeil d’Ulysse sur l’île du Soleil paraît surnaturel et voulu par les dieux – « je priai les dieux qui règnent sur l’Olympe. / Comme ils versaient un doux sommeil sur mes paupières, / Euryloque à mes gens conseillait un projet fatal. » (v.337-339) - : il permet aux compagnons d’Ulysse de tuer les troupeaux du Soleil et ainsi de commettre un sacrilège qui amène sur eux la malédiction des dieux et retarde encore le retour à Ithaque.

 

2.2 ) Un rêve prophétique ?

 

C’est Athéna qui envoie à Nausicaa un rêve, au chant VI. Celui-ci enjoint à la jeune fille d’aller laver le linge en vue d’un prochain mariage. On peut y voir là l’un des motifs propres à la littérature grecque antique : le rêve prophétique puisqu’effectivement Nausicca rencontre le lendemain Ulysse qu’elle juge digne d’être son époux et à qui Alcinoos propose sa fille en mariage. Cependant, si ce sommeil est bien magique, il reste que Nausicaa est la véritable victime de l’épisode des Phéaciens puisqu’elle voit partir Ulysse au chant XIII. Ainsi, il ne s’agissait d’une prophétie qu’en apparence, astuce créée par Athéna pour aider en réalité Ulysse.

 

2.3 ) L’ambivalence du sommeil : source de vie ou de mort ?

 

De fait, si le sommeil peut ouvrir sur un avenir possible, son effet est cependant ambivalent. Ainsi, il est souvent présenté comme indispensable à la vie et régénérateur. Au chant V, après le long périple en mer et la tempête, Ulysse peut enfin s’endormir en arrivant sur les côtes de la Schérie. Ulysse endormi sous les feuille est ainsi présenté comme une source de vie préservée, un tison sous la cendre, v.488-491. Néanmoins, le sommeil peut aussi déboucher sur la mort : il en est ainsi du sommeil d’Elpénor. De même, que penser du chant des Sirènes qui entraîne l’oubli de soi jusqu’à en mourir : enchantement, charme magique ou sommeil mortifère ?

 

2.4 ) Sommeil ou passage d’un monde à l’autre ?

 

C’est plongé dans un profond sommeil qu’Ulysse fait la traversée du pays des Phéaciens vers Ithaque au chant XIII. Ce sommeil est trop surprenant pour ne pas être magique : comment Ulysse peut-il faire une telle traversée sans s’apercevoir de rien, et être déposé sur le rivage d’Ithaque sans en avoir conscience.  On peut ainsi se demander si ce sommeil magique n’est pas en fait le passage du monde merveilleux auquel appartiennent pour une part les Phéaciens et le monde réel, celui d’Ithaque, des hommes et des prétendants. Le sommeil serait ainsi le mode de passage d’un monde à l’autre, et la traversée magique, sur les barques phéaciennes qui se dirigent à la pensée son mode d’expression métaphorique. Ainsi, le sommeil qu’appelle Ulysse au début du chant XIII est comparé au retour du laboureur le soir chez soi après une longue journée de travail et de peine : v.29-35 : « Ulysse / tournait souvent les yeux vers le soleil resplendissant, / souhaitant son coucher, car il ne songeait qu’au retour. / Comme un homme qui rêve à son souper, car tout le jour / ses bœufs vineux dans la jachère ont traîné la charrue, / voit avec joie s’éteindre la lumière du soleil / et le souper venir, ses genoux cassés par la marche, / ainsi Ulysse eut joie à voir se coucher le soleil. » Paradoxalement, ce sommeil magique est associé à une mort, mais c’est surtout une mort aux peines endurées et une renaissance au réel. Ainsi, le sommeil est donc une étape majeure dans le parcours initiatique d’Ulysse puisqu’à travers lui le héros quitte les ténèbres du monde archaïque et merveilleux pour retourner au monde réel : v.78-81 : « Les rameurs, se cabrant, éclaboussèrent d’eau les rames ; / alors, un doux sommeil tomba sur ses paupières, / profond et tout pareil au calme de la mort. », et v.89-92 : « emportant ce héros sage comme les dieux / qui avait tant souffert d’angoisses dans son cœur / dans la bataille humaine et dans la douloureuse houle : / il dormait immobile, toutes souffrances oubliées ».

 

2.5 ) L’Odyssée : le rêve d’Ulysse ?

 

Il est ainsi à noter que l’essentiel des aventures d’Ulysse appartiennent à son récit. Comment ne pas être étonné devant cette narration qui nous plonge dans un monde merveilleux, si différent de celui d’Ithaque et de ses prétendants, où comme dans les rêves, les symboles du masculin et du féminin sont assez visibles : grottes, île nommée « nombril du monde » pour le féminin, pieux, lances, épées pour le masculin. En d’autres termes, ne peut-on pas émettre l’hypothèse que le récit du voyage tout entier serait le rêve d’Ulysse, dont il se réveillerait, comme par hasard, sur les rives d’Ithaque, pour ensuite aller rejoindre son épouse ?

 

 

On voit ainsi qu’il y a deux types de sommeils dans l’Odyssée : d’une part le sommeil indispensable à la vie, qui rythme le voyage et donc la narration, et qui rappelle la profonde humanité du héros comme aussi, par son absence, le caractère exceptionnel de l’endurance dans des épisodes épiques. Et puis, il y a aussi un sommeil magique, voulu par les dieux, qui ouvre sur le merveilleux ou au contraire le referme : il prolonge la dérive d’Ulysse dans le monde merveilleux et archaïque, permet à Nausicaa de rencontrer et d’aider Ulysse ou au contraire le fait revenir eu monde réel, dans une traversée qui est avant tout un passage, un rite dans le parcours initiatique du héros.

Partager cet article
Repost0
12 juin 2010 6 12 /06 /juin /2010 11:00

Bonjour à toutes et à tous. Vous trouverez dans les pages à droite l'étude du roman de Hamm. Faites des fiches, révisez bien mais pensez aussi... à dormir. C'est indispensable pour aller au bac dans de bonnes conditions. J'espère que votre moral ne sera pas aussi changeant que le temps !

Partager cet article
Repost0

Présentation

  • : Le blog de litterale.cirilbonare.over-blog.com
  • : Blog traitant de toutes les littératures, de celles que l'on enseigne, et de celles que l'on n'enseigne pas.
  • Contact

Recherche

Liens