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Chapitre I (extrait)

 

 

  L'étude porte sur l'extrait suivant : du début du chapitre à "il fallait dire que tout est au mieux". 


Questions pour préparer l’étude du texte :

  1. Le conte : Voltaire a choisi le mode narratif. Répertoriez dans cet extrait tous les éléments qui, sur le plan des situations, des personnages et de la manière de raconter appartiennent traditionnellement au conte.
  2. Le détournement : Comment Voltaire détourne-t-il ces éléments ? Etudier en particulier l’utilisation constante de la dérision et de l’ironie. Quel est l’objectif du conteur ?
  3. Le thème philosophique : Analysez le raisonnement de Pangloss et commentez l’application que Candide en fait dans les lignes 30 à 34.

 

Nous sommes ici au tout début du récit ie dans l’incipit du conte. Or, un incipit a pour fonction informative de présenter les lieux, le temps, les personnages, la situation et de faire démarrer l’action. Ici, on est avant même que l’action ne commence. Or, la présentation, si elle reprend un certain nombre de caractéristiques du conte traditionnel, semble curieuse. Le narrateur se moque des lieux et de ses personnages. Il semble que l’originalité de cette ouverture soit d’être une ouverture polémique et ironique où Voltaire fixe déjà un certain nombre de points de sa satire.

 

I - Des caractéristiques traditionnelles du conte ?

 

1.1 ) les ingrédients du conte 

v                      Formule typique du conte : « il y avait en Westphalie ».

v                      Il y a un jeu avec les figures du narrateur. Celui-ci est extérieur à l’action et à l’histoire (narrateur extra-diégétique) mais en même temps, il s’impose, comme très souvent dans les contes, pour commenter, et ici comme le rapporteur d’une voix populaire qui aurait rapporté cette parole : « c’est, je crois, pour cette raison qu’on le nommait Candide » (l.3-4).

v                      Une écriture constamment superlative : superlatif, comparatifs, intensifs.

Les personnages comme les lieux sont exceptionnels : « les plus douces » (l.2), « le plus simple » (l.3) , « un des plus puissants » (l.8), « une très grande considération » (l.14-15), « encore plus ». mais cette accumulation de formules comparatives et superlatives est suspecte et trop présente pour qu’il n’y ait pas un peu d’ironie derrière.  Le précepteur Pangloss est désigné par un terme hyperbolique : « oracle » (l.17).

1.2 ) le système des personnages

v                      Des personnages de haut rang

Nous sommes chez le baron de Thunder-ten-tronckh. On voit Madame la baronne, sa fille et le neveu Candide. On nous présente ensuite la magnificence de M le baron : deuxième paragraphe « un des plus puissants seigneurs de la Westphalie », « son château », « les chiens de ses basses-cours », « ses palefreniers », son « grand aumônier ». Il se fait appeler « monseigneur ». On présente la richesse de Mme la baronne : « qui pesait environ trois cent cinquante livres » et la considération dont elle jouit « s’attirait par là une très grande considération » (l.13-14).

v                      Des personnages qui ont plus de qualité que les humains normaux

Le portrait de Candide est un portrait superlatif. Il se distingue particulièrement par la douceur de ses mœurs : l. 2 « à qui la nature avait donné les mœurs les plus douces ». Le portrait est aussi fondé sur une esthétique classique que l’on retrouve dans les romans sentimentaux et galants de la fin du XVIIe siècle, chez Mme de La Fayette par exemple, et qui se fonde sur une éthique de la transparence : « sa physionomie annonçait son âme » (l.2). Mais il y a là une donnée efficace pour la narration car ce personnage est au départ une forme vide, n’ayant rien appris ou si peu, rien vu du monde et rien vécu : il est ainsi ouvert à toutes les possibilité et à toutes les aventures. Il permet de plus à la narration de se fonder sur son apprentissage du monde et donc d’être dans une dynamique perpétuelle de découverte. C’est une table rase qui permet à l’auteur toutes les possibilités. De plus, Candide rejoint les préoccupations de son époque. Il est en effet un enfant sans parents authentifiés, et un fils naturel (l.4-5) : en dehors donc des catégories sociales, à part, électron libre dans une société cloisonnée, et qui est ainsi plus apte qu’aucun autre à traverser toutes les couches de la société. Il annonce Le fils naturel de Diderot ou le Figaro de Beaumarchais.

1.3 ) Un monde utopique ?

v                      Un monde clos même si c’est un pays réel qui paraît vivre dans un bonheur parfait.

Même s’il s’agit d’un pays d’Allemagne, ce monde apparaît fermé sur lui-même, sans lien avec l’extérieur, avec pour preuve la naïveté et l’ignorance de Candide qui juge de toute la terre en fonction du château de M. le baron : « et par conséquent de toute la terre » (l.34).

 

II – Un détournement ironique

 

2.1 ) Une présentation problématique des personnages

Les portraits des personnages sont superlatifs mais ils sont en même temps mêlés d’éléments intrus qui n’entrent pas dans le cadre d’un personnage parfait : ainsi, le portrait de candide est ambigu : certes, le narrateur lui prête un certain bon sens, et déjà la capacité de se faire par soi-même une opinion mais il lui dénie toute réelle instruction : « il avait le jugement assez droit, avec l’esprit le plus simple » (l.3). Le nom même peut être entendu de façon péjorative : candide signifie qui manifeste une innocence ingénue pouvant aller jusqu'à la naïveté.

Le portrait de M. le baron est miné par l’ironie. Chaque proposition commence par un groupe nominal qui est censé dire la magnificence du baron mais la suite de la proposition vient corriger en le ressementisant ce groupe nominal et sa richesse apparaît pauvreté et sa grandeur misère : « son château avait une porte et des fenêtre » (sous l’Ancien Régime, les impôts étaient calculés au nombre d’ouvertures (portes et fenêtres dans n logis) : il a des fenêtres mais une seule porte ; il n’y qu’une tapisserie dans la grande salle ( élément décoratif en même temps qu’isolation ; les chiens sont une meute dans le besoin ie qui a faim ; les employés le sont à différents emplois : les palefreniers (personne chargée de panser et de soigner les chevaux ainsi que d'entretenir l'écurie) sont en même temps les piqueurs (domestique qui a la charge des chevaux d'un manège ou qui suit la meute à cheval). Il n’a pas en réalité d’aumônier personnel : c’est le curé du village qui vient dire la messe. Le terme initial de « château » est ainsi redéfini par une description négative qui le fait finalement apparaître comme une demeure modeste et dans le besoin.

Le portrait de Mme la Baronne est ironique et joue sur le double sens des mots : « qui pesait 350 livres » veut dire soit qu’elle est très riche soit qu’elle est énorme. Comme il y a le verbe peser, le lecteur est porté à deviner ce second sens et comprend la tournure ironique de l’expression : « et s’attirait par là une très grande considération ». De même le terme de « dignité » peut aussi vouloir désigner le maintien du personnage avec cette redondance ironique : « qui la rendait encore plus respectable » (l. 14-15).

Le portrait de Cunégonde est tout aussi ambigu : certes, elle a l’air plutôt attirante mais elle est décrite comme un plat de charcuterie : « haute en couleur, fraîche, grasse, appétissante » (l.15-16).

Dans la reproduction du père par le fils on peut supposer que c’est la même misère et le même ridicule (l.16). Ce personnage n’a même pas pour lui d’avoir un caractère propre.

2.2 ) Une présentation ironique des lieux

Nous avons déjà vu la déconstruction du château du baron. De plus, ce château est situé en Westphalie et voltaire se moque à travers les personnages de la noblesse allemande (mais n’est-ce pas une invention géographique pour critique en fait la noblesse française – on se retrouverait dans les cas traditionnels de payx imaginaires ou d’opérette cachant en fait une critique de la société française cf. Montesquieu et les Lettres persanes, ou Voltaire et l’orient) et de la langue allemande à travers ses sonorités « Thunder-ten-tronckh ».

2.3 ) la satire de la noblesse

Voltaire se livre à une satire de la noblesse et de se fierté et de ses prérogatives nobiliaires : la soeur de M. le baron a refusé le gentilhomme parce « qu’il n’avait pu prouver que soixante et onze quartiers et que le reste de son arbre généalogique avait été perdu par l’injure du temps » (l.6-7).

 

III – La satire de la philosophie de l’optimisme

 

3.1                   ) Un nom ironique

 

Pangloss enseigne la « métaphysico-théologo-cosmolo-nigologie ». on peut y reconnaître la métaphysique (philosophie qui relève ou traite de la branche de la philosophie ayant pour objet la recherche rationnelle de la connaissance de l'être, de l'univers et l'étude des fondements de la pensée et de la conscience), la théologie, et la cosmologie (astronomie science qui étudie les lois régissant l'Univers). Les trois disciplines ont en commun de croire en l’existence des réalités spirituelles et a priori (fondements et structure a priori de la pensée ou réalité divine ou lois régissant l’univers). Dans cette perspective, l’univers, l’homme, le monde est régi par des lois, ou des principes, ou des Idées données d’emblée, et le réel est soumis à ces principes. Or, Voltaire traite ces matières de « nigologie » (où on retrouve nigaud) et rejoint ainsi le combat des Lumières qui prescrit de partir des données sensibles, et non des idées toutes faites et a priori qui sont peut-être des illusions ou des faussetés. Pangloss a pour défaut de ne pas étudier le monde, de ne pas se pencher sur le réel plutôt que de donner sa formule : tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles. Pangloss veut d’ailleurs dire « tout en langue » : il en reste au niveau des idées sans les soumettre au réel et sans partir du réel.

 

3.2                   ) La critique de l’optimisme

 

Derrière Pangloss, c’est la philosophie de l’optimisme de Leibniz qui est visée. Leibniz voit dans le monde le produit d’une nécessité : tout est relié par un lien de cause à effet – « il n’y a point d’effet sans cause » (l.20). Or, si on considère que Dieu a crée le monde et que Dieu est un être parfait (deux postulats de départ qui ne sont pas remis en question) il faut nécessairement que le monde que Dieu a créé soit parfait ou tout au moins le meilleur possible – « le meilleur des mondes possibles » (l. 20), « il fallait dire que tout est au mieux » (l.28-29). La nécessité est soulignée l. 22-23 : « Il est démontré que les choses ne peuvent être autrement : car tout étant fait pour une fin, tout est nécessairement pour la meilleure fin ». Ce postulat métaphysique conduit à la justification de toutes choses dans le réel et à l’idée d’une subordination du mal au bien (le mal n’existe que pour aider le bien à grandir). Or, cette théorie, la suite du conte le prouve avec son accumulation de malheurs (guerres, esclavage, catastrophes, vols, injustices, misère…) prouve qu’elle est non seulement absurde mais odieuse car elle conduit à justifier le mal et à passer sur l’enjeu humain.

 

3.3                   ) Un discours direct ironique

 

En faisant parler Pangloss au discours direct, Voltaire veut bien sûr ridiculiser la théorie de Leibniz en lui donnant la parole ie en l’exposant. Or, le raisonnement de Pangloss suit l’idée de nécessité et de relation de cause à effet jusqu’à l’absurde puisqu’il justifie tout par une conséquence ultime qui n’arien à voir avec l’objet de départ : les nez ont été créés à cause des lunettes, les jambes pour les chausses, les pierres pour le château de M. le baron (selon une progression de la pensée vers ce qu’elle considère être le meilleur (la finalité ultime)), les cochons pour l’appétit de M. la baron. Nous seulement ce raisonnement est absurde mais en plus il place un postulat de départ discutable : le château de M. le baron est le meilleur endroit du monde : « le château de monseigneur le baron était le plus beau des châteaux et madame la meilleures des baronnes possibles » (l. 20) ; « le plus grand baron de la province doit être le mieux logé » (l.26-27).

 

3.4                   ) Un effet d’insistance

 

Voltaire redouble ce ridicule par les conclusions qu’en tire Candide. Si le système de la nécessité et du meilleur des mondes possibles est maintenu, il aboutit à un système de hiérarchisation des biens où le particulier prend la place de l’universel : l.31-34. Le tout reposant ironiquement sur son attirance non avouée pour Mlle Cunégonde : l.30-31. Ces nombreuses répétitions montrent aussi que ce genre de système risque de tourner à l’idée fixe, éloignant les hommes du réel et de l’exercice de leur jugement.

 

 

 

 

 

La présentation du temps, des lieux et des personnages est déconstruite par l’ironie constante du narrateur. Voltaire y attaque déjà certaines de ses cibles : la philosophie de l’optimisme, la noblesse, la métaphysique.

 

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