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Etude du chapitre « Libération »

 

         P. 7-17 : enjeux de la Libération du territoire et création d’un GRPF

         P. 17-30 : déplacements en province du 14 septembre au 6 novembre 1944.

         P. 30-32 : légitimation politique à Paris du pouvoir du général de Gaulle

         P. 32-47 : mouvements des troupes françaises et alliées sur le territoire français.

         P. 47-55 : réformes de de Gaulle : emprunt de la Libération, création des cours spéciales de justice, composition de l’Assemblée consultative nouvelle

I – Les stratégies argumentatives de l’auteur

 

1.1  ) Les stratégies d’autojustification par rapport aux critiques

 

Analyse de l’enjeu de l’écriture autobiographique rétrospective :

 

Cf. tableau récapitulatif du « Salut » : le chapitre dernier « Le départ » forme comme un épilogue à l’ensemble. Tout le récit est donc orienté vers son point final : le départ de d.G. et son échec politique. Tous les événements du récit sont donc orientés vers la justification de cet échec politique. Cela suppose pour l’auteur de donner un sens, une direction, à ce qui fut informe.

Cette volonté de justification suppose une relecture de l’Histoire a posteriori où les événements sont reliés entre eux [ cohérence narrative que les événements n’ont pas eue.

 

         P.8-9, §3-4-5 : Stratégie de justification de l’absence de ravitaillement au peuple français en dépit des accords entre le GPRF et les Etats-Unis. De fait, c’est tout à fait exact puisque le premier ravitaillement de la France par les Américains ne se fera que le 22 février 1945 à Marseille, puis le 23 février, par les « liberty-ships », deux cargos dans les ports de la Manche [ cf. III, 1 : ambiguïté du portrait des alliés qui correspond effectivement à une ambiguïté historique !

         p. 7 : l’auteur introduit les pbs de communications qui entraîne celui de la transmission de l’autorité de l’Etat.

         Il réduit l’effort consenti par les alliés.

 

1.2 ) L’autopromotion de l’action personnelle

 

L’auteur veut mettre en scène son action personnelle. Le récit est organisé par la volonté de promouvoir son action personnelle.

 

Premier moyen : rendre cette action présente au lecteur. Pour cela, alors qu’il s’agit d’un récit rétrospectif, qui devrait donc être au passé, nous avons un récit au présent de narration, qui permet d’actualiser l’action, et donne au récit l’aspect diariste d’un journal.

 

Deuxième moyen : mettre en scène le passage à l’action. [

 

         P.10-11, § 9 : « Il faut agir » : mouvement programmatique du passage à l’acte [ volonté de légitimation par le discours de cette prise de pouvoir par les constats préliminaires sur l’état du pays et par l’insistance sur la continuité entre la France libre et le gouvernement provisoire : « La plupart des « commissaires » d’Alger, qu’ils aient été à mes côtés depuis le temps de « la France Libre » ou qu’ils soient venus me rejoindre en Afrique du Nord, vont rester ministres à Paris ». [ P.11, § 10 : mise en application du passage à l’acte : composition du gouvernement.

 

Troisième moyen : retranscrire de façon vivante les discours de l’époque, et en particulier la scène du palais Chaillot qui rend vivant – et plus significatif – l’exposé précédent du programme d’action [

 

         P. 12-14 : § 14-17 : retranscription du discours-programme du 12 septembre 1944, au Palais de Chaillot », p.351-361 :

- effet d’actualisation du discours par l’usage du discours direct [ présenter en acte, actusaliser pour le lecteur de 1959 la geste gaullienne.

- La fluidité de ce passage vient du mélange du discours direct et du discours narrativisé : permettent d’accélérer le rythme du discours ou d’insister sur les moments importants du discours. [ dramatisation de l’appel à l’unité par l’énallage (modification, par rapport à la formulation courante, d’un mode, d’un temps, d’une personne ou de toute structure verbale) « et de poser », par l’incise « m’écrié-je », et la modalité exclamative.

 

Contenu : 1 ) L’intégration de toute force de résistance armée dans l’armée française, et le règlement du problème des milices (Le discours ne les nommait pas comme telles devant les représentants des différents courants politiques et des différentes institutions du pays !) 2 ) La nécessité de redonner à la France son rang dans l’avènempent de la paix mondiale 3 ) les mesures économiques nécessitées par la situation.

 

- Stratégies des Mémoires :

 

         L’ordre du discours n’est pas respecté car l’auteur entend insister sur les facteurs de division du pays, pour justifier sa politique, et de très loin, l’échec de celle-ci. L’ordre choisi est donc plus logique que chronologique.

         de Gaulle passe sous silence le passage triomphal du discours sur la capitulation de l’Allemagne nazie (p.352) et le contraste avec sa volonté impérialiste : en 1959, l’heure n’est plus aux rancœurs contre l’Allemagne.

         Le très long hommage rendu par le discours aux différents alliés (p.352-353) est résumé en une demie ligne. [ De Gaulle a éliminé du discours tout ce qui ne sert pas directement à la promotion de son action personnelle.

         [ Le point de vue rétrospectif du mémorialiste permet de trier les éléments de cette date, et d’en choisir certains pour appuyer l’argumentation de l’auteur. De fait, l’accent des Mémoires par rapport au « Discours » est bien d’insister sur la légitimité personnelle de l’auteur-narrateur et de s’affirmer en vue du pouvoir.

 

Gérard Genette a étudié ce phénomène d’anamnèse, de remémoration du récit autobiographique et les transformations qu’elle suppose : « l’anamnèse », faite d’analepses et d’ellipses, contracte et accélère le temps qui devient temps de la subjectivité, de l’intériorité, de l’écriture : temps inexistant de l’imaginaire » (Jean-Philippe Miraux, L’autobiographie). Voir également le document de M.-M. Touzin sur la mise en forme du vécu que suppose toute écriture (réécriture) de la vie.

[ Ce n’est pas une chronologie historique mais une relecture subjective de l’Histoire.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


         De fait, les mémoires passent ici sous silence la débâcle (longuement exprimée dans le discours p.353 [ volonté non de retranscription fidèle de la réalité de l’époque et du discours mais de mise en scène du passage à l’action : le résumé qu’offrent les Mémoires est ici entièrement tourné vers l’avenir (p.13-14) alors que le discours revenait aussi sur la situation passée de la France.

         Les Mémoires ajoutent par rapport au discours le besoin d’unité du pays ! : même enjeu argumentatif pour se présenter comme un pouvoir fédérateur. D’ailleurs cette réécriture du discours de 1944 s’adresse aussi aux lecteurs de 1958-1959[1], dans un moment où la France divisée par des querelles internes, et par le soulèvement de l’Algérie et de la Corse, pourrait trouver dans le général de Gaulle l’incarnation d’un pouvoir fort. Entreprise de légitimation du pouvoir politique de de Gaulle de 1959 par la réécriture d’un discours de 1944 !

         § 16 : les Mémoires passent sous silence le projet d’élection des députés et de nouveau gouvernement alors que le discours, devant les représentants des principales institutions, est bien obligé de s’y attarder (p.356-358) : l’écriture des Mémoires est centrée sur la personne du général de Gaulle, comme figure nationale du pouvoir.

         § 17 : entreprise de légitimation des volontés politiques de de Gaulle en les plaçant dans la continuité de la Résistance : ajout par rapport au Discours : « Mais elles s’accordent avec les principes de rénovation que la résistance a, dans son combat, rêvé de voir réaliser » # p. 359-360.

 

 

II – L’ethos du narrateur

2.1 ) La posture de l’homme face à l’Histoire

 

         Posture de l’homme face à l’Histoire : série de prolepses (p.7-9, § 3 et 5) qui permettent de mettre les événements de la Libération en perspective. cf. Chateaubriand.

 

2.2 ) L’incarnation de l’autorité suprême

 

         P.10, § 8 : se veut un principe d’unité, un pouvoir fédérateur du pays : « mettre en place le pouvoir », « provoquer autour de moi l’adhésion », « fondre en une seule armée ». En même temps, la narration gomme ce que pourrait avoir d’ambition personnelle cette autorité fédératrice : le narrateur se présente comme le serviteur de la France : « le crédit que m’ouvre la France, j’entends l’engager tout entier pour la conduire au salut », « faire en sorte que le pays reprenne sa vie et son travail ».

         P. 17, §24 : construction d’une omniscience par la vision des politiques à Paris et le témoignage des différentes situations en province. [ Mise en route des déplacements en province : p. 17-30 : déplacements en province.

         Les déplacements en province (p.17-30) fonde la légitimité de de Gaulle par le caractère sériel de la reconnaissance populaire. P. 19-20, construction du mythe personnel de de Gaulle en rassembleur et pacificateur du pays :

- usage de la troisième personne (César)

- mise en scène de soi en orateur ou personnalité publique

- lyrisme de « soulevait une vague d’adhésion populaire »

- appel à la psychologie des peuples : l’illusion du rassemblement et l’espoir dans l’amélioration suffit effectivement à rassembler et améliorer la situation.

[ A nouveau, posture du deus ex machina qui sauve la situation.

P. 22, § 36 : champ lexical du plébiscite et de l’acclamation !

         P. 25, § 41 : Mise à distance et mise en scène de soi en personnage historique présenté dans sa dignité d’homme public avec une certaine complaisance, et objet de l’adoration des militaires : « vibrants de voir au milieu d’eux de Gaulle qui, sous les dehors d’une sérénité voulue, ne se sentait pas moins ému »…

         P. 30, § 54 : bilan des déplacements en province : donne les différentes caractéristiques de l’autorité étatique qu’il incarne.

         P. 30, § 55 : construction de soi en personnage doté d’un statut quasi-divin : « ferveur », « guide », « centre de ralliement », usage de la troisième personne !

         P. 31, le § 56 constitue par son caractère sériel une entreprise cette fois de légitimation politique après la légitimation populaire. Manipulation de la figure du général Giraud, que de Gaulle a écarté à Alger, pour prendre le pouvoir de façon personnelle.

 

2.3 ) Le point de vue

 

         P.8-9, §3-4-5 : Un point de vue omniscient qui avec une très grande hauteur de vue, englobe les différents points du territoire, et dessine une géographie totale de la Libération de la France.

         P.9, §6 : Confrontation des points de vue : point de vue des Français, d’une conscience collective pleine d’illusions (on, modalité exclamative, style oral, vocabulaire simple) et point de vue de de Gaulle, qui s’impose dans sa clairvoyance : distance / « chacun », « le peuple français », « les gens », « beaucoup » [ stratégie de justification anticipée des critiques d’après-guerre, nées des espérances de la Libération. cf. §8, p.10. Il dénonce les illusions des Français qui confondent « la libération et le terme de la guerre » (p. 9) et se maintient à distance de l’enthousiasme général : « Pour moi, […] je ne l’en fais point accroire » (p.10).

         P. 15, § 20 : De Gaulle se fait aussi observateur de ses contemporains dans une écriture moraliste :

- insistance sur le ressenti, les impressions : fin du § 19 + « je » dans les différentes situations de perception : « j’aurai pu me croire’, « je ne sais quelle », « une sorte de », « m’avaient fait sentir ».

- observation du spectacle offert par ses contemporains : « vivats », « tonalité différente de l’enthousiasme », « dosage des applaudissements », « signes et les coups d’œil échangés », « jeux de physionomie calculés » : apparence, jeu des masques, caractère théâtral.

- Mise en évidence de ce qui se cache derrière ces apparences, les motivations profondes que sont les ambitions personnelles : approbation mais partielle, réserves, conditions, effritement de l’unité.

- métaphore du mécanisme : « accordés », « tonalité », « jeux » [ idée de calcul, d’absence de spontanéité.

cf. Remarque de La Bruyère, Les Caractère, « De la Cour », 63 et 64.

         P.17-30 : différents déplacements en province, du 14 septembre au 6 novembre 1944, par lesquels de Gaulle affirme un point de vue omniscient qui permet à la fois la hauteur de vue par rapport à l’état de la France et d’être au plus près des détails de la réalité locale.

         P. 27, § 45 : va et vient entre le point de vue rétrospectif de l’historien qui connaît le destin de la France et le point de vue du témoin pris dans une situation donnée.

         P. 32 – 47, § 60-92 : description factuelle et très précise des mouvements de troupes alliées et françaises sur le territoire français.

 

2.4 ) Les différentes postures du narrateur

 

         P. 10, § 8 : Posture de témoin : « voyant », « passant », « entendant ». [ figure de la clairvoyance individuelle qui s’oppose aux illusions collectives : « je » s’affirme, dans le champ lexical de la clairvoyance : « certain », « évaluant », « je ne puis me bercer d’illusions », « je me sais ».

         P. 18, § 26 : posture de l’homme de terrain, sur les traces de Clemenceau durant la première guerre mondiale.

         P.9-10, § 7 : Construction par le point de vue rétrospectif de la figure du père protecteur mais pragmatique, clairvoyant sur l’état réel du pays et sur les intentions réelles des alliés, en mettant à distance la figure du père providentiel ! = stratégie argumentative paradoxale qui fonde la légitimité d’une autorité juste en rejetant l’image d’une autorité providentielle (usage de la troisième personne, mise à distance ironique par l’expression « personnage quelque peu fabuleux ») : « Quant à de Gaulle, personnage quelque peu fabuleux, incorporant aux yeux de tous cette prodigieuse libération, on compte qu’il saura accomplir par lui-même tous les miracles attendus ». [ Fonde un mythe personnel en rejetant la chimère !

         [ P.10, §8 :

- vision d’un pouvoir politique pragmatique fondé sur la connaissance de la situation réelle.

- entreprise de rétablissement de la vérité # illusions, idéologies « surenchères des démagogues », mensonges.

- montrer la volonté de rassemblement # forces de dispersion : usage de l’accumulation et du pluriel dans « plaintes des masses, les revendications des groupes, les surenchères des démagogues ».

         P.12, § 12 : Fondation d’une figure de l’autorité légitime : le « je » du narrateur se présente comme l’origine de la Résistance, devenue un moyen d’action personnelle (ce qui est partiellement faux et qui exclut la Résistance communiste !) puis comme l’origine du nouvel état français : « c’est vers la libération que j’avais conduit la France et c’est la résistance qui en était le moyen. Il s’agit, maintenant, d’entreprendre une étape nouvelle qui, celle-là, implique l’effort de toute la nation ». [ P. 12, § 13 : opposition systématique du « je » en position de sujet et d’objet (« me donne », « ma politique », « je le fais », « quant à moi » et les illusions collectives décrites par la métaphore lyrique du « vol des chimères ».

         P. 12, § 14 : posture de de Gaulle orateur. // Filiation avec Gambetta, p. 24, §39 : « Du même balcon d’où Gambetta avait harangué la foule en 1870, je m’adressai aux Bordelais » [ insciption de soi-même dans l’Histoire.

 

 

 

III – La construction du mythe de la Libération

 

3.1   ) Le portrait ambigu des alliés

 

Technique de l’éloge paradoxal

         La construction par l’écriture d’un « nous » national, expression d’une communauté à laquelle s’oppose la vision des alliés : p.8-9, §5 : stratégie argumentative qui commence par décrire les bienfaits des alliés (technique de l’éloge paradoxal) (mais avec la formule restrictive « il est vrai que ») pour ensuite insister sur le fait que l’effort de guerre et l’économie française servent essentiellement au ravitaillement des alliés et non aux Français eux-mêmes. [ On aboutit à l’idée que les alliés utilisent ce qui reste des forces françaises pour leur bien propre : gradation « une partie », « un certain nombre », « une importante fraction ». Trois temps, donc, dans cet éloge paradoxal : 1 ) L’auteur reconnaît leurs efforts (« Il est vrai que les alliés s’empressent de nous apporter… ») 2 ) Il en précise aussitôt les limites : « Mais les trains et les camions qui roulent […] sont destinés essentiellement aux forces en opérations » 3 ) Il dénonce les illusions des Français sur les motivations réelles des Alliés : p.10.

         P.9-10, § 7 : ironie qui use du sous-entendu pour faire comprendre les ambitions hégémoniques des alliés (en particulier des Etats-Unis) sur la France et l’Europe et la place réelle de l’attachement à la liberté des peuples : « on imagine les alliés, comme des figures d’images d’Epinal, pourvus de ressources inépuisables, tout prêts à les prodiguer au profit de cette France que, pense-t-on, leur amour pour elle les aurait conduits à délivrer et qu’ils voudraient refaire puissante à leurs côtés ». Les deux modalisations du discours invitent à voir dans l’amour de la France, de la liberté, la volonté de ravitaillement, et la volonté de donner à la France sa place dans le concert des nations, des illusions (principe de l’antiphrase) : ce qui sera effectivement vrai !

         P.10, §8 : montre implicitement les intérêts économiques des alliés dans le redressement de la France : « la règle de fer des Etats est de ne donner rien pour rien et que nous ne reprendrons rang qu’à condition de payer » [ problème de la place de la France dans la donne mondiale d’après-guerre.

         P. 43, § 81 : rappelle l’importance de donner à l’armée française sa place dans la libération de la France et l’écrasement de l’Allemagne nazie et la volonté des Etats-Unis d’écarter la France pour décider avec l’Angleterre et la Russie du partage et de l’exploitation de l’Europe.

 

3.2  ) L’opposition aux ennemis

 

         Dans ce chapitre, les ennemis sont tout d’abord les ennemis intérieurs, les « politiques » : De Gaulle utilise le terme entre guillemets, P.15, § 20, et les montre en facteurs de la division. § 21 : le « je » du narrateur s’oppose aux « politiques » : d’un côté la légitimité accordée par le peuple français, de l’autre la division née des ambitions personnelles. De plus les « élites » (nouvel emploi en mention et donc mise à distance péjorative) sont présentées comme des écrans faisant barrage entre de Gaulle et le peuple français.

         P. 16, § 22 : les politiques sont présentés comme utilisant le risque de guerre civile à leur profit personnel : « les calculs politiques, les concurrences professionnelles, les représailles personnelles, utilisaient les circonstances ».

         Ecriture des divisions du pays et du risque de guerre civile, P. 16, § 22 :

- citation des différents groupes, procédé de l’accumulation, programmé par « vaste confusion », renforcé par l’usage systématique du pluriel.

- métaphore de la cocotte : « fermentaient sous le couvercle », « explosion », « débordait ».

         Critique des communistes, qu’en 1959, de Gaulle appelle les « séparatistes » , P. 17, §24 :

- insistance sur le caractère volontaire de l’entreprise de division des communistes : « pris à tâche », « ne manquaient pas de ».

- insistance sur les ambitions personnelles et la déloyauté : « habiles », « utilisant », « jouant », « secrètement », « exploiter le tumulte ».

- absence de légitimité aux pouvoirs des communistes : « prétendaient ».

L’écriture de de Gaulle réduit l’ensemble des groupes qui représentent un pouvoir local provisoire à l’œuvre secrète des communistes, cachés sous des étiquettes différentes !

P. 17, le § 25 qui ouvre la série des déplacements en province, fait contraste avec le paragraphe précédent (manipulation argumentative du récit destinée à blâmer l’œuvre de division des politiques) : à l’individualisme de ces derniers s’oppose en effet le tableau de la bonne volonté de la population.

         P. 19, § 28 : Dénonciation des communistes à Marseille, qui ont mis en place « une dictature anonyme », et qui procèdent à des exécutions publiques. Gradation dans l’énumération des exactions des communistes.

         P. 20-21, § 32 : nouvelle accusation des communiste, à Toulouse.

         P. 21-22, § 33 : même lorsqu’il ne s’agit pas d’un pouvoir local communiste, de Gaulle adopte pour décrire les formes de contre-pouvoir un vocabulaire qui renvoie aux communistes, si bien que l’opprobre tombe quand même sur les communistes : « un soviet » !

         Même technique rhétorique dans les paragraphes : vision des destructions, troubles locaux, accusation / communistes.

 

3.3  ) Les choix de la narration et le mythe de la France victorieuse

 

         P.7, §1 : construction du mythe de la Libération par l’insistance sur l’extrême rapidité de celle-ci : précisions temporelles, présent de narration, accumulation de verbes d’action, insistance sur la petitesse des poches de résistance allemande et antithèse avec « le territoire tout entier ». [ les stratégies auctoriales : 1 ) vision orientée de l’Histoire visant à rétablir l’image de la France et à laver la honte de 1940 : « en moins de temps » - la phrase est historiquement fausse ! (13 mai 1940 à Sedan à l’armistice du 22 juin / 6 juin (débarquement en Normandie) – 31 juillet 44 (percée d’Avranches) – 4septembre 44 : le général Patton franchit la Meuse) [ intention de magnifier la France et de ridiculiser l’Allemagne nazie. 2) faire sentir le sentiment de l’urgence pour sa propre action personnelle : il ne s’agit pas de crier au triomphe de la victoire, mais de rappeler au contraire tous les problèmes qui demeurent et que la libération du territoire fait apparaître 3 ) vocabulaire épique pour décrire l’échec de l’Allemagne nazie 4 ) La vision épique trouve son point d’acmé dans la phrase finale du paragraphe qui emploie à la fois la métaphore de la marée pour désigner la retraite de l’armée allemande et la personnification de la France et corps malade : « La marée, en se retirant, découvre donc soudain, d’un bout à l’autre, le corps bouleversé de la France ». Cette métaphore de la marée ajoute à la dramatisation produite par l’accélération du rythme du récit.

         Cette métaphore est filée p.9, §6, mais dans une autre stratégie, argumentative cette fois, pour souligner les illusions que provoque la Libération : « Mais, comme le convalescent oublie la crise surmontée et croit la santé revenue, ainsi le peuple français, savourant la joie d’être libre, incline à croire que toutes les épreuves sont finies ».

         P.12, § 11 : en même temps, de Gaulle cultive le vérisme de la description, par une série de portraits précis quoique de personnages rapidement croqués : quelques notations, mais qui donnent l’essentiel des personnages écartés de l’action du GPRF : rythme croissant des portraits qui s’imposent dans leur souci du détail « qui fait vrai ». Vérisme des Mémoires de Saint-Simon.

         P. 32, à la grandeur du mythe personnel de de Gaulle s’oppose la figure pâlotte et ridicule du président Albert Lebrun : portrait qui exécute le personnage, § 59, avec un art consommé de la chute. Principe de Plutarque de la comparaison entre les grands hommes.

         Cependant, de Gaulle relit l’Histoire en lui donnant des directions, une interprétation, qui en fait une geste, et non un récit historiographique. Ainsi, p. 14-15, il imprime à la Libération le mouvement symboliquement culturel du passage du rêve, de la « chimère » à la réalité forcément diverse : série d’antithèses : « intentions » # « mesures » ; « ce qu’un jour on pourrait faire », « ce qu’on faisait » ; « mystique », « élans » # « estompée », « Comité d’Alger » ; « cohésion du sentiment » # « la politique », « réalités impérieuses et contradictoires », « courants séparés », « ambitions », « groupes ».

         La série des déplacements en province (p.17-30) donne lieu à une vision lyrique des regions et du peuple français :

- P. 17-18 : pathétique de la vision de Lyon, et image saisissante de la population : « les faubourgs industriels, en particulier Villeurbanne, étalaient leurs usines éventrées. Mais l’enthousiasme de la population faisait contraste avec ces ruines ».

- Lyrisme dans la vision du patriotisme des troupes armées : P.18, § 27 : « fit défiler devant moi des troupes aussi émues qu’émouvantes. Il était touchant de les voir ».

- Lyrisme de la personnification de Marseille, p. 20, § 30, en « grande cité tumultueuse et blessée ».

- Gradation dans la vision des destruction de Lyon, à Marseille, à Toulon : vocabulaire épique, p. 20, § 31, usage des comparatifs.

- P. 20, § 31 : éloge hyperbolique de la marine française, en grand corps plein de larmes, avec la gradation dans les manifestations d’enthousiasmes (et aussi mise en scène de soi comme objet de ces enthousiasmes).

P. 25, § 41 : Eloge des forces militaires françaises (termes mélioratifs). Le même argument qui servait, § 34, à démonter les forces anglaises sert ici à l’éloge des forces françaises : « la plupart arborant des grades improvisés mais tous fiers, à juste titre ».

P. 24, § 39 : métaphore de la terre pour décrire la consolidation de l’autorité de l’Etat : « En quittant Bordeaux, il me semblait que le sol s’était raffermi ».

P. 28-29, § 50 : vision lyrique de la campagne française mais ce lyrisme s’accompagne d’une vision productiviste, qui produit un curieux contraste !

 

 

Il s’agit donc moins de conter des faits de guerre que d’indiquer comment le général veut disposer son action pour assurer la grandeur de la France au-delà des atermoiements des partis. Le récit est donc travaillé par la volonté constante de prouver la légitimité du narrateur-personnage, et écrit dans un style efficace, clair mais oratoire et hiératique, en majestueuses périodes laissant parfois place à des portraits réalistes et ironiques. Ce faisant, le premier chapitre s’ouvre moins comme un récit du passé que comme une pièce à conviction pour mener à bien les guerres du présent.

 



[1] Le général de Gaulle est élu dernier président du Conseil de la Ive République le 1er juin 1958 et premier Président de la Ve République le 21 décembre 1958. La remise du « Salut » aux éditions Plon se fait le 28 octobre 1959.

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