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26 septembre 2012 3 26 /09 /septembre /2012 14:55

De Shakespeare à Musset : de l’audace dramatique à la conciliation du romantisme et du classicisme

Hamlet

Shakespeare

Laurence Olivier

Comparaison avec Lorenzaccio de Musset

 

→ Lecture de l’article « Fortune de Musset » de Sylvain Ledda.

 

→ Commentaire : Musset a découvert en même temps que la génération romantique le théâtre de Shakespeare, par de nouvelles traductions qui ne cherchent plus à plier Shakespeare aux règles de la tragédie classique comme au XVIIe siècle, puis sur la scène puisqu’en 1822 les comédiens anglais viennent jouer Othello au théâtre de la Porte-Saint-Martin cf. Stendhal, Racine et Shakespeare, les attaques contre les représentations de Shakespeare. Faire le parallèle avec la bataille d’Hernani. En 1828, l’accueil sera beaucoup plus enthousiaste. Le drame shakespearien a un impact direct sur la production théâtrale romantique française : Vigny adapte Othello sous le titre du More de Venise. Hugo, Cromwell, 1827, Marie Tudor, 1833. Vigny, Chatterton, 1834. Shakespeare est également découvert par les auteurs allemands qui à leur tour vont inspirer les dramaturges français, ce qui explique le souhait de Musset d’être « Shakespeare ou Schiller » indifféremment. Lorenzaccio est ainsi très proche de La conjuration de Fiesque de Schiller (1782) : contexte géographique et historique (1547 à Gênes), la question politique (la révolte des républicains menée par Fiesque contre l’autorité du doge)…

 

I – La dramaturgie shakespearienne : une source d’inspiration pour les romantiques

 

1.1 ) Une scénographie de l’action

 

Ø  La pièce Hamlet fut représentée au théâtre du Globe, construit au sud de Londres en 1599, durant l’hiver 1600-1601, par la troupe des « Chamberlain’s men ». Le Globe est un théâtre public, au sud de la cité et côtoyant toutes sortes de mauvais lieux. Le théâtre est construit en bois, et est de forme circulaire ou polygonal, ouvert au milieu. La scène qui s’adosse à un mur, avance jusqu’au milieu du parterre et est donc entourée sur trois côtés. Grâce au mur, elle comporte deux ou trois étages. Le parterre est à ciel ouvert et c’est là que sont les spectateurs ordinaires. Le public aisé se tient dans des galeries superposées tout autour. Cf. dessins du « Globe ».

 

Ø  La scène est donc vaste, propice à un grand nombre de personnages, et aux actions même de groupe et violentes. C’est un théâtre spectaculaire. Voir l’opposition entre le théâtre français qui est un théâtre de la parole et un théâtre anglais de l’action (cf. les Monthy Python et Caamelot).

 

Ø  Ce théâtre, si opposé au théâtre classique joué ou plutôt parlé dans une salle de jeu de paume, plaît aux romantiques qui feront leur la volonté de représenter tout un monde, même violent sur scène. L’apparition du théâtre à l’italienne à partir du XVIIIe siècle, la multiplication des théâtres au XIXe siècle et la censure provisoirement abolie en 1830 favorise un jeu qui veut représenter la totalité du monde et de l’existence. C’est un théâtre libre qui plaît aux romantiques. Cf. V. Hugo, préface de Cromwell, « pour un drame total ».

 

Ø  Toutes les catégories sociales se rencontrent dans les pièces de Shakespeare et le dramaturge alterne des passages en prose pour les personnages du peuple et des passages en vers pour la noblesse. On retrouve ce même mélange social chez Musset comme à la scène 5 de l’acte I ou des dames de la Cour voisinent avec des bourgeois, marchand et orfèvre, des cavaliers, le Prieur et un officier allemand.

 

Ø  La dramaturgie est complexe : elle comporte de multiples intrigues et des rebondissements. Musset reprendra cette complexité et cette ampleur du drame.

 

Ø  C’est aussi un théâtre historique qui montre un devenir national : pour parler de l’époque élisabéthaine, Shakespeare a choisi comme miroir l’Italie de la Renaissance dans Roméo et Juliette.

 

Ø  Musset est particulièrement réceptif à ce théâtre lui qui veut écrire sans contrainte, multiplie les personnages et les tableaux, et les scènes violentes (mort de Louise Strozzi, mort du duc, scène de combat avec Lorenzo). On retrouve l’art du tableau shakespearien dans l’art de Musset de la scène de foule (I, 2, 5 ; III, 3, 7 ; V, 1, 5, 7).

 

1.2 ) Une dramaturgie du naturel

 

Shakespeare, pour le jeu des acteurs, condamne l’emphase, l’excès dans le geste et le ton et prêche pour le naturel (« toute exagération s’écarte du but du théâtre qui, dès l’origine comme aujourd’hui, a eu et a encore pour objet d’être le miroir de la nature »). Cf. V. Hugo, préface de Cromwell, « la nature et l’art ». On est aux antipodes de la déclamation à la française.

 Il n’est pas question comme en France de séparer le comique et le tragique : c’est un théâtre hybride.

 1.3 ) Un langage libre et varié

 

Le langage shakespearien est vaste et riche : il touche à des domaines variés (jargon militaire, des métiers, de la navigation, de la jurisprudence, de la théologie ; langage des courtisans, de l’homme du peuple…). Le dramaturge multiplie aussi les registres : familier voire grossier, style noble, registres intermédiaires. Cette langue est remarquable par l’abondance des métaphores. Cf. A. de Vigny, Lettre à Lord***, « Contre la « Muse de la politesse », pour le caractère et le mot propre, et « Le scandaleux mot de « mouchoir ». Choix d’une prose poétique chez Musset.

 

II – Présentation de la pièce Hamlet

 Hamlet de Shakespeare a été vraisemblablement représenté durant l’hiver 1600-1601.

 → Laurence Olivier, après une longue carrière au théâtre, produit, réalise et joue Hamlet qui sort en 1948.

 → Résumé :

 Hamlet, frappé douloureusement par la mort de son père, le roi du Danemark , reçoit de l’au-delà un message lui ordonnant la vengeance : sa mère, la reine Gertrude, s’est remariée avec le frère et meurtrier de son défunt époux, Claudius ! Mais il n’est pas l’homme de la situation et ne se sent pas une âme de vengeur à l’opposé de bien des héros tragiques. Hamlet doit affronter le mal, traquer sa propre vérité et soulever le voile des apparences. Le mystère du personnage s’épaissit lorsqu’il se fait acteur et simule la folie. Croyant tuer Claudius, Hamlet tue Polonius le père d’Ophélie. De désespoir, Ophélie devient folle et se noie dans la rivière. Gertrude meurt empoisonnée et Hamlet force le roi à boire à la même coupe, avant de mourir à son tour.

 

III – Un théâtre politique et métaphysique

 

Le théâtre shakespearien est un théâtre politique car il pose la question de la gouvernance d’une cité dans un système où les actes du microcosme sont associés à ceux du macrocosme. Il est donc en même temps métaphysique, ouvrant sur l’existence et la marche du monde.

 

Idées communes à Hamlet et à Lorenzaccio :

 

Ø  Le mal n’est plus à l’extérieur comme dans les pièces précédentes, mais au cœur de l’homme ; il empoisonne tout. Les monologues des différents personnages donnent tous l’idée d’un mal contagieux au monde entier.

 ·         Le roi lui-même en revenant sur le meurtre de son frère, met en avant l’immoralité du monde et l’impossibilité d’une quelconque rédemption (III, 3, monologue du roi l.42-66).

 ·         Dans les deux pièces, le drame n’est pas seulement personnel, il est le drame collectif d’un monde « détraqué ». cf. III, 4, l.58-67 sur le forfait de la mère. Cf. L, III, 3, dialogue entre Lorenzo et Philippe Strozzi, l. 299-307, 327-330, 353-379.

  

Ø  La cruauté est la seule réponse possible au monde dégénéré et le mal n’a pour seule issue que la mort. Cf. III, 4, l.43-45 et 145-147, 193-194. Cf. référence à Brutus, III, 3, l. 356.

 

Ø  Le personnage exprime sa désillusion et dans un monde « hors de ses gonds », il ne peut agir pour le faire rentrer dans l’ordre. Cf. III, 3, l.383-387.

 

Ø  La pièce explore le thème de la folie du personnage, folie qui a sa logique propre, et qui permet de répondre au spectre du père mort qui réclame vengeance. On entend l’intériorité d’Hamlet grâce aux monologues. Cf. III, 3, l. 408-413.

  Dans le film de Laurence Olivier, à la psychologie des personnages fait écho un espace torturé traité volontairement sur le mode d’un dédale désespérant de couloirs, de tours, d’escaliers, et de salles immenses. Cf. S.14-16.

 → Le film, volontairement tourné en noir et blanc permet un effet de tableau où les visages tourmentés ressortent sur la technique du clair-obscur cf. le visage effaré d’Hamlet à la séquence 14, et la figure de style « mentale » où la caméra entre dans le crâne d’Hamlet (cf. Orson Welles, Citizen Kane). Il s’agit d’évoquer une série de gravures et de plonger le spectateur dans un monde barbare et sombre.

 → Le film respecte cependant un certain académisme dans les postures et la confrontation des personnages pour rendre la tension des scènes.

 → Laurence Olivier a voulu rendre la torture intérieure des personnages par des références freudiennes : ainsi de la scène œdipienne entre Hamlet et sa mère (S.16).

 

 

Ø  Mais l’indécision du personnage d’Hamlet (mise en valeur par le film de Laurence Olivier, cf. le prologue et III, 4, l. 123-126) fait qu’il accomplit finalement un meurtre secondaire, au lieu de tuer sa mère et son beau-père, celui de Polonius. C’est un meurtre inutile et cruel puisque Polonius est le père de celle qu’il aime, Ophélie ! Il a pourtant eu la tentation de tuer son beau-père (III, 3) et sa mère (III, 4).

 

Ø  En ce sens, Shakespeare et Musset s’écartent de la tragédie antique et du drame médiéval qui présentaient un enchaînement logique du crime au châtiment. La vengeance s’accomplit dans les deux cas de façon imprévisible.

  

Les différences :

Ø  Hamlet se termine par un bain de sang purificateur et Hamlet meurt réconcilié avec lui-même après avoir vengé son père et donné sa voix de roi à Fortimbras qui lui succèdera. L’acte de meurtre a donc servi à purifier les consciences et le pouvoir royal. Mais la vision de Musset est plus pessimiste et marquée par l’idée du caractère vain de toute action héroïque dans l’histoire : le meurtre du duc ne change rien à la situation de Florence et ne délivre pas Lorenzo de lui-même. Il y a désormais une rupture entre l’action du héros et le monde, pris d’immobilisme, qui l’entoure.

 

Conclusion :

Il faut toutefois relativiser l’influence shakespearienne et romantique sur Musset qui est aussi un disciple des classiques (cf. ses relations difficiles avec le cénacle romantique). On peut aussi déceler des influences classiques : Lorenzo a la noirceur d’un Néron dans Britannicus, la scène 5 de l’acte V, est une référence à Molière, et Lorenzo a aussi les traits d’Alceste, le misanthrope intransigeant, de Dom Juan et même de Tartuffe.

 

 

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commentaires

A
That was a nice article over the subject regarding some vintage stuff of shakespeare and some of his writings which were dramatically romantic in the way. Thanks for the share.
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M
The comparative study of Hamlet and Lorenzaccio has indeed left me wondering about the various similar features in the two works. Though the tragedies of Shakespeare were replaced with comedies, the romance still continues throughout the modern work. microneedling
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D
ngé son père et donné sa voix de roi à Fortimbras qui lui succèdera. L’acte de meurtre a donc servi à purifier les consciences et le pouvoir royal. Mais la vision de
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