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30 novembre 2015 1 30 /11 /novembre /2015 19:36

Flaubert

Madame Bovary

Deuxième partie

Chapitre VIII, extrait

Quelques mots d'introduction

Le texte qui suit a été préparé, étudié et rédigé par des élèves de seconde, au mois de novembre, donc en début d'année. ll ne constitue pas un modèle mais bien un exercice (leur premier) de commentaire. Sans doute y-a-t-il beaucoup de choses à reprendre : certaines tournures et sans doute aussi certaines interprétations. Que le lecteur soit indulgent, donc. Mais l'exercice peut aussi servir à tous ceux qui se sentent incapables de faire un commentaire, parce qu'on a prononcé le mot "commentaire". Ces élèves ont rédigé ce texte en utilisant leur bon sens, et sans savoir... qu'ils faisaient un commentaire !

Madame Bovary de Flaubert a été publié en 1857. A travers ce roman, l’auteur utilise l’ironie pour dénoncer la bourgeoisie de son époque, fondant son bonheur sur le malheur des plus pauvres en profitant de leurs services. Un extrait du chapitre 8 montre l’hypocrisie de cette bourgeoisie riche à l’égard d’une vieille femme pauvre, paysanne et servante. Le texte fait le portrait de ce personnage pourtant très secondaire, montre la pauvreté de cette femme atteinte par la fatigue et le travail qu’elle a endurés toute sa vie. Par là-même, l’auteur met en avant l’exploitation des plus pauvres par la bourgeoisie de province. On pourra se demander si ce texte est vraiment un portrait : le personnage est-il décrit pour lui-même ou parce qu’il constitue l’allégorie de la misère et de la servitude ? Nous verrons dans un premier temps que le narrateur fait une description du personnage entre réalisme et registre pathétique. Dans un deuxième temps, nous verrons en quoi le personnage devient l’allégorie de la servitude permettant par là de critiquer une bourgeoisie du profit.

Nous allons tout d’abord nous demander s’il s’agit d’un portrait réaliste ou d’un portrait pathétique.

D’une part, on peut tout d’abord observer qu’il s’agit d’un portrait réaliste : la description est détaillée, on nous décrit tout le personnage de cette vieille femme : son visage, ses mains mais aussi ses vêtements et la posture permanente qu’elle observe. Son visage est ridé, elle porte des « galoches de bois » (l. 4), un « tablier bleu » (l.5) et une « camisole rouge » (l. 8). Tous ces éléments sont décrits de façon réaliste et contribuent à inscrire le personnage dans un milieu social : c’est une paysanne et une servante. Les mains sont particulièrement détaillées : c’est qu’elles décrivent la femme en elle-même, les travaux répétés, la fatigue et l’âge, une forme de pauvreté et de dénuement. Dans l’expression « dépassaient deux longues mains », l’antéposition du verbe permet de donner à ces mains un caractère étrange, démesuré, comme si elles étaient détachées du reste du corps. Les adjectifs « longues » et « noueuses » ajoutent à l’étrangeté de ces mains. On retrouve d’ailleurs le thème réaliste de la dégradation du corps, à tel point que la vieillesse semble définir le personnage. Dans la première phrase du texte, les deux adjectifs antéposés « petite » et « vieille » dans « une petite vieille femme de maintien craintif » permettent d’insister sur cette vieillesse et sur l’insignifiance du personnage (c’est par là que la description commence). La suite de la phrase (« et qui paraissait se ratatiner dans ses pauvres vêtements ») offre une gradation de « petite » à « vieille », puis à « maintien craintif » puis au verbe « se ratatiner ». La femme apeurée est de plus en plus insignifiante, elle se recroqueville sur elle-même et le verbe « se ratatiner » prépare la comparaison avec la « pomme de reinette flétrie ».

Le personnage est aussi décrit de façon réaliste par l’importance donnée à ses vêtements. La servante semble subir le poids de ses vêtements : ils sont trop grands pour elle, disproportionnés par rapport à sa personne : le tablier semble plaqué artificiellement sur le corps : « et, le long des hanches, un grand tablier bleu », et rappelle sa condition de servante. Elle porte une camisole rouge voyante. Les couleurs « bleu » et « rouge » sont sans nuance. L’usage du terme familier « galoches » pour sabot rattache aussi ce personnage à la paysannerie du XIXe siècle. Le narrateur insiste donc sur le caractère rustique de l’habillement « grosses galoches de bois ».

Cependant, ce texte dépasse le cadre de la simple description réaliste. Le portrait n’est pas neutre et on ressent le regard critique et apitoyé du narrateur. Ce portrait est péjoratif : la comparaison entre le visage de la femme et « une pomme de reinette flétrie » (l.7) participe à la réification du personnage. Cette femme paraît usée : l’accumulation en rythme ternaire « encroûtées, éraillées, durcies » souligne l’état des mains et une autre accumulation également en rythme ternaire donne les raisons de cet état : « la poussière des granges, la potasse des lessives et le suint des laines » (l.9-10). La servante paraît sale : la ligne 12 rend cette impression de saleté permanente par l’antithèse entre « semblaient sales » et « rincées d’eau claire ». De plus, cette femme est comparée aux animaux qu’elle a côtoyés : « dans la fréquentation des animaux, elle avait pris leur mutisme et leur placidité » (l. 17-19).

Ainsi, le portrait n’est pas une simple description réaliste. L’aspect pathétique du personnage prépare la condamnation flaubertienne de la misère des campagnes, et de l’exploitation des plus pauvres par la bourgeoisie.

On pourra ainsi se demander si ce texte est un portrait ou une allégorie. Le personnage vaut-il pour lui-même ou comme symbole de la misère et de l’exploitation ?

Il semble tout d’abord que le personnage incarne l’esclavage moderne du XIXe siècle. En effet, cette femme a travaillé toute sa vie sans relâche pour les autres, oubliant de s’occuper d’elle-même. De ce fait, c’est une femme fragile, faible et abîmée par le travail. Les bourgeois ont profité d’elle toute sa vie comme le montre dans la dernière phrase l’expression « ce demi-siècle de servitude » qui fait de la servante non un personnage mais un symbole. De plus, la conjonction de coordination « et » dans « et, à force d’avoir servi, elles restaient entrouvertes » ajoute encore à la vie de misère de cette femme. La personnification de ses mains (« restaient entrouvertes, comme pour présenter d’elles-mêmes l’humble témoignage de tant de souffrances subies »), semblant se détacher du corps, rend compte de l’attitude d’imploration permanente du personnage.

Issue du milieu paysan, cette femme est à l’opposé de la classe bourgeoise qui l’entoure. La dernière phrase oppose d’ailleurs « ce demi-siècle de servitude » à « ces bourgeois épanouis ». Au début du texte, le pronom impersonnel « on » dans « on vit s’avancer sur l’estrade une petite vieille femme » écarte la servante du reste du monde et renforce l’idée d’opposition et de solitude du personnage. Elle semble étrangère au monde qui l’entoure. Plus loin, l’opposition à la bourgeoisie est renforcée par l’antithèse entre « elle » d’une part, et d’autre part l’accumulation « par les drapeaux, par les tambours, par les messieurs en habit noir et par la croix d’honneur du Conseiller ». Flaubert dénonce ici les inégalités sociales entre bourgeois et paysans ainsi que l’exploitation des plus pauvres par les riches : c’est le sous-entendu que contient l’adjectif « épanouis » dans « ces bourgeois épanouis ».

Cette femme est seule et quasiment invisible, déshumanisée, dans la scène. Les souffrances répétées ont fait de cette servante un personnage froid: « rien de triste et d’attendri n’amollissait ce regard pâle » ; « quelque chose d’une rigidité monacale relevait l’expression de sa figure ». Cette phrase est cependant positive : elle donne à cette femme sa fierté et sa dignité. Le verbe « relevait » désigne cette femme comme digne de respect. Elle est cependant immobile, et l’objet du regard de tous. La narration, qui nous fait entendre ses pensées, permet de rendre l’effroi ressenti par le personnage : « ne sachant s’il fallait s’avancer ou s’enfuir, ni pourquoi la foule la poussait, et pourquoi les examinateurs lui souriaient ». Pourtant, c’est à ce personnage, secondaire, pauvre, insignifiant, que Flaubert consacre une page de description, et non aux bourgeois qui l’entourent et qui ne sont que des silhouettes.

En réalité, ce texte est moins le portrait d’un personnage que l’allégorie de la misère et de la servitude. La dégradation du corps est soulignée dans tout le texte. Le réalisme du portrait physique inclut l’habillement qui représente aussi la situation sociale du personnage. La femme est un personnage pathétique car elle incarne l’esclavage des pauvres. Elle suscite pitié et compassion. L’opposition entre la servitude, la misère des pauvres et le bien être des bourgeois est dénoncée par Flaubert. Cette femme est à l’image de la paysanne exploitée chez qui Madame Bovary a mis sa fille en nourrice dans le roman.

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commentaires

S
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C
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